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LE BONHEUR PERVERTI

par M. Abdou BENABBOU

Un flash-back: aux confins de l'Inde dans une ville perdue, un centre commercial de quatre étages et un ascenseur pour les clients. Dès que les portes du petit monte-charge s'ouvrent apparaît à l'intérieur un adolescent au garde-à-vous. Quand la curiosité humaniste d'un étranger s'insurge pour laisser fuser une pitié et une gêne nourries par une culture du travail différente, on lui explique que des centaines de jeunes attendent devant la porte du centre commercial que l'infortuné préposé à l'ascenseur fasse la moindre erreur pour prendre sa place. En attendant, il reste enfoui presque enterré à l'intérieur, debout dans son cercueil de fer, de sept heures du matin à 22 heures tous les jours que Dieu fait.

Des exemples similaires sur l'esclavage des hommes à travers les contrées lointaines sont pléthoriques, mais il n'est pas nécessaire de catapulter l'esprit sous d'autres cieux pour appréhender cette détresse car on a fini par la croiser au pas de nos portes. La main-d'œuvre étrangère en Algérie a vite fait d'étaler dans nos rues une nouvelle philosophie du travail qui, semble-t-il, fait scandale dans le monde occidental où la mise en avant de la dignité humaine est présentée comme un crédo.

Sans la justifier, la force de la nature est implacable pour rappeler sans cesse que les humains flottants comme des graines à semer ne sont pas éparpillés sur terre pour se dorer. Et sans doute que le grand débat sur le bonheur des hommes est par essence perverti.

Les sociétés avancées sont à bout de souffle et l'on constate la montée en puissance de l'Asie. Les Chinois, les Indiens, les Malaisiens ou les Vietnamiens n'ont pas plus d'intelligence que d'autres que l'Histoire a privilégiés. On sait maintenant que toutes les littératures sur la compétitivité économique mondiale sont usées et que la prouesse des hommes ne repose pas uniquement sur leur génie. Le trop-plein de sacrifices et de sueurs a aussi du bon quand il s'agit de survie. Les réprimandes, les boycotts et les théories effarouchées des tenants des approximatifs droits de l'homme cachent mal aujourd'hui des préjugés hâtifs.

Malheureusement ou heureusement, selon les approches et les philosophies, les Asiatiques sont en train de prouver que le bonheur des hommes ne tombe pas du ciel et que c'est le travail qui enfante la dignité.