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Le bâillement et la future Constitution

par Kamel Daoud

Le sujet du jour est difficile à « vendre » : la Constitution. Ce vieux texte que l'on viole si bien et depuis si longtemps qu'on ne peut pas en parler, aujourd'hui, sans faire bâiller. Le chroniqueur a donc un peu relu l'ancienne version et ce que propose le projet de la prochaine : une ou deux curiosités sur le FLN désigné comme père du peuple (pourquoi y revenir ?), sur les juges qui pourront se plaindre qu'on leur téléphone et sur le vrai-faux vice-président de Bouteflika et sur la limitation de mandats de Président. D'autres détails ? Déclaration de patrimoine obligatoire, parité hommes - femmes, libertés de culte et le détail « pacifique » qui doit désormais être associé à liberté de réunions (maligne réserve qui ouvre droit au refus et à la répression). Mais déjà le lecteur commencera à bâiller. La raison ? La Constitution n'est pas un livre qu'on lit avec plaisir (tant elle a servi à tous et à tout) et pas une belle historie qu'on écoute et pas un grand texte puisqu'on ne le respecte pas.

Donc le projet de loi part déjà sur son manque de charme et de séduction et sur sa faiblesse : Le Président y est encore Roi, il désigne tout et tous et toutes. Comme l'a remarqué un Algérien, le Conseil des juges n'est pas libre et autonome, la séparation des pouvoirs n'y est pas claire, le Parlement du peuple ne pèse pas devant un décret d'El Mouradia, les pouvoirs de nomination ne consacrent pas l'autorité des électeurs, la centralisation y est excessive. On y notera des amendements visant à affaiblir les polices parallèles et les pouvoirs occultes locaux mais pas plus.

Le souci est que pour intéresser les Algériens à ce texte à venir, est qu'il faut y être audacieux, sincère, concret et crédible. La révision de la Constitution part sur un mauvais départ : la nomination de Ouyahia comme médiateur et patron alors que le bonhomme n'est pas connu pour ses vertus de dialoguiste, ni pour sa neutralité politique. La révision part aussi sur la contradiction d'un Président qui décide de limitation de mandats pour les autres et pas pour sa personne. Et elle démarre sur un climat de doutes et de soupçons liés aux dernières manoeuvres, à la persistante de centres de décisions occultes, familiaux ou d'affaire dans le périmètre du Palais, et sur des scandales non résolus de corruption, sur des nominations douteuses et peu crédibles et sur l'idée d'un verrouillage politique malsain qui consacre le monologue comme dialogue national.

Autant de raisons qui mènent à penser que le prochain texte n'évite déjà pas le bâillement, le vote unanimiste que l'on va subir. Il n'y a pas consécration du consensus, association et restauration de la cofinance. On n'y tranche pas sur les grandes questions et on n'ose pas aller au-delà de quelques retouches visant d'abord à corriger le passé et non pas à garantir l'avenir. Que penser justement lorsqu'on parle de liberté de presse avec la limite de la dignité des autres quand on se souvient de ce qu'on fait les chaînes TV comme Ennahar lors des dernières élections ? Que penser lorsqu'on promet de lutter contre les corruptions ? Que dire lorsqu'on y affirme consacrer la liberté du culte et de conscience après deux mandats de chasse aux mangeurs du ramadan ?

Que dire aussi lorsque l'un des amendements explique qu'il sera interdit aux candidats à la présidentielle de se retirer de la campagne sauf en cas d'invalidation ou de décès ? On pensera que ce texte est destiné à répondre au traumatisme du régime : ceux de 62, 88, 92 et surtout 99.

Le bâillement menace donc ce projet, déjà.