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Regroupement de familles de disparus

par Ghania Oukazi

Une poignée de femmes a tenté hier de tenir un sit-in devant le siège de la Commission consultative nationale de la défense et de la promotion des droits de l'homme (CCNDPDH).

Elles se comptaient hier sur les doigts d'une seule main, les femmes qui représentaient les familles des disparu(e)s. «Ya houkem bladna, ouine rahoum ouledna (gouvernants de notre pays, où sont nos enfants) ?» c'est leur slogan avec bien d'autres pour réclamer la vérité sur la disparition de leurs proches enlevés durant les années 90, ces folles années où la mort avait force de loi des hommes. Il y a quelques mois, le pouvoir a décidé de les empêcher de tenir leur sit-in devant la commission de Maître Mustapha Ksentini sous prétexte que le dossier des disparus «est clos». C'était pour mettre fin à une revendication que ces familles exprimaient tous les mercredis depuis plusieurs années, pour que «nul n'oublie» comme elles le pensent.

«Ya houkem bladna, ma bioôuche oualenda (gouvernants de notre pays, nous refusons de vendre nos enfants) !», ont-elles toujours répondu à l'offre d'indemnisations que le pouvoir leur propose depuis quelques années en échange du classement de ce lourd contentieux. A l'exception de quelques familles qui ont accepté l'offre pécuniaire non sans regret, les autres, toutes les autres familles de disparu(e)s, continuent de croire qu'un jour le pouvoir «ouvrira les dossiers pour la vérité.» Ces familles brandissent les photos de leurs proches à chaque fois qu'elles arrivent à se regrouper.

Par exemple, la marche du 12 février dernier a été une occasion pour le faire et crier haut et fort leur détresse.

 Se sentant flouées par le pouvoir, refusent de baisser les bras. Elles demandent la vérité pour disent-elles toujours que «nous puissions faire notre deuil». En décembre dernier, elles s'étaient regroupées aux alentours de la Grande Poste, au centre de la capitale. Le pouvoir avait décidé pour la première d'opérer plutôt une descente de policières avec ordre de faire déloger les femmes par les femmes. Et le pouvoir répressif devient pudique?

L'option répressive «féministe»

Les femmes policières semblent être cette nouvelle invention répressive du pouvoir qu'il consacre exclusivement aux femmes révoltées. Elles sont déployées en nombre important dès qu'il y a regroupement de contestataires. En cette veille du 8 mars, journée de la femme, elles seront certainement décorées pour avoir mené à bien leurs missions répressives « féministes » en traînant à même le sol des femmes de tout âge et même enceintes, avec une hargne inouïe. Hier, elles étaient aussi devant le siège de la CCNDPDH, tout près de la place Addis-Abeba mais encore plus bas pour contenir la poignée de femmes (notamment des mères de disparu(e)s) qui étaient venues rappeler leur détresse d'une séparation forcée et féroce. Soutenues par leurs pairs -les policiers- elles constituaient ainsi toute une armada que le pouvoir a encore déployée pour empêcher toute voix de s'élever.

Révoltes d'étudiants, émeutes de jeunes chômeurs, frictions au sein des dockers précisément dans la partie «Dubaï», travailleurs d'entreprises mécontents, des paramédicaux en grève au niveau d'hôpitaux qui manquent de médicaments (même que certains de leurs services ont décidé de ne plus opérer en raison du manque de gants et de drogues anesthésiques), des politiques décidés à «marcher» chaque samedi? Le pays est suffisamment secoué pour que le pouvoir feigne de penser que «ce n'est qu'un chahut d'enfants». Les choses sont trop sérieuses et inquiétantes pour croire les «mater» à coup de dispositifs répressifs. Revendiqué depuis des années, l'état d'urgence serait donc levé «incessamment». L'on se demande pourtant s'il constitue le seul obstacle qui brime l'expression libre et contradictoire du discours officiel.

Niaiseries de pouvoir

L'on rappelle que l'ouverture des médias lourds a été ordonnée par le chef de l'Etat alors que leurs responsables continuent d'imposer leur diktat face à toute velléité de changement de l'ordre établi. Rapporté par la presse, il y a près d'un mois, la suppression de l'émission politique «Makha Essahafa (café de la presse)», diffusée tous les mercredis en direct sur les ondes de la chaîne 1, ne semble pas poser un problème de conscience aux gestionnaires. L'émission en question n'engageait que les journalistes qui y étaient invités pour commenter les événements nationaux et internationaux. Mais elle aurait terriblement gêné les gouvernants jusqu'à ordonner son arrêt. Son animateur se retrouve aujourd'hui interdit d'antenne non pas pour avoir coordonné les propos de journalistes venus commenter la rue arabe (algérienne comprise) en ces temps d'agitations décisives et historiques mais pour avoir donné son avis sur la marche du 12 février dernier à un média français. Les brimades subies par la profession font légion et ne sont pas que de «statut public». Elles s'exercent y compris au sein des rédactions des journaux privés dont les patrons s'érigent en moralisateur et en défenseur de la liberté de la presse. Bien des journalistes politiques se sont retrouvés mutés à d'autres rubriques où ils se contentent de rapporter l'information sans la commenter. Le pays souffre d'un sérieux problème de gouvernance à tous les niveaux. Interrogé par des journalistes sur la raison de la fermeture de «Makha Essahafa», cet espace de la libre parole, le directeur général de l'ENRS s'est contenté de dire que la décision a été prise par le directeur de la chaîne 1 et qu'il n'en est ainsi nullement responsable. Le ministre de la Communication a choisi, lui, de garder le silence. Il est d'ailleurs difficile de croire qu'il agirait en faveur d'ouverture d'espaces libres au sein des médias publics lourds. Ce ne serait ni sa mission ni sa conviction. Le choix des hommes responsables et soucieux de l'éthique n'a jamais été le fort du pouvoir en place. Il s'est toujours accommodé de la présence d'opportunistes, très souvent d'incultes. La fâcheuse nomination du président de l'Assemblée populaire nationale au lendemain du deuxième mandat présidentiel de Bouteflika restera dans les annales de l'histoire comme un choix d'homme qui aurait nargué toutes les morales.