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Attentat contre un proverbe

par Kamel Daoud

Bouteflika a effacé les dettes des agriculteurs. C'est de la campagne électorale, disent les uns. C'est de la justice, leur répondent certains. C'est « encenser le peuple avec sa propre barbe », explique un proverbe connu. En zappant sur le politique, on va garder l'os et y méditer : les dettes sont effacées au moment exact où le Président de la RADP l'a dit. Sans effet rétrospectif, démantelant le sens moral de la nation et convoquant une immense question universelle : le Mal paie-t-il mieux que le Bien ?

Explication : les fellahs qui ont déjà payé une partie de leurs dettes, par peur de la loi, se retrouvent dans la position peu heureuse de l'idiot. Ceux qui n'avaient pas commencé à payer, tergiversant avec la fameuse loi, ont été récompensés. En clair, un citoyen algérien honnête, craignant l'Etat et la sanction, peut mal finir, moqué par tous et y compris par ses propres enfants. Son voisin, tout aussi fellah, craignant seulement les barrages de contrôle, peut bien finir, acclamé par tous, y compris ses lointaines descendants qui s'en souviendront comme d'un Algérien qui a réussi à décocher un bien vacant cinquante ans après l'Indépendance.

Partie sur une manoeuvre, l'opération « zéro dinar, une voix » a abouti à une jonction philosophique fascinante : la consécration de l'atermoiement comme mode de survie et la sacralisation de la débrouillardise comme preuve d'intelligence. Rien qui ne soit pas déjà algérien. Beaucoup de corporations étant dans la même situation de dettes : les pêcheurs, les taxieurs, les « jeunes » nourris aux mamelles des ANSEJ et les patrons qui ont vainement demandé une réparation pour la perte de change, etc, demandent eux aussi l'effacement de leurs dettes.

Du point de vue du bien vacant, ils ont raison : pourquoi les fellahs et pas eux ? Il n'y a pas de réponse, même si le Premier ministre a expliqué, tant bien que mal, que les fellahs étaient otages malheureux des aléas du climat et des victimes de la couche d'ozone. Les fellahs sont plus chanceux, peut-être. Ils sont les enfants favoris du néo-socialisme, ils avaient leur portrait sur les anciens billets de 50 dinars. Ils sont la paysannerie qui vote toujours dans le bon sens et la guerre de Libération a d'abord été un mouvement rural avant d'intéresser les élites urbaines, selon une fausse mythologie nationale.

A la fin, les fellahs gagnent, mais pas tous. Ceux qui ont payé une partie de leurs dettes ne seront pas remboursés et ceux qui n'ont jamais payé ne seront pas inquiétés. Démenti frontal du proverbe « celui qui paie ses dettes s'enrichit », mort assassiné par une éponge comptable. Que vont comprendre les jeunes générations ?

1° - Quand ont fait des grèves, les sujets des examens sont plus accessibles et les correcteurs sont plus généreux.

2° - Quand on fait dans l'émeute, c'est le wali et le ministre qui viennent à vous et pas le contraire.

3° - L'avenir est une ruse, pas un futur ; le travail une corvée, pas une nécessité.

4° - Vaut mieux planter un banc dans les champs qu'un arbre dans les hauts-plateaux.

5° - Les meilleures affaires, ce sont l'argent de l'Etat.

6° - Il ne faut pas travailler mais geindre. Longuement, en remuant son bras coupé et sa jambe saignante, alors que la guerre n'est même plus un souvenir mais un passé.