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Gaz non conventionnels ou gaz de schiste : Un danger pour l’environnement et la souveraineté nationale au Sahara

par Hocine Bensaad

L’Algérie, par la voix de son ministre de l’Energie et des Mines à Houston en mars 2011 comme du PDG de SONATRACH à Paris en mai 2012 veut se lancer dans l’exploitation des gaz de schiste !

C’est un sujet très à la mode et très en vogue un peu partout à travers la planète (1). Il serait dû au prix élevé du baril de pétrole et du prix record du gaz depuis 2008 et particulièrement après la tragédie de Fukushima. Pourquoi subitement un tel intérêt ?

Il y a lieu d’abord de garder à l’esprit que les USA sont les plus grands producteurs de gaz au monde. En 2010, ils ont extrait 610 milliards de mètres cube, dépassant de loin le géant russe Gazprom. Selon de nombreux experts, ce volume a pu être atteint grâce à l’extraction de gaz de schiste par les techniques de fracturation hydraulique. Dans ce domaine, les Américains sont très avancés grâce aux travaux de recherche et d’exploration géologiques entrepris depuis les années cinquante. Ces travaux ont été entièrement financés par l’Etat. Les sociétés pétrolières et gazières n’ont pas dépensé un seul cent sur les dizaines de milliards de dollars fournis par l’Etat... et donc du contribuable!

C’est la raison pour laquelle ces dépenses ne sont pas comprises dans le prix de vente de ce gaz, ce qui aurait rendu son exploitation non rentable. Ces travaux d’exploration se sont particulièrement intensifiés depuis l’adoption en 2005 par le Congres US de la loi (dénommée «Halliburton Loophole» (2).) exemptant les compagnies pétrolières utilisant la technique fracturation hydraulique de toute supervision par l’Agence de Protection de l’Environnement (US Environmental Agency) conformément à la Loi sur l’eau potable (Safe Water Drinking Act). Les gaz de schiste servent essentiellement aux USA à la consommation locale, pour les ménages, la production d’électricité et à l’industrie car l’une des caractéristiques des gaz de schiste, c’est leur énergie calorifique. Elle est relativement faible comparée aux autres gaz.

Les compagnies gazières affirment généralement que c’est du méthane. Or le méthane est un gaz léger comparé au mélange gaz méthane-propane plus lourd et très inflammable. En fait, dans les gaz de schiste il n’y a pas que du méthane. D’autres éléments y sont présents comme l’azote et le gaz carbonique. Ce qui rend sa liquéfaction extrêmement onéreuse pouvant augmenter jusqu’à 4 fois son prix de revient!!! D’où son usage localement!

Il faut rappeler que la proportion de méthane présent dans le gaz naturel que nous utilisons est supérieure à 90% dans la plupart des gaz. Il faut savoir aussi qu’aux USA comme en Grande Bretagne et ailleurs, le prix du gaz est exprimé en British Thermal Unit (BTU). Or, lorsqu’il est question de gaz de schiste, cette mesure n’est plus employée. Le prix est exprimé en volume et non en BTU. Il est formulé sur la base de 1000m3.

Il est facturé 4 fois plus cher au consommateur américain qu’à l’industriel et le prix varie en fonction des saisons et donc de la demande. En Europe, c’est la Pologne qui se taille la première place pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste à cause de ses gisements de charbon.

Cependant, les résultats des explorations débutées en 2010, longtemps gardées confidentielles pour des raisons politiques et économiques pour faire pression sur la Russie à cause du projet du gazoduc North Stream, ont fini par révéler fin 2011 qu’elles sont sans grand intérêt.

Il n’y aurait que 20% de gaz de schiste, tout le reste est constitué d’azote et du gaz carbonique!

Il faut souligner aussi que toutes ces explorations effectuées par Exxon Mobil, Conoco, Chevron, etc., ont été financées en grande partie par les USA.

Ce genre de financement des explorations géologiques est pratiqué ailleurs dans le monde.

Les bailleurs de fonds demandent en retour, au cas où les résultats seraient négatifs, d’avoir en guise de compensation les résultats détaillés de ces explorations. On déduit aisément les objectifs d’une telle demande.

En France, grâce à la mobilisation de la société civile, une loi promulguée le 13 juillet 2011 interdit la technique de la fracturation hydraulique pour exploiter les gaz de schiste. Elle abroge de fait les permis d’exploration de gaz de schiste accordés à Total à Montélimar et à la compagnie américaine Schuepbach en Ardèche et dans le Larzac. La France mais aussi le Québec et bien d’autres pays comme la Roumanie, la Tchéquie - à l’exclusion des USA - ont déjà interdit l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste à cause des problèmes de pollution de la nappe phréatique par les produits chimiques utilisés(3).

L’Algérie, en revanche, ne semble pas mesurer l’impact catastrophique à très long terme du choix d’une telle filière. Elle se propose par la voix du PDG de Sonatrach d’investir dans les trois prochaines années 12 milliards de dollars pour le développement des gaz de schiste sur une zone de 180000km2! Cette déclaration fait suite à celle du Ministre de l’énergie et des mines en mars 2011 à Houston, durant la CERA Week, annonçant des réserves de gaz de schiste en Algérie « aussi grandes que certains des champs américains majeurs ».
Cette option comme le souligne M. Idir Ahatim dans le Maghreb Emergent du 27 février 2012 est marquée du sceau de l’incohérence:

Le développement du gaz de schiste va faire chuter de manière durable les prix du gaz conventionnel ; même les contrats à long terme ne pourront pas résister longtemps à cette dynamique. Au mieux, ils seront respectés jusqu’à échéance, mais ils ne seront pas renouvelés.

Le ministère de l’énergie et des mines est dans la posture délicate de celui qui demande à Doha, lors de la dernière réunion des pays membres du Forum des Pays Exportateurs de Gaz (FPEG), l’alignement des prix du gaz naturel sur ceux du pétrole, à parité énergétique, et qui, avec le gaz de schiste, contribue à l’émergence d’une filière rivale.

La technologie de fracturation hydraulique, incontournable pour la production du gaz de schiste, requiert des quantités considérables d’eau pour chaque puits foré.

Le Sahara étant ce qu’il est, il faudra dépenser de grandes quantités… d’énergie pour pomper du Nord vers le Sud une eau qui manque cruellement au pays.

Aucun expert au monde, n’est en mesure de garantir la préservation de la Nappe Albienne, richesse commune des pays du Grand Maghreb, de la pollution et de la dégradation irrémédiable par l’injection de produits chimiques par les compagnies pétrolières à l’affut de contrats juteux alors que leur activité est interdite en Europe.

Il est affligeant de constater qu’aucun ministère, que ce soit celui de l’agriculture, des ressources en eau, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, de l’enseignement supérieur, de la santé, n’a jugé utile de se prononcer!

QUI NE DIT MOT, CONSENT !

Espérons que le nouveau parlement aura son mot à dire et que la communauté scientifique et universitaire cesse d’être passive et de servir de caisse de résonnance à cette politique de prédation! Ce sont là quelques éléments d’information que le citoyen doit connaitre pour disposer d’une argumentation objective afin de pouvoir répliquer aux partisans de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste au Sahara, à ceux-là qui ne veulent pas révéler les préjudices et les dégâts qui seront irrémédiablement occasionnés à la nappe albienne, à l’environnement, à la santé de tous les Algériens qui n’ont point été consultés! Le Sahara n’est pas un désert sans vie ! Il a été recouvré de haute lutte, mais point pour être saccagé et livré à la prédation après avoir servi de polygone aux essais des armes nucléaires et de l’armement chimique français!

Il est utile de maintenir une exploitation intelligente, rationnelle et équilibrée de nos richesses en hydrocarbures pour préserver l’avenir des générations futures et protéger notre environnement et la souveraineté de notre territoire de la rapine et des convoitises!

* Expert /Consultant en gestion et prévention des risques de catastrophes

Références
1- Vello Kuuskraa, et al, World Shale Gas Resources: An Initial Assessment of 14 Regions Outside the United States, Advanced Resources International, Inc. prepared for U. S. Energy Information Administration, Office of Energy Analysis, U.S. Department of Energy, Washington, DC, April 2011.
2- Earthworks, Halliburton loophole, http://www.earthworksaction.org/halliburton.cfm
3. Lisa Sumi, Our Drinking Water at Risk: What EPA and the Oil and Gas Industry Don’t Want Us to Know About Hydraulic Fracturing, April 7, 2005 http://www.earthworksaction.org/library/detail/our_drinking_water_at_risk/