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De l'orange au rouge sang

par M. Saadoune

La dernière révolution orange, celle du «Maidan», est décidément un monumental ratage qui débouche, inexorablement, vers la partition de l'Ukraine. Le «oui» massif pour le projet d'autonomie du Donbass, à l'est de l'Ukraine, même s'il est rejeté par les Occidentaux et par Kiev, est bien un signal de plus d'un approfondissement d'une crise. Le «oui» est très largement favorable à la République populaire de Donetsk, ce qui fait dire que la partition est bien en marche.

Qu'elle se passe de manière pacifique ou non, une situation de rupture existe, alimentée ces derniers jours par les actes de violence. Personne de sérieux n'ose désormais éliminer la possibilité d'une guerre civile qui, on s'en doute bien, ne fera qu'aggraver le gros clivage provoqué dans le pays par la «révolution du Maidan». Les Occidentaux ont joué dans cette affaire une partition très risquée en soutenant une «révolution» qui ne pouvait pas avoir l'assentiment de la majorité. Maidan n'ayant pas pu construire un nouveau consensus et ne disposant pas non plus d'une légitimité incontestable, les régions russophones sont entrées en rébellion. L'objectif des Occidentaux est de s'assurer d'un pouvoir antirusse à Kiev, ils l'obtiennent mais à un prix terrible pour l'Ukraine. En acceptant un saut «révolutionnaire» dans l'illégalité, ils ont ouvert la boîte de Pandore.

Après la perte de la Crimée, rattachée à la Russie, les régions de l'Est s'installent durablement dans un processus de séparation. La «victoire sur Moscou» se solde par la dislocation du pays. Le gouvernement de Kiev a qualifié «d'illégal» le référendum au Donbass, mais il est lui-même, du point de vue du droit, «illégal». Les choses se sont tellement dégradées que même l'appel de Vladimir Poutine pour retarder la tenue du référendum au Donbass est demeuré sans écho. Dans la presse occidentale, on présente ce refus d'écouter Poutine comme un jeu. Mais des reportages objectifs publiés dans certains journaux montrent bien que les choses ont évolué de manière rapide dans le sens de la partition. Au point d'ailleurs de gêner la gestion politique de la crise par Vladimir Poutine.

On se retrouve devant le paradoxe où les Occidentaux attendent de Moscou de réfréner les ardeurs des russophones alors qu'ils ont, eux-mêmes, ouvert la voie en essayant de placer un pouvoir «occidental» à Kiev. Et par la rue et non par les urnes. Même si la presse occidentale le présente comme un «ami» de Poutine afin de discréditer sa parole, l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder a établi un diagnostic implacable de la tragique erreur de l'Union européenne qui a occulté les réalités culturelles de l'Ukraine. «Depuis toujours, les gens du sud et de l'est du pays sont plutôt tournés vers la Russie et ceux de l'ouest plutôt vers l'UE? On pouvait parler d'un traité d'association, mais il aurait fallu le faire avec la Russie dans le même temps. L'erreur de départ a été de dire ce sera ou un traité d'association avec l'UE ou une union douanière avec la Russie».

Il y a un énorme vide de légitimité que les campagnes propagandistes de part et d'autre ne peuvent combler. Le seul effet de ces campagnes est en réalité d'approfondir et d'élargir le clivage d'un pays écartelé entre l'Occident et la Russie. Le délicat consensus ukrainien a volé en éclats. Même Poutine n'a pas les moyens d'arrêter la mécanique déclenchée par une énième « révolution orange » qui vire peu à peu au rouge sang.