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Que nous dit l'attentat de Norvège ?

par Brahim Senouci

Le sentiment général de l'opinion est au soulagement. Il ne s'agit pas d'une opération islamiste ; c'est un Norvégien pur jus, blond, chrétien, qui en est l'auteur.

Intéressons-nous tout de même à ses motivations.

Qu'est-ce qui a bien pu pousser un jeune homme à massacrer des dizaines de ses concitoyens dans l'un des pays les plus paisibles du monde ?

Ecoutons-le.

Il dit avoir accompli cet acte pour en finir avec le marxisme et? l'Islam ! Il y a très peu de Musulmans et de marxistes sous les frimas nordiques.        Alors, quand l'objet de toutes ses haines est absent, que peut bien faire un apprenti sorcier que démange l'envie de donner libre cours à ses instincts meurtriers ?

Eh bien, il les exerce contre ses voisins immédiats dans une sorte de meurtre par substitution.

Voici le résultat de la banalisation du discours islamophobe et de la proclamation du retour aux valeurs traditionnelles supposées mises en péril par une sorte d'ennemi intérieur. Les droites européennes mais aussi, c'est nouveau, une grande partie des gauches, font des musulmans le bouc émissaire idéal et le désignent, sinon à la vindicte, du moins à l'hostilité populaire. Les leaders européens, en mal de projet, incapables de redonner du sens à l'action politique dans des pays vieillissants, criblés de dettes, choisissent délibérément la vieille technique du détournement des frustrations et des colères vers un ennemi commode.

En France, pays que les Algériens connaissent le mieux, on se souvient des croisades auxquelles a appelé récemment le ministre de l'Intérieur Guéant. On se souvient aussi du socialiste Manuel Valls se plaignant du trop grand nombre de Blacks dans les rues de sa commune. L'affaire des quotas dans le football français, celle de la double nationalité, les invitations pressantes à la francisation générale des noms et prénoms des citoyens issus de, sont autant d'éléments indiquant la dérive de la société française vers l'extrémisme de droite. Marine Le Pen a même besoin de se distinguer de la droite dite républicaine en poliçant son discours, laissant le soin à Copé et consorts de lui baliser le chemin en disant tout haut ce qu'elle pense tout bas !

Cette évolution n'est pas l'apanage de la France. L'Italie, l'Espagne, le Danemark, les Pays-Bas et bien d'autres connaissent la même évolution (peut-être le mot involution serait-il plus indiqué). L'Europe tout entière est travaillée par la tentation de la crispation et du repli, par l'idéal d'un retour à un passé fantasmé dans lequel elle faisait régner sa loi d'airain sur le monde musulman.

L'Europe en crise a peur de l'avenir. Elle a probablement raison ; sa place dans le concert des nations sera de moins en moins importante. Ainsi va l'Histoire. Si ses dirigeants ont une once de bon sens, ils s'attelleraient à accompagner le mouvement plutôt que de s'épuiser à tenter vainement de le contrecarrer. Apparemment, c'est le bon sens qui fait défaut. Les leaders européens ont choisi d'enfourcher le cheval du populisme et de gouverner en instillant la haine au cœur de leurs administrés. C'est peut-être un calcul payant à court terme. Les électeurs peuvent être séduits par un discours qui prend en compte cette mauvaise part d'eux-mêmes qui s'appelle le racisme et qui les exonère de toute culpabilité.

A long terme, c'est une catastrophe annoncée

Il y a des villages alsaciens qui n'ont jamais vu un immigré. Ils ont pourtant voté en masse pour Le Pen. Imaginons qu'un de ces villageois soit tenté d'imiter le terroriste norvégien. Pas de Musulman ni de Noir à se mettre sous la dent. Qu'à cela ne tienne. A la prochaine fête foraine, il fera la peau de ses voisins, tout en expliquant qu'il le fait pour exprimer sa haine des immigrés. C'est que la violence, du fait de la répétition et de la banalisation des discours qui la portent, finit par structurer la société. Comme elle ne peut rester éternellement à l'état latent, elle finit par exploser et emporter d'abord la société qui l'a produite. L'attentat de Norvège devrait inciter les apprentis sorciers de France, d'Italie et d'ailleurs à réfléchir sérieusement sur leurs pratiques politiques et sur les conséquences possibles de leur immense irresponsabilité.