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Le pétropulisme: une drogue nationale hallal

par Kamel Daoud

Deux moteurs pour manipuler un peuple, ses voix, son vote et son âme: la peur de l'instabilité d'abord, en premier, en avant, un peuple qui a peur de lui-même est déjà l'ennemi de lui-même et se trahira lui-même et trahira ses enfants à venir, son avenir et son âme et la vendra tout le temps et renoncera à l'exigence de ses droits.

Le second moteur ? C'est ce qu'un journal, «Courier international», a désigné par une très belle formule de junky: le pétropulisme. Cette addiction des masses au baril qui les rend toxicomanes à l'oisiveté et au chant bête et à la vanité. Cette recette d'injection d'argent et de fonds à la veine de la nation qui la rend hagarde, dépendante de la dose, pâle sous le drapeau, terrible, violente quand il y a le manque.

Le pétropulisme crée des junkys qui traînent dans les rues de leur pays, l'œil cerné, les bras ballants, la jambe traînante et la peau grise comme un mauvais temps sans pluie. Et plus on injecte du pétrole dans la veine, plus le peuple devient addictif, mou et assassin, sans dons ni métiers. Un drogué vendrait sa mère et sa peau pour sa dose et un peuple intoxiqué au pétrole en fera de même: pas de dignité, pas de calcul d'avenir, pas de générosité ni de sacrifice ni d'héroïsme. Il votera pour une seringue, un AVC, et élira un joint s'il le faut pour garder la transfusion saine et le débit puissant.

Le pétropulisme est désormais une drogue légale dans des pays comme le Venezuela, l'Arabie Saoudite, le Qatar, autrefois en Libye et dans quelques sous-républiques de l'ex-URSS. C'est une méthode d'asservissement des nations et d'attaque contre l'âme des patries et l'histoire des peuples. On y retrouve en schéma de base un Père du peuple, dictateur discret, des cercles d'appareils qui jouent les dealers et les grossistes du pétrole ou de sa rente puis, en effet domino, les classes moyennes, les patrons, les gens, les chômeurs et les oisifs et les jeunes. En économie, cela réduit l'économie à de la distribution avec importation de main-d'œuvre pour les grands chantiers et ventilation des enveloppes pour des projets inutiles, grossiers mais gigantesques et de prestige.

En politique, cela crée un faux multipartisme avec les classes moyennes généralement mises sous la menace des classes populaires et du lumpen et obligées au choix entre la sécurité ou la violence. En matière d'Etat, le pétropulisme crée l'addiction interne, mais aussi l'addiction internationale finement gérée. Quand on vend du pétrole, on achète surtout le silence, avant les céréales.

En mode de culture, le pétropulisme aime le kitsch, la «culture nationale», les mouvements d'unanimité et les chants patriotiques primaires et ennuyeux. Il fait appel à l'instinct puisque le pétrole détruit la raison et altère la perception du réel. Le pétropulisme aime le foot, pas le jeu d'échecs. Il sublime le collectif, pas les individualités remarquables.

Il adore le bilan, pas l'exploit. Le pétropulisme fait appel au ventre mais reste, curieusement, très puritain sur le sexe. Il cultive cette double vie qu'ont les drogués: le peuple est bigot, conservateur en apparence, mais pervers, salace et vicieux dans l'intimité.

En matière de démocratie, le pétropulisme est un produit unique, avec un parti unique sous forme de partis plusieurs. Il y a le pétrole et il y a les ennemis de la nation, l'Amérique, le complot, la France, l'Occident, les intellectuels, les déstabilisateurs et la main étrangère et l'ennemi interne. En règle générale, impossible d'avoir plusieurs partis dans un pays mono-exportateur. Pour les régimes du pétropulisme, vous êtes client ou vous êtes indicateur, inutile ou travaillant pour un autre patron.

C'est à travers la grille du junky qu'il faut peut-être expliquer l'immobilité d'énormément d'Algériens face au Clan, les vols, les corruptions, l'immobilité et le mandat à vie.