La
ville narcissique se regarde dans le bleu de sa mer, comme les fleurs de
narcisse aux corolles recourbées qui décorent les carreaux jaunes orangés du
zelidj de ses vieux riads et de ses maisons aux colonnades en vrilles de
l'époque ottomane, aujourd'hui presque oubliés. Alger la ziride tourne le dos
au pays qui l'a fait naître et qui l'a auréolée de ses conquêtes. Alger
l'ingrate, Alger l'avare, Alger la négligente, Alger l'égoïste, Alger l'arrogante,
Alger la prétentieuse, Alger l'indifférente, Alger la régente, Alger
l'épicentre et le foyer qui veut tout concentrer et tout imposer, comme si
c'était la fille unique de ses parents. Où sont ses sœurs aînées, qui étaient
aussi vaillantes et aussi rayonnantes depuis l'antique histoire que le temps a
préservé dans les vestiges qui ont traversé les âges pour en témoigner dans les
tombeaux des dynasties berbères des Djeddars de Tiaret (Tingartia la romaine),
dans le mausolée Medracen de Batna, dans le tombeau de Massinissa de Cirta,
dans les colonnades, dans les portiques, dans les arcades et les gradins de
Timgad (Thamugadi), de Djemila (Cuicul) à Sitifis et de Cherchell (Césarée) à
Tahert la rostomide, à Tlemcen la zianide et à Béjaïa la hammadite ? Aujourd'hui,
Alger jalouse tout le monde, elle est la belle, la plus jolie, la plus aimée et
la plus gâtée. Elle a encore la bénédiction du Dey et des Beys et des raïs et
des corsaires et des pirates des mers. Tout le butin, ou presque, se déverse
sur elle et pour elle. On y commémore les dates historiques. On y célèbre les
cérémonies fastidieuses. On y inaugure le faste et le festif. On y édifie les
symboles de la postérité... Elle seule est visible. Elle fait de l'ombre aux
oubliées, écrasées dans leur monotonie aggravée d'insouciance de leurs enfants
qu'Alger a corrompus pour couper le cordon placentaire. Ingratitude
pathologique ! Alger écrase ses aînées, leur impose son dialecte, ses horaires
de prière, sa musique, ses bouqalat et ses serouals echaqa des femmes
algéroises. Toutes les villes algériennes sont aujourd'hui alignées sur le même
fuseau horaire, Annaba doit attendre Alger pour rompre le jeun, Tindouf est
sommée de le casser avant le coucher, elles sont toutes soumises au même menu
(chtitha et mtheouem). Elles écoutent toutes du chaâbi algérois, elles se
dissolvent dans la Casbah. Elles perdent leurs âmes et leur particularisme
régional, combien enrichissant qu'il est important de sauvegarder et de
pérenniser. Comme dit l'adage : «on n'est jamais bien servi que par soi-même».