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Algérie ? France : Pour une relation qui préserve les intérêts des deux pays

par Ghania Oukazi

Le groupe pharmaceutique français Sanofi-Aventis a décidé de s'étendre davantage en Algérie, en délocalisant deux de ses unités sur le site de Sidi Abdallah, à l'ouest d'Alger, dont une qu'il exploite avec le groupe Saïdal.

« Le groupe Saïdal n'est pas concerné par l'accord que Sanofi-Aventis va parapher demain», s'est empressé de nous préciser, hier matin, un responsable dans le gouvernement. La réaction a été suscitée par l'article paru dans les colonnes de l'édition d'hier (P. 5) sur les quatre accords que les Français vont signer jeudi à Alger en marge de la visite d'Etat du président Hollande.Le groupe pharmaceutique français va faire connaître ce jeudi son nouveau projet d'investissement en Algérie. En fait, il a décidé de regrouper sur un même site deux de ses anciennes unités, celle de Aïn Benian qu'il exploite depuis le début des années 2000 et celle de Oued Smar qu'il loue et qu'il «partage» à hauteur de 70% avec le groupe Saïdal qui en détient les 30% restants.

Le groupe pharmaceutique français a acquis 6 hectares sur le site de Sidi Abdallah, une superficie qui lui permettra d'y installer les deux unités en même temps. «Les responsables estiment que l'unité de Oued Smar est mal située, d'une pierre deux coups, ils ont décidé de la déplacer en même temps que celle de Aïn Benian», nous explique une source informée. Aventis vise de produire à partir de cette dernière usine, une fois déplacée, 80 millions d'unités de princeps (molécule d'origine) tandis que celle de Oued Smar continuera à Sidi Abdallah de produire avec Saïdal des comprimés (forme sèche).

Le coût de l'investissement du princeps est de près de 70 millions d'euros. L'on précise que le projet sera réalisé dans le cadre de l'extension des unités de Sanofi-Aventis qu'il a créées au début des années 2000 après avoir conclu un accord en 1999 avec le holding chimie-pharmacie, disparu aujourd'hui.

L'on pense que le groupe français n'avait pas besoin, pour son nouveau projet, de se conformer à la règle 51/49 imposée par le gouvernement qui l'oblige à s'associer à un partenaire algérien. «Son projet d'investissement est une extension de ce qu'il avait avant, il n'est pas obligé d'avoir un partenaire national», nous disent des hommes d'affaires. «Faux !», rétorque un responsable dans le secteur économique, «les textes sont clairs, il doit en principe s'y soumettre, à moins qu'il ait bénéficié d'une dérogation spéciale». L'on nous indique que son nouveau projet a été accepté par l'ANDI, il y a près de 3 ans.

«GRAVES VIOLATIONS DES REGLEMENTS»

Aventis s'est engagé, selon nos sources, de produire en Algérie les médicaments qu'il importe. Il est rappelé qu'il est le premier investisseur pharmaceutique français à s'être installé en Algérie. L'on tient surtout à souligner que les lois algériennes obligent les investisseurs étrangers à produire localement 3 ans après leur installation. Ce qui n'a pas été le cas ni pour Aventis ni pour d'autres investisseurs étrangers.

«De graves violations des règlements en vigueur sont ainsi observées sans qu'aucune autorité n'intervienne pour rappeler à l'ordre ceux qui les commettent», s'insurgent des hommes d'affaires. Le cas du groupe français Total est, entre autres, à chaque fois évoqué. Des articles de presse rapportant des faits graves sont parus mais aucune réaction n'a été relevée du côté des pouvoirs publics. Pour rappel, Total Lubrifiants s'est installé en Algérie en 2007 pour alimenter le marché algérien. Total importe à ce titre des lubrifiants qu'il fabrique sur son site de production de la zone franche de Jabal Ali à Dubaï.  

Depuis qu'il a commencé ses opérations d'importation vers l'Algérie, le groupe pétrolier français inscrit sur le certificat d'origine qu'il doit fournir aux services des douanes nationales que les lubrifiants sont importés de Dubaï sans préciser que c'est l'une de ses unités sur place qui les fabrique. L'astuce lui permet de bénéficier d'exonérations de l'ensemble des frais de douane qu'impose la convention signée entre les pays arabes. L'une des dispositions de cette convention permet que «toute marchandise fabriquée dans un pays arabe et importée vers l'Algérie est exonérée de frais de douane», nous dit une source douanière. Cette exonération n'est, en outre, pas autorisée si la marchandise est produite dans une zone franche comme c'est le cas des lubrifiants Total produits à Jabal Ali. Total Lubrifiants profite ainsi depuis 2007 d'une exonération de 30% sur tous les produits qu'il importe depuis Dubaï (bidons de 1, 2 ou 5 litres ainsi que les fûts de 200 litres) sous l'étiquette «Produit à Dubaï».

APPEL A «UNE RELATION OBJECTIVE»

«C'est illégal !», s'exclame un responsable d'une institution qui ajoute que «non seulement il dupe l'Etat algérien, mais il fait dans une concurrence déloyale vis-à-vis des autres importateurs dont une partie ramène des produits du Maroc ou de la Tunisie».

Un grand nombre de producteurs d'huiles en veulent à Sonatrach qui, disent-ils, «refuse de nous vendre l'huile de base nécessaire à nos productions, sous prétexte que la raffinerie d'Arzew est en rénovation alors qu'elle la vend régulièrement à Total Lubrifiants Algérie (formule 15 w 40) depuis 2007 ». La fameuse «40» qui, faut-il le noter, a disparu du marché local et des stations d'essence Naftal. «Pour l'acquérir, il faut se lever à 4 du matin et faire la queue, sinon vous êtes obligée d'acheter l'huile importée», nous disait un mécanicien qui devait faire la vidange pour un véhicule. Une huile qui, faut-il encore le noter, est subventionnée par l'Etat. Il est dit du côté des importateurs que «Total Lubrifiants Algérie compte s'installer à l'ouest du pays pour produire ses lubrifiants à partir des huiles de base synthétiques de haute qualité que Sonatrach prévoit de fabriquer et de vendre avec un prix subventionné par l'Etat». Affaires à suivre par les institutions chargées de l'investissement étranger et notamment par celles censées contrôler et faire respecter la réglementation nationale en vigueur.

Autre secteur où les Français bénéficient de grands privilèges en Algérie. «Le ciel algérien est cédé à hauteur de 60% à Air France en comptant avec Aigle Azur qui est une compagnie de droit français alors qu'Air Algérie n'en détient que 40% du trafic aérien vers la France sans compter que cette direction reste fermée pour toute autre compagnie», nous disent des sources informées. Les banques françaises installées en Algérie ont, nous dit-on, «obtenu le marché gratuitement en leur accordant le financement des niches traditionnelles d'importation avec leurs lots de transferts, ce qui leur a permis dès leur arrivée de récupérer une clientèle naturelle des banques algériennes». Le gouvernement n'a pensé à privatiser les banques publiques qu'après avoir ouvert le marché à celles privées étrangères. Un haut responsable estime par ailleurs que «nous avons fait de graves erreurs dans le règlement du contentieux des assurances avec la France qui concernait plutôt la réassurance et non pas l'assurance». Responsables et hommes d'affaires appellent à « une relation objective qui préserve les intérêts des deux parties ».