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Présidentielle en Tunisie : Un second tour sous haute surveillance

par Yazid Alilat

Le second tour de la première élection présidentielle démocratique en Tunisie, presque 60 ans après l'indépendance nationale, se déroulera sous haute sécurité, les opérations de votation seront surveillées par 36.000 soldats et 6.000 policiers avec un dispositif sécuritaire mettant en œuvre 1.800 véhicules, 6 avions-cargos, 12 hélicoptères et 4 vedettes marines. Jamais la Tunisie n'a mis autant d'espoirs que dans cette présidentielle pour asseoir définitivement dans le pays une si chère démocratie. Voici pour le décor sécuritaire, et pour ce second tour en lui même, les deux candidats, BCE (Béji Caïd Essebsi) et Moncef Merzouki partent avec des chances sensiblement équivalentes, en dépit de l'avantage pris par l'ancien serviteur des régimes de Bourguiba et le honni Zine El Abidine Benali, aujourd'hui installé en Arabie Saoudite. BCE, qui a servi durant l'ère Bourguiba son pays, puis sous le régime dictatorial de Benali, a, avec son parti Nida Tounès, fait de la lutte contre le retour d'un pouvoir islamiste en Tunisie son cheval de bataille durant une campagne électorale pas tellement emballante, selon des observateurs.

En face, Merzouki, président sortant, qui a le soutien des islamistes d'Ennahda, compte sur ce courant et ses sympathisants pour passer en force, même si au 1er tour il n'a récolté que 1,09 million de voix, soit 33,43% des suffrages, se faisant distancer par BCE pour qui 1,28 million de Tunisiens (39,46%) avaient voté. Bataille de tranchées donc entre deux candidats qui se connaissent et s'apprécient du haut de leur âge, avec un BCE qui a quand même 88 ans, et un Merzouki, qui se pose comme chantre de la démocratie et ultime rempart contre le retour des ?'Benalistes et autres tyrans'', qui a au compteur 69 ans. Hier samedi, c'était le ?'silence électoral'', période durant laquelle les deux candidats n'ont plus le droit de faire campagne, mais les Tunisiens étaient quand même dans l'attente du dernier détail qui ferait aujourd'hui la différence ; les bureaux de vote seront ouverts à partir de 8 heures du matin et jusqu'à 18 heures pour les 5,3 millions d'électeurs, nonobstant les horaires du vote à l'étranger.

La commission électorale chargée de cette élection aura jusqu'au 24 décembre pour désigner le candidat de cette votation, même si en principe, le vainqueur devrait être connu au plus tôt dimanche soir, au plus tard lundi dans la matinée. Pour autant, les pouvoirs du troisième président de Tunisie, Merzouki ayant seulement assuré une période transitoire, seront limités selon la nouvelle constitution adoptée en 2014 pour éviter tout retour à la dictature. Pour autant, ce sera à BCE, quel que soit le résultat de l'élection présidentielle, de désigner son gouvernement, puisqu'il est sorti vainqueur des législatives de novembre dernier.

Autant dire que pour le vainqueur de cette élection, des urgences incompressibles attendent la nouvelle équipe qui va gouverner le pays pour les cinq années à venir. Il y a dans la corbeille, autant le problème du chômage à résoudre au plus vite, que la relance de la machine économique, avec un intérêt particulier pour les investissements étrangers, et, sur le plan sécuritaire, faire face à la menace terroriste.

MENACE DJIHADISTE

«Notre peuple a à choisir entre deux alternatives : le retour de la troïka (le parti islamiste Ennahda et ses deux alliés, Ettakatol et le Congrès pour la République) qui a ruiné le pays durant trois ans ou d'autres gens, soucieux d'un avenir meilleur pour la Tunisie», a lancé BCE vendredi soir à ses partisans réunis à Tunis lors d'un dernier meeting électoral. Il veut notamment restaurer ?'le prestige de l'État''. Merzouki, lui, se veut être le défenseur des libertés et un rempart contre le retour de l'ancien régime que représente pour lui son rival, M. Caïd Essebsi. Mais, entre ces deux candidats, il y a surtout la menace terroriste, car cette élection est passablement chahutée par les menaces djihadistes. Dans une vidéo publiée mercredi soir, des djihadistes ralliés au groupe Etat islamique (EI) ont pour la première fois revendiqué l'assassinat des deux opposants anti-islamistes tunisiens en 2013, en menaçant de nouvelles violences. «Oui, tyrans, c'est nous qui avons tué Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi», dit dans cette vidéo un jihadiste franco-tunisien, identifié comme Abou Mouqatel, recherché d'ailleurs par la police tunisienne pour ces deux assassinats. «Nous allons revenir et tuer plusieurs d'entre vous.

Vous ne vivrez pas en paix tant que la Tunisie n'appliquera pas la loi islamique», a-t-il menacé, en appelant les Tunisiens à «prendre les armes» et à prêter allégeance à l'EI. À Tunis et partout dans le pays, pourtant, les Tunisiens sont plus préoccupés d'aller voter, et de confirmer le vent de changement démocratique qui souffle dans le pays.