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L'Europe face au radicalisme islamiste : L'impasse

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

L'Europe semble découvrir, soudain, l'ampleur du phénomène de la violence terroriste au nom de l'islam. Elle y répond en traitant les effets de la propagande islamiste qui génère le terrorisme et très peu les raisons profondes de sa propagation.

Comme aspirée par une sorte de tourbillon politique, l'Europe ne pense et n'entreprend plus rien comme action politique sans tenir compte du «fléau du siècle» : la radicalisation de jeunes musulmans, candidats potentiels au djihad et aux attentats terroristes. Le choc des attentats du 7 janvier à Paris contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo a semé, l'effet médias faisant, un vent de panique au sein des populations et poussé les gouvernants à multiplier les initiatives politiques et sécuritaires tous azimuts : armées dans les rues et centres sensibles, renforcement drastique des contrôles à tous les niveaux et surtout, la «lutte contre la radicalisation des jeunes». Cependant, cet engagement capital et sincère des responsables politiques se heurte déjà à l'immense interrogation : comment lutter contre le radicalisme islamiste ? Depuis deux mois, hommes politiques, spécialistes des mouvements islamistes, imams et témoins reconvertis s'expriment sur les plateaux de télévisions et dans les colonnes de la presse en général, tandis que des conférences sont données un peu partout et par tous : mouvement associatif, écoles, etc., pour constater l'ampleur des dégâts de l'idiologie islamiste, sonner l'alerte de toutes les bonnes volontés sans arriver à répondre à l'autre interrogation : pourquoi l'islamisme politique ? Les thèses et antithèses se succèdent parfois dans une totale confusion: pauvreté, analphabétisme, injustice sociale, racisme, conflit israélo-palestinien, l'Irak, la Syrie, les réseaux mafieux, des régimes arabes promoteur du terrorisme, etc. Il y a même ceux qui estiment que le monde va vers l'inévitable «clash des religions» ou des «civilisations», c'est selon. Et au-delà de ces constats et explications, la double question de départ reste entière : pourquoi le radicalisme islamiste et le terrorisme et comment y parer ? Chaque pays européen annonce quelques initiatives. En France, ce sont le monde de l'éducation et les institutions de cohésion sociales qui prennent l'avant-garde pour parer au fléau de la radicalisation. La Belgique, elle, se distingue par son originalité : la fin des cours de religions dans les écoles publiques et leur remplacement par un cours général d'éducation civique et citoyenne. Quant aux jeunes radicalisés ou en voie de l'être, l'initiative se prête à quelques équivoques et «bizarreries : le gouvernement fédéral a décidé de répartir les jeunes (ou moins jeunes) prisonniers radicalisés qui se trouvent dans une même prison, au travers de quatre prisons. En revanche, ceux qui sont en voie de radicalisation seront rassemblés dans une même prison et isolés des autres détenus. Ensuite, une opération de formation d'agents pénitentiaires spécialement chargés de surveiller ces détenus, et recruter plus d'aumôniers musulmans chargés de «dé- radicaliser» les potentiels djihadistes. Enfin, les institutions de base du royaume sont mises à contribution : les communes ont installé une «plateforme» de prévention où collaborent régulièrement éducateurs de rues, assistants sociaux, agents de prévention et agents de police locale, etc., avec l'objectif d'occuper le terrain par des actions visant à plus de cohésion sociale et de prévention des risques de criminalité.

Aussi sincère soit-elle, l'initiative belge demeure «classique», c'est-à-dire comptant sur un «effet fouet» des décisions prises et la pédagogie anti-islamiste pour éradiquer les «causes profondes et complexes» de la violence terroriste au nom de l'islam. Par ailleurs, le fléau de l'idéologie islamiste n'est pas conscrit dans les seules prisons. Il est plus mobilisateur hors prisons, dans la société au travers de mille et un vecteurs de propagande. Et puis sortir les jeunes les plus radicalisés (irrécupérables ?) de la prison où ils sont rassemblés et les répartir sur quatre autres prisons ne risque-t-il pas la «contamination» ou l'effet multiplicateur ? Et puis, il faut bien les libérer un jour puisque ils ont des condamnations courtes ou moyennes : ils sortiront avec plus de haine et de conviction et se présenteront comme la «preuve vivante» de ce qu'ils estiment comme une injustice, une discrimination, voire de racisme des Européens envers les musulmans. L'approche belge est, certes légitime et nécessaire, mais elle n'arrive pas à comprendre pourquoi et comment devient-on un fou de Dieu violent, haineux et terroriste potentiel. Il lui manque le «ressenti, l'intériorisation et la compréhension» de la culture, du «ressenti et de l'intériorité» du musulman. Ce dernier n'est pas, contrairement à ce que l'on croit, «isolé» de la société et matraqué par la seule idéologie islamiste. A ce titre, les responsables politiques et ceux des médias devraient regarder un peu «chez eux» la façon dont ils traitent, dans un flot d'informations incessantes, des faits de société : le sensationnel le dispute à la mise en évidence du moindre fait divers. Les journaux télés ouvrent, sans arrêt leurs journaux sur des faits de violence, de criminalité de «coin de rue ou de bar» et clôturent avec des images atroces de guerre en Syrie, Libye, Afrique, etc. Les choix éditoriaux et lignes de partage sont marqués par manichéisme et un dualisme primaire: eux contre nous ; liberté contre responsabilité ; modernité et temps anciens.

Face à un tel climat de peur entretenu et d'interprétation tendancielle de ce qui relève des musulmans, de leur façon de vivre et de leur culture, que peut faire un aumônier dans une prison, un éducateur de rue ou un assistant social ? Sans sous-estimer l'importance des initiatives prise par les gouvernants, il reste que l'approche et le traitement du fléau de l'islamisme politique et ses excroissances telles la violence et le terrorisme exigent une analyse pluridisciplinaire couplée à une véritable révolution des politiques nationales et européennes sur plusieurs plans : sociétal, économique, diplomatique (avec les pays musulmans), etc. Parce que notre monde vit un vrai basculement historique de civilisations dans des circonstances violentes qu'il ne faut pas isoler le phénomène terroriste dans une simple approche d'éducation pédagogique ou sécuritaire. Le défi pour le monde moderne est immense.