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A quoi joue-t-on à l'école ?

par El Yazid Dib

Le temps n'est plus à la marelle ou à la corde. Le jeu fait aux enfants n'est pas un jeu d'enfants. C'est un enjeu. On y joue de l'avenir d'une génération. La recréation est répétitive, les vacances ne sont plus grandes mais longues.

De grève en grève, l'école n'a pas l'air de terminer ses classes. Dans ces conditions sempiternelles de fronde, elle est devenue presque une chose unilatérale, monstrueuse et dévoreuse d'innocentes frimousses. Cette école n'attire maintenant l'attention non pas par la prouesse de ses éléments ou l'éclatante avancée pédagogique mais par ce terme honni et trop rabâché de: grève. Ce mot, d'ailleurs inadéquat en rapport à ce qui se pratique, est rentré dans l'emploi du temps comme une matière. Certains «patrons» de grévistes jubilent à voir ces taux monter crescendo d'une wilaya à une autre. Les diverses corporations syndicales en font une rivalité. L'un exulte, l'autre dément.

Ce sont en fait les élèves qui en pâtissent. L'école est devenue un carcan obligatoire dans le cou parental, des menottes dans la tète des chérubins. Car au bout du cursus, ils sont guettés et vite happés par l'oisiveté et la déperdition scolaire. C'est une question d'avenir. Une raison d'Etat. C'est par ces « cours » de pertinence à l'arrêt du travail que l'enfant commence déjà à entrapercevoir l'embryon de la protestation. Il grandit avec. Prenant l'exemple, sa muse s'excite à l'adolescence et le souvenir d'une enfance subie sur les bords d'une classe inanimée restera un leitmotiv décidé à sa prise de conscience. Sa citoyenneté enfantine s'investira dans son comportement adulte et mature.

Il saura que la «grève» durant ses meilleures insouciances n'était qu'un mode opératoire de pouvoir rouspéter une situation cependant controversée. Les enfants sont une pâte à modeler, une toile vierge, l'enseignant un artiste. S'ils sont la matrice de ce jour, ils refléteront incessamment le miroitement d'un demain pas trop rassuré. Tu sèmes ce que tu récoltes. Du germe dépend la moisson. La variété conditionne la qualité. Alors à quoi joue-t-on à l'école ?

 Cette nouvelle mentalité de faire intentionnellement sécher les cours déjà secs ne milite pas à une solidarité générale. L'acte ainsi exercé, en dépit d'une certaine culture de la contestation, n'est non plus compris dans la morale professionnelle. C'est de l'encasernement du savoir.

Un enseignant gréviste est censé se positionner dans sa salle de cours et s'abstenir de le dispenser. Et non pas se rendre dans les moments crépusculaires pour essayer d'illuminer dans des garages les ténèbres encombrant le même élève qu'il présumé éclairer de jour. Ce recours aux cours extra-collège inédit dans les annales de l'ancienne école algérienne est pris, dans la croyance des scolarisés tel un devoir religieux. Impératif et souvent contraignant, sauf qu'il manque de foi et de bonne foi. Pour le rendre comme jadis, cet enseignant qui renâcle, cet éducateur qui récrimine doit être aussi pour son élève un maitre à penser, un modèle à suivre et non à fuir. L'envie d'avoir une ambition ne se prend plus sur les bancs d'école. Personne n'a l'appétence de ressembler à cet instituteur que l'on montre en y faisant bon dos éternellement insatisfait. Il n'inspire plus. Il n'est plus cet inventeur de rêves candides, le premier cliché réussi pour une projection de lendemains heureux.

Dénigrée, parfois mal représentée, toujours jetée en pâture et rendue coupable de tous les adversités minant la société ; l'école évolue dans des enjeux malotrus. Elle est une autre affaire de gaz de schiste non encore élucidée. Elle est plus pernicieuse que la chute du Brent ou la rigueur budgétaire. La trinité qui divise l'école est inégale. Sans véritable intention de vouloir améliorer les choses, les choses ne s'amélioreront pas d'elles mêmes. Les discours, la jovialité dans le verbe ou les fausses prétentions n'iront pas vers les chemins espérés par des enseignants mal évalués et des écoliers hypothéqués et une tutelle agissant dans la flexibilité.

La pression est tellement alambiquée et rébarbative que tout le dialogue redevient stérile. L'acharnement et le retour de l'un après l'autre syndicat à des «revendications» compliquées et l'indécision du ministère compliquent l'existence scolaire.

Pourtant le oui ou le non sont des mesures claires à toutes les résolutions.

Mais de là à en faire dans le temps, dans l'espoir, dans l'ajournement, dans les commissions, dans les séances de travail ; le bout du tunnel n'est pas totalement prêt à apparaitre de si tôt.

L'on doit comprendre que le fait actuel de l'école échappe de par sa dimension à l'emprise d'une seule ministre. L'issue n'est pas sous son exclusive main. Bien des ministres, anciens et partants au lieu d'être des pédagogiques en chefs s'étaient vus en mauvais négociateurs d'un pacte social au lieu d'une charte éducative. Venus d'un horizon académique, ils se retrouvent face à un espace polémique. Ici la parole est plus congrue que l'équation ou la preuve par neuf. Alors que l'anthropologie y perd sans doute tout égard. Le temps consommé à épier et gérer le baromètre des grèves était plus conséquent que celui dépensé dans la profondeur des programmes et des cursus assurés. Le ministre de l'éducation nationale doit avoir le rang d'un premier ministre chargé de l'école rattaché directement à la présidence. C'est, fort de toutes les prérogatives régaliennes qu'il pourra transcender le spectre qui hante depuis longtemps le corps souffreteux de l'enseignement général.