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Commémoration du 17 octobre 1961: Belgique : retour au front du nord

par Notre Bureau De Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

C'est une illusion que de croire que la guerre de libération nationale a quitté la mémoire de la jeunesse algérienne, elle qui crie aujourd'hui sa soif de liberté. Comme ses aînés.

Un moment de silence pèse sur la modeste salle d'accueil du Consulat d'Algérie à Bruxelles. Les paroles de l'hymne national défilent sur l'écran, le cœur accuse le rythme des tambours et la chute des cymbales : Qassamen ! Debout, hommes et femmes respirent lentement. Puis, les yeux se fixent sur le vieux Mohamed Felidj, président de l'Association des anciens militants de la fédération belge du FLN. La voix tremble : «Nous avons fait ce que nous devions faire, notre devoir. L'Algérie est libre?», explique-t-il en substance. Moins de 2 minutes son intervention.

Il «s'efface» et rejoint quelques vieux compagnons de route installés au 1er rang. La salle devient sombre et «Le silence du fleuve», documentaire relatant, en 52 minutes, les terribles événements qui ont endeuillé la communauté algérienne à Paris, le 17 octobre 1961, défile sur l'écran. Agnès Denis et Mehdi Lallaoui, coréalisateurs du film en 1991, sont allés chercher des témoignages et des archives douloureuses. Jusqu'à la fin du film, la salle reste figée, silencieuse. Puis, vient le débat.

Omar Diab, membre du bureau de l'association «Algebel» qui regroupe les Algériens de Belgique et du Luxembourg, prend la parole et fait un bref rappel des épisodes de la tragédie algérienne à Paris. Des témoignages d'anciens de la fédération du nord du FLN réveillent la mémoire des anciens et interrogent celle des jeunes d'aujourd'hui. Meziane, marqué par la guerre, est venu de Roubaix, ville du nord de la France.

Mohamed a activé dans la région de Bruxelles et du Borinage belge. Ils se connaissent bien. Les plus jeunes n'arrêtent pas de leur parler, de les questionner. Meziane a offert les rafraîchissements et les gâteaux.

Des femmes ont apporté des crêpes faites maison. Toute la salle, hommes et femmes sont retournés 50 ans en arrière : 17 octobre 1961.

«La vie est perdue contre la mort, mais la mémoire gagne dans son combat contre le néant», écrit l'historien franco-bulgare Tzvetan Todorov.

Ainsi, brusquement, le passé fait retour et c'est le 17 octobre 1961 qui remonte au présent. Il frappe aux portes de l'Algérie d'aujourd'hui et la questionne : où est-tu ? Où vas-tu ? Comment y répondre lorsque le député FLN de Belgique dans son intervention explique que la finalité du «printemps arabe orchestré par l'Occident vise, essentiellement, à la déstabilisation de l'Algérie» et d'agresser la mémoire du génocide arménien (pour quelle raison ?) par une hallucination : «pour deux chats morts en Arménie, la France tire sur la Turquie, alors qu'elle oublie ses crimes contre les Algériens.» Terrible ! A quelque chose malheur est bon, dit le proverbe. Sans le savoir, l'orateur fait le lien entre le réveil de la jeunesse d'aujourd'hui à la liberté et celui de nos aînés, ceux de novembre 54 et octobre 61. C'est donc aussi à cela que sert la mémoire : l'inaltérable et continuel besoin de liberté de l'homme. C'est donc cela aussi l'explication d'octobre 88 et ces échos qui se poursuivent, à ce jour, par villes et villages criant par l'émeute ce besoin inaltérable de dignité. Et nous qui croyions que la jeunesse est ingrate et a oublié le passé du pays alors que novembre 54 et octobre 1961 n'ont jamais quitté son cœur.