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Après la génération 54, la génération 54%

par Kamel Daoud

La semaine en images. D'abord celle qui fait fureur, comme un signe du zodiaque mais dans les têtes et pas dans le ciel : Zeroual, le Président d'honneur de l'Algérie, posant avec un Algérien sur chaise roulante, souriant, en tenue algérienne de retraité, calme et serein et sans le clinquant des hommes du régime. Les internautes algériens y liront donc comme dans les lignes d'une main : un signe, une pose, un message, un coucou, un geste de la main ou un discours. Il ne s'agit que de la générosité d'un passant illustre avec un Algérien à mobilité réduite, mais cela suffit : le pays, depuis le maquis, est dans la surinterprétation massive. Tout veut dire tout et rien ne signifie rien. Zeroual n'adresse pas un message à Bouteflika, mais ce sont les Algériens qui mettent des messages dans des bouteilles qu'ils jettent à la mer avec l'espoir d'être secourus.

L'autre image ? Plusieurs, en fait : les photos de Saïdani, le kabuki. L'actuel parrain du FLN multiplie les déclarations et donc les apparitions sur les étals des journaux : ses photos sont cependant horribles. On voit, toujours, l'homme grimaçant, menaçant, haranguant, méprisant, soupçonnant. C'est la posture FLN du moment : la légitimité en jouant la colère, la force, l'agressivité : ce pays est à moi, tous les autres sont des ennemis. Il y a dans cette iconographie la colère du seigneur féodal, de la brutalité en promesse. C'est moi, c'est à moi. L'homme-parti défend une propriété. Saïdani ne sourit pas. Sourire, c'est faiblir, accepter, signifier que la guerre de libération est finie et donc que le FLN n'a plus de sens et d'utilité. Saïdani se doit donc de donner l'image d'un ancien moujadhid dans sa crispation faciale, d'un lutteur, d'un videur surtout, d'un leader et d'un défenseur de Bouteflika au-delà du simple devoir : de l'abnégation dans la servitude, du fanatisme. A force de violence, il espère construire une raison.

Une autre image ? Celle, décisive et spectaculaire, du show final de Ali Haddad après sa campagne en candidat unique à la tête du FCE. Images terribles : le bonhomme s'est fait attendre, confortablement, par «ses» ministres, pendant longtemps avant son arrivée selon la presse. Ils étaient plusieurs, avec le wali d'Alger et le patron de l'UGTA à l'attendre docilement. C'est une première dans les mœurs politiques algériennes. C'est la première fois que le régime montre qu'il a changé de main et qu'il l'assume. C'est un véritable coming out : on ne se cache plus de cette proximité longtemps honnie et taboue entre «privé» et dignitaires du régime. On la revendique et on y exprime même une hiérarchie : Haddad en Premier ministre, puis les ministres. Lui, puis le régime dont il est désormais le noyau dur et pas seulement l'électron. Le régime ne cache plus ses liens de servitude avec les oligarchies : la famille révolutionnaire s'accommode de la «famille de proximité» et y voit son avenir. Cela rappelle une étrange déception : on a longtemps espéré l'ouverture du champ audiovisuel avant de tomber sur les Ennahar et Echourouk TV qui nous font regretter la RTA. Ici, on a longtemps espéré une transition entre la génération 54 et la génération jeune, on a abouti à la génération 54%.

Avec un Président faible, un régime collégial en forme de SPA et un affaiblissement de l'opposition de rue ou de locaux, l'Alliance oligarchique n'hésite plus à prétendre des photos de groupe avec ses employés nouveaux. Jamais de l'histoire algérienne une élection de patronat n'a eu les airs d'une rencontre au sommet et d'un congrès de la Soummam alimentaire. C'est fait. C'est l'image de la décennie. Le Pouvoir est en mutation ouverte.