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La France doit reconnaître l'Etat palestinien !

par Pierre Morville

Face à l'intransigeance israélienne, la reconnaissance par le plus grand nombre d'Etat ne suffira peut-être pas mais c'est une aide stratégique essentielle. Réponse des députés français, le 28 novembre.

Deux Palestiniens armés d'une arme à feu et d'un hachoir ont tué quatre rabbins israéliens et ont blessé six autres personnes mardi 18 novembre dans une synagogue de Jérusalem avant d'être abattus par la police.

L'agression est la plus meurtrière perpétrée à Jérusalem depuis plusieurs années. Il est vrai que la Ville sainte pour les trois religions, est entrée dans un engrenage de violence. Deux jours avant l'attaque de l'édifice religieux, un conducteur de bus palestinien est retrouvé pendu par la police qui conclut au suicide. Thèse démentie par le médecin légiste : ce qui a entrainé le soupçon d'un nouveau crime raciste dans l'opinion palestinienne. En juillet dernier, des extrémistes juifs ont brûlé vif un adolescent palestinien de Jérusalem-Est, assurant avoir agi par vengeance après le meurtre de trois Israéliens. Depuis lors, Jérusalem est prise dans un climat de tension extrême, rythmé chaque nuit par des affrontements dans la partie palestinienne occupée et annexée par Israël entre jeunes jeteurs de pierres et policiers israéliens lourdement équipés.

Mahmoud Abbas a immédiatement condamné cette agression dans un lieu de prière. Pour le président de l'Autorité palestinienne, « le moment est venu de mettre fin à l'occupation et aux motifs de tensions et de violences, et nous sommes décidés à trouver une solution juste, fondée sur le principe de deux États conforme au droit international ».

Sans surprise, Benyamin Nétanyahou a promis en revanche dans une allocution télévisuelle, de dures représailles, prévenant ses concitoyens que « la guerre au terrorisme sera longue et difficile ». « Nous allons réagir d'une main de fer aux meurtres odieux de juifs venus prier, commis par d'ignobles assassins », écrivait le chef du gouvernement israélien quelques heures plus tôt, annonçant la destruction des maisons des familles des coupables d'actes terroristes.

Autre réaction classique, le secrétaire d'État américain John Kerry, en visite à Londres, a quant à lui dénoncé un acte de « terrorisme pur ». « Cela n'a tout simplement pas sa place dans le genre humain », a-t-il solennellement déclaré. On n'avait pas entendu de telles condamnations spectaculaires de la part de l'exécutif américain lors du conflit de Gaza qui entraina 2000 morts, très majoritairement dans la population civile palestinienne et la destruction quasi-totale de plus du tiers de la ville.

La classe politique israélienne dirigée par son aile ultra

Dans Jérusalem, les tensions ne risquent pourtant pas de s'apaiser : Israël a annoncé, lundi, veille de l'attentat, l'accélération des plans pour la construction de 1000 logements à Jérusalem-Est.

Ce projet a ouvertement été critiqué par la communauté internationale. L'Union européenne a appelé Israël à «revenir d'urgence» sur cette décision qualifiée de «peu judicieuse et opportune», tandis que les Etats-Unis ont critiqué une telle action, «incompatible» selon eux avec les efforts de paix entrepris dans la région.

«Nous n'accepterons aucune limitation à la construction dans les quartiers juifs à Jérusalem», a lancé Avigdor Lieberman, l'ultranationaliste ministre des Affaires étrangères israélien, lors d'une rencontre récente avec son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, à Jérusalem. « Une chose doit être parfaitement claire: nous n'accepterons jamais que la construction dans les quartiers juifs de Jérusalem soient définie comme une activité de colonisation », a rajouté le chef de la diplomatie israélienne.

Sur un échiquier politique classique, par exemple de type européen, Lieberman se situerait plus à droite que Netanyahou, lui-même situé clairement à l'extrême-droite.

Le Premier ministre israélien a ainsi très récemment assuré qu'il ferait voter à tout prix un projet de loi controversé renforçant le caractère «juif» d'Israël. «Nous allons mettre le projet de Loi sur la Nation sur la table du gouvernement. » Selon ce projet, Israël ne serait plus défini dans ses Lois fondamentales, qui font office de Constitution, comme Etat «juif et démocratique» mais comme «l'Etat national du peuple juif». Pour M. Netanyahou, c'est une réponse «à tous ceux qui doute du droit des Juifs à un Etat-Nation à eux».

Pour la plupart des observateurs, il s'agit d'une institutionnalisation de la discrimination à l'encontre de la minorité arabe israélienne, 20% de la population du pays, et avec une forte démographie.

Comme le rappelle le journal L'Orient ? Le Jour, en 2014, sur les 8 252 500 d'habitants, sans compter les 202 000 résidents non déclarés, plus de 6 182 100 sont juifs, soit 75 % de la population. Les Arabes (chrétiens et musulmans) représentent plus de 20 % de la population, avec 1 709 900 d'habitants, dont 125 000 chrétiens environ. Il reste plus de 356 500 (4,1 %) d'habitants appartenant à des minorités religieuses : chrétiens non arabes, bahaïs, druzes...

Minoritaires, les Arabes israéliens ont néanmoins le droit de voter et tiennent à la Knesset (Parlement) 12 sièges sur 120. Contrairement à leurs concitoyens juifs et druzes (130 000), ils ne sont pas obligés de faire leur service militaire. La moitié des ménages arabes israéliens vivent en deçà du seuil de pauvreté, contre seulement un cinquième des ménages israéliens et le taux de chômage y est double.

C'est néanmoins, une composante importante de la société israélienne. Mais aucun parti arabe n'a fait partie d'un gouvernement de coalition depuis la création de l'État hébreu. Un récent sondage a par ailleurs indiqué qu'un tiers des Israéliens considèrent que les Arabes qui vivent en Israël devraient être privés de leur droit de vote.

Les calculs politicards de Netanyahou

Ce qui explique peut-être qu'une partie de la classe politique israélienne flatte la partie la plus radicale de l'opinion israélienne, multipliant les discriminations, la répression, les « incitations au départ », caressant peut-être de rééditer ce qui s'était passe en 1948 : sous de violentes pressions armées, une majeure partie de la population palestinienne avait choisi l'exil vers le Liban, la Jordanie, la Syrie?

Le Premier ministre israélien a clairement exprimé sa pensée il y a quelques jours « À tous ceux qui manifestent, qui dénoncent Israël et militent pour la création d'un État palestinien, je peux dire une chose toute simple : vous êtes invités à vous installer là-bas, dans l'Autorité palestinienne ou à Gaza », a déclaré Benjamin Netanyahou lors d'une réunion avec des élus du Likoud. « Je peux vous promettre que l'État d'Israël ne mettra aucun obstacle sur votre route », a-t-il ajouté. Dehors, les Arabes israéliens ! Outre le caractère illégal et scandaleux sur le plan moral de telles déclarations, elles pêchent également par leur irréalisme : où iraient donc ces méchants palestiniens, citoyens israéliens ou Palestiniens chassés des territoires occupés pour donner leurs terres aux bons colons israéliens ? A part Gaza, la Syrie en guerre civile, au Liban qui n'en veut pas, dans le désert égyptien ?

L'autre raison du radicalisme actuel du Premier ministre israélien est son usure électorale. Comme tous les pays de la zone, Israël a vivement subi la crise économique de 2008. La population qui a vu monter le chômage est inquiète, ce qui favorise hélas, dans l'électorat hébreu, les prises de position les plus radicales. L'échec de l'opération de guerre contre la Bande de Gaza, sans résultats probants, si ce n'est de destruction et de mort, a encore accru l'isolement diplomatique d'Israël. Et Nétanyaou semble avoir perdu sa grande croisade armée contre l'Iran?

A la veille de possibles élections, alors que planent des menaces de dissolution, le Likoud, parti de Netanyahou, ne recueillerait au mieux, selon le Maariv, que 18 sièges sur 120, menaçant donc son poste de Premier ministre. Il cède donc aux revendications ultranationalistes ou ultrareligieuses des autres partis de sa coalition. «Quand il y a des élections dans l'air, Netanyahu ressent le besoin irrépressible de s'adresser aux éléments les plus extrémistes de son électorat», comment le journal Yediot Aharonot.

«Il doit être plus colon que Bennett (ministre de l'économie et chef de fil des ultrareligieux) et plus anti Arabe que Lieberman (chef de la formation ultranationaliste Israël Beiteinou)» résume Nahoum Barnéa, l'éditorialiste du journal en évoquant les deux principaux alliés de Nétanyahou dans la coalition mais qui sont aussi les adversaires politiques les plus dangereux du Premier ministre, comme candidats à son poste.

La reconnaissance : une longue route

Après l'attentat, L'ONU a appelé Palestiniens et Israéliens à la retenue, son Haut commissaire aux droits de l'Homme appelant notamment «les autorités israéliennes à ne pas prendre de mesures, comme les démolitions punitives, qui violent le droit international et pourraient encore aggraver la situation».

Barack Obama a appelé mardi Israéliens et Palestiniens à œuvrer ensemble pour apaiser les tensions après « l'horrible attaque ». « En cette période si sensible à Jérusalem, il est d'autant plus important pour les dirigeants israéliens et palestiniens et pour les citoyens ordinaires de coopérer ensemble pour apaiser les tensions, rejeter la violence et chercher le chemin menant vers la paix », a indiqué le président américain.

Sempiternels vœux pieux !

Et l'Union européenne ? Le quotidien Haaretz avait obtenu la semaine dernière, un document interne de l'Union Européenne portant sur des sanctions possibles, si Israël continuait à prendre des mesures de nature à remettre en cause la création d'un Etat palestinien viable. Ces mesures auraient pu viser des entreprises européennes contribuant aux activités israéliennes de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Mais l'information fut rapidement démentie par Federica Mogherini, la Haute-représentante de l'UE pour la diplomatie. L'UE ne prendra pas de sanctions, mais œuvrera « au dialogue entre les parties ».

Pour sortie de l'éternel bla-bla, la France «La France honorerait son nom et son rang » comme disaient les Gaullistes, en reconnaissant très vite l'Etat palestinien.

Premier pays européen de l'Europe de l'ouest à l'avoir fait fin octobre, la Suède avait vu sa décision saluée par le président de l'Autorité palestinienne comme «courageuse et historique» mais considérée «malheureuse» par Israël, qui avait rappelé son ambassadeur à Stockholm, Isaac Bachman. Les députés anglais ensuite, en avaient très majoritairement « voté le principe ». Ils seront bientôt suivis par les députés espagnols.

Le 28 novembre, les députés français sont appelés à faire de même. L'UMP a d'ores déjà décidé de s'abstenir.

Certes, « alors que la Suède a officiellement reconnu la Palestine, la proposition française, à l'instar de la britannique, n'a pas de portée contraignante. Mais sa portée symbolique est réelle, surtout venant d'un pays qui, au sein d'une Europe paralysée, se targue d'avoir toujours eu un rôle précurseur sur le dossier israélo-palestinien » note le quotidien Le Monde.

La reconnaissance de l'Etat de Palestine est une longue route, nous explique le site islamiste Ajib : « c'est à Alger, que le Conseil national palestinien adopte le 15 novembre 1988 lors de sa dix-neuvième session la déclaration d'indépendance de la Palestine. Dès lors, s'en suit une série de reconnaissance de la quasi totalité des pays arabes et africains ainsi que ceux du bloc des non-alignés et du bloc Soviétique tels que l'Angola, l'Indonésie ou encore la Russie et le Vietnam ». C'est plus de 82 pays qui reconnaissent alors, dès 1988 l'Etat de Palestine. Il faudra attendre les années 2000 pour voir une nouvelle vague de reconnaissance venue d'Amérique Latine (Venezuela, Argentine, Pérou?) Au total, la Palestine est reconnue par 135 pays.

Il faut noter que sept membres de l'Union européenne l'avaient fait mais ce, avant leur adhésion à l'UE ! Il s'agissait de la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, Malte et Chypre.