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Migration : L'Europe veut une opération militaire en Libye

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

L'Europe déclare son «humanité» et sa solidarité aux victimes fuyant les guerres et élève de plus en plus de remparts en Méditerranée : plus de bateaux et d'avions, jusque peut-être en Libye, pour contenir les victimes de guerres chez elle. Curieuse conception de la solidarité.

Que faut-il en conclure du Sommet extra-ordinaire de l'Union européenne (UE) consacré à l'examen de la prévention des drames vécus par les migrants clandestins en méditerranée et à la lutte contre les réseaux maffieux qui alimentent l'immigration clandestine ? Deux niveaux d'intervention : Sécuritaire et humanitaire. Soit, à première vue, deux stratégies contradictoires ou incompatibles. Autrement dit, peut-on dans une même opération combattre, réprimer et faire de l'humanitaire et promouvoir la solidarité ? C'est tout le dilemme dans lequel s'enferme, encore une fois, la politique migratoire de l'Europe. Jeudi à Bruxelles, les vingt-huit chefs d'Etats et de gouvernements de l'Union se sont engagés sur des décisions et actions annoncées maintes fois, depuis au moins l'année 2000 : mutualiser et augmenter davantage les moyens financiers et matériels de lutte contre les réseaux qui alimentent l'immigration clandestine ; accueillir selon les moyens de chaque pays un «quota» de réfugiés ; revoir avec les pays tiers les politiques de coopérations en matière d'immigration et de conditions de délivrance de visas etc. Concrètement, le Sommet extraordinaire de jeudi a décidé de «tripler les moyens financiers des opérations «Triton» et «Mare Nostrum» menées au large des côtes italiennes et grecques de 2,8 millions d'euros/mois à 9 millions d'euros/mois. Des pays se sont engagés à ajouter quelques bateaux de surveillance et personnels de secours pour renforcer l'action de l'agence «Frontex», en charge de la surveillance des frontières maritimes européennes. L'autre nouvelle proposition en cours d'étude concerne la possibilité pour les marines et aviations militaires européennes d'intervenir dans les espaces maritimes libyens pour détruire les embarcations de passeurs de clandestins. Cette dernière proposition requiert l'aval d'un vote du Conseil de sécurité de l'ONU. Là, la crainte d'une opposition d'un veto russe est envisagée et c'est le président français, François Hollande, qui s'est engagé à en parler avec son homologue russe, Vladimir Poutine. Enfin, sans précision et sans engagement ferme, les 28 chefs d'Etats et de gouvernements se sont dits prêts à accueillir plus de réfugiés humanitaires (fuyants les guerres et la famine). Le chiffre de 5 000 a été émis. 5 000 réfugiés pour toute l'Europe qui compte plus de 550 millions d'habitants. Du reste, au-delà de ce chiffre ridicule, on ne sait si ce chiffre concerne l'année en cours de 2015 ou un chiffre fixe pour toujours. Ainsi, les plus hauts responsables européens se sont adonnés à un drôle de «marchandage». Le président Français annonçait que la «France s'engage à accueillir de 500 à 700 réfugiés syriens». Et les Irakiens, Libyens, Somaliens etc. ? La Belgique se propose d'en accueillir «jusqu'à 250». Et ainsi de suite. Enfin, une brèche ouverte dans le «l'étroit» Accord de «Dublin II», accord qui oblige le premier pays d'accueil du réfugié à traiter, seul, la demande du réfugié et de le prendre en charge. La possibilité de lever ce «goulot» juridique est soumise à débat. Car, jusque là et selon cet accord, il est clair que ce sont les pays riverains de la méditerranée, principalement l'Italie, la Grèce et l'Espagne qui se retrouvent à accueillir et prendre en charge, seuls, les flux migratoires venus du sud de la méditerranée. Au final, l'Europe projette d'intervenir militairement dans l'espace maritime de la Libye, voire peut-être en terre libyenne pour s'attaquer aux «embarcations, chalutiers et autre chaloupes» des trafiquants, et pour ceux qui arrivent à passer les mailles du filet, les secourir et voir comment les répartir entre les 28 pays membres. A bien y regarder, ces mesures n'ont rien d'exceptionnel et risquent, à contrario, d'élever le prix des passeurs et trafiquants : ils évoqueront les mesures «draconiennes» de sécurité et le risque des peines de prison qu'ils endureraient en cas d'échec, pour monter les enchères du «droit de passage». Ce qui frappe dans les conclusions de ce Sommet extraordinaire, c'est l'absence totale de référence aux causes et raisons de cette soudaine augmentation de «traite humaine» en méditerranée : les guerres engagées par ces mêmes pays européens et l'échange économique inégal, y compris avec les pays où il n'y a pas (encore) de guerre. Exception faite du chef de l'Etat français qui en a fait allusion en déclarant que : «l'opération militaire contre la Libye a été très mal préparée». Piquant au passage son ex et futur rival à l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy. François Hollande oublie qu'il a soutenu fermement et aveuglement, Sarkozy dans son aventure libyenne. Jeudi à Bruxelles, il n'y a pas eu de miracle, de courage de reconnaissance de la responsabilité européenne dans les drames en méditerranée et encore moins de solidarité humaine. Il n'y a que du sécuritaire, surtout du sécuritaire, jusque chez et dans ce reste de la maison libyenne.