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Football : Les présidents de club préparent la présidentielle

par Abed Charef

Les présidents des équipes de football professionnel demandent une nouvelle exception de l'Etat. A la veille des élections présidentielles, ces dirigeants tentent d'apurer une situation financière délicate, sans pour autant montrer de signes sérieux d'amélioration dans la gestion des clubs.

Les présidents de club de football préparent la présidentielle. A leur manière. A l'issue d'une réunion tenue mercredi dernier, les dirigeants de Ligue 1 et Ligue deux ont demandé à rencontrer le Premier ministre Abdelmalek Sellal pour lui présenter notamment deux revendications majeures. Passant outre leur interlocuteur traditionnel, le ministre des Sports, et le véritable patron du football algérien, Mohamed Raouraoua, ils ont décidé d'aller plus haut, en s'adressant directement à celui qui, à leurs yeux, distribue les chèques.

Faisant état d'obstacles «entravant la réussite du professionnalisme» en Algérie, les dirigeants demandent que leurs dettes envers le fisc et la sécurité sociale soient effacées, ou au moins «allégées», c'est-à-dire partiellement prises en charge par l'Etat. Pourquoi pas ? Le gouvernement de M. Sellal distribue de l'argent à tour de bras. Entreprises publiques et privées, collectivités locales, associations «amies» sont généreusement arrosées, particulièrement quand elles montrent des dispositions à jouer le jeu dans la perspective des échéances politiques à venir. Et cela, les présidents de club de football savent le faire. Avec une équipe nationale qualifiée pour la seconde fois consécutive à la phase finale de la Coupe du monde, le football est devenu un facteur électoral de premier choix. Oum Dourmane a probablement davantage contribué au troisième mandat que n'importe quel parti. Rien n'empêche de jouer les mêmes cartes pour l'échéance d'avril 2014.

De ce point de vue, l'élection présidentielle constitue, pour les présidents de club, une aubaine à ne pas rater. Ils sentent qu'il y a un coup à jouer. Mais au lieu de demander une subvention directe, ils préfèrent se débarrasser de dettes accumulées. Avec un argument de poids : lors des deux dernières tripartites, le gouvernement a accepté un rééchelonnement des dettes fiscales et parafiscales des entreprises privées. Il a même accepté d'en effacer une partie et de prendre en charge les frais financiers induits par les prêts bancaires. Les clubs de football étant devenues des SPA, rien n'empêche qu'ils soient traités de la même manière. Ils peuvent donc bénéficier des mêmes mesures. Même si l'accumulation des dettes ne répond pas aux mêmes objectifs.

Pour les présidents des équipes de football, prises dans une course effrénée au recrutement des meilleurs joueurs, les dettes sont de simples jeux d'écriture. Aucun président n'a été contraint de payer de sa poche des dettes contractées par l'équipe qu'il dirige. Pour lui, recruter un joueur à dix millions de dinars par an revient à signer les papiers pour que l'argent de l'Etat, de la wilaya, ou d'un sponsor, soit transféré à ce joueur. Aucun dirigeant n'a pris la peine d'établir un plan de travail rigoureux, visant à lancer de véritables opérations commerciales ou de marketing, pour boucler l'année avec un budget plus ou moins équilibré.

Le résultat était inévitable. A l'exception de l'USM Alger, rachetée par un entrepreneur privé, tous les autres clubs vivent la même crise, à des degrés divers : joueurs et encadrement technique non payés, accumulation de dettes envers hôtels et entreprises de transports, oubli souvent délibéré des institutions publiques comme le fisc et la sécurité sociale. La Fédération algérienne de football a été contrainte de menacer les clubs de leur interdire tout recrutement avant le paiement de l'intégralité des salaires des joueurs.

Mais les présidents ne veulent pas lâcher le morceau. D'autant plus que, sur un autre dossier, ils ont raison : ils reprochent à l'Etat d'avoir failli à ses promesses. Lors de l'instauration du professionnalisme, l'Etat s'était engagé à financer intégralement la construction d'un centre de formation. Trois ans plus tard, cette dernière promesse reste une promesse. Aucun club n'a réussi à obtenir son centre de formation. Incompétence, dysfonctionnement institutionnel, différends nés autour de la propriété de ces infrastructures : de nombreux facteurs ont contribué à bloquer cette initiative. Un dirigeant de club a affirmé que son dossier est «ficelé», mais que le wali ne sait pas à qui il doit transférer le terrain et les fonds nécessaires pour la construction du centre de formation. A la SPA, ou à l'association à but non lucratif ? A qui appartiendra le centre de formation ? Le conflit qui se poursuit pour le contrôle du Mouloudia d'Alger, malgré le départ du célèbre Omar Ghrib, montre l'âpreté de la bataille autour de ces enjeux.

Omar Ghrib avait précisément été le révélateur de ce degré zéro de la gestion des clubs de football. Mais dès le lendemain de son limogeage, les choses ont repris leur cours normal. Les présidents de club gèrent des sommes faramineuses échappant à toute rationalité économique. Ils dépensent l'argent de l'Etat et celui des sponsors avec une facilité déconcertante, et trouvent normal, au bout du compte, de demander à l'Etat encore plus d'argent. Mais peut-on le leur reprocher ? Ils sont dans l'air du temps. Comme les formations patronales, qui demandent toujours plus d'aide à l'Etat, sans se demander pourquoi l'Algérie importe toujours plus et exporte si peu, les présidents de club de foot ne se sont pas demandé pourquoi leur gestion, avec tout ce qu'ils dépensent, ne suffit pas à fournir à l'équipe nationale un seul titulaire indiscutable.