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Algérie : du Haut Conseil de sécurité

par Zerrouk Ahmed*

L'agence Algérie Presse Service dans sa dépêche datée du 6 avril 2021 a fait état de la réunion du Haut Conseil de Sécurité présidé par le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, Chef suprême des Forces Armées, ministre de la défense nationale.

Il est à relever, à titre liminaire, que cette appellation «Président de la République, chef suprême des forces armées, ministre de la défense nationale» est contraire à la Constitution, est incongrue et ne fait que rabaisser le Président de la République, personne élue au suffrage universel et direct par le peuple.

En effet, une telle appellation ne sied guère au Président de la République, lorsqu'il exerce ses prérogatives fixées par la Constitution. Le Président de la République préside le Conseil des ministres (article 91/4 de la loi fondamentale)1.

Le Président de la République préside le Haut Conseil de Sécurité (article 208/1er alinéa de la loi fondamentale)2.

Cette appellation ne vaut et n'a de consistance seulement, lorsque le Président de la République cumule la fonction de ministre de la défense nationale, comme c'est le cas actuellement, et exerce effectivement ses attributions ministérielles sur l'administration militaire et l'Etat-Major/ANP. Pour être plus explicite, lorsqu'il agit en sa qualité de ministre de la défense nationale.

Quant à la prérogative de Chef suprême des Forces Armées de la République prévue par l'article 91/13 de la Constitution, elle consacre la fonction de Commandant en chef de l'Armée Nationale Populaire, inhérente au Président de la République, sur l'ensemble du commandement et de la hiérarchie militaires, y compris le chef d'état-major de l'armée nationale populaire, les commandants de forces, les commandants des régions militaires et les commandants des grandes formations de combat ; et l'engagement des forces armées de terre, aériennes, navales et de défense aérienne du territoire sur un théâtre d'opérations dans, soit un conflit circonscrit ou généralisé, soit une opération d'envergure et ponctuelle, doit être impérativement autorisée par le Président de la République. C'est lui et lui seul le Chef suprême des Forces Armées de la République et l'ensemble du commandement militaire lui est subordonné, sans aucune exception.

En conséquence, il vaut mieux se conformer à la Constitution et à la demande expressément faite le 19 décembre 2019 par le Président de la République lors de son discours d'investiture, et de l'appeler : Monsieur le Président de la République, et d'en faire état lorsqu'il agit en cette haute qualité, sans lui adjoindre aucune autre appellation. Le faire, c'est diminuer de la fonction présidentielle.

Cette précision faite, revenons au Haut Conseil de Sécurité. Cette institution consultative a été créée par la Constitution de 19764, notamment son article 125 : «Il est institué un Haut Conseil de Sécurité présidé par le Président de la République. Ce Haut Conseil est chargé de donner à celui-ci des avis sur toutes les questions relatives à la sécurité nationale.

Les modalités d'organisation et de fonctionnement du Haut Conseil de sécurité sont fixées par le Président de la République».

Il faut souligner que les dispositions de cet article relevaient du chapitre II de la Constitution de 1976 intitulé : « De la fonction exécutive», et faisaient partie intégrante des prérogatives et pouvoirs dévolus au Président de la République, Chef de l'Etat.

En 1976, l'organisation du pouvoir dans notre pays était basée sur une fonction politique qui relevait du parti unique, le Front de Libération Nationale, une fonction exécutive assurée par le Président de la République, Chef de l'Etat, qui est proposé par le congrès du Front de Libération Nationale, une fonction législative exercée par une assemblée unique : l'Assemblée Populaire Nationale, une fonction judicaire composée des tribunaux et cours avec comme organe régulateur la Cour Suprême, et la fonction de contrôle qui «a pour objet d'assurer le bon fonctionnement des organes de l'Etat dans le respect de la charte nationale, de la Constitution et des lois du pays».

La Constitution de 19895 institue le Haut Conseil de Sécurité dans son article 162, qui fait partie du chapitre II intitulé : « Des institutions consultatives».

La teneur de cet article ne diffère guère de celle de l'article 125 de la Constitution de 1976, à l'exception de la substitution des termes: «Ce Haut Conseil est chargé...» par: «Cet organe est chargé...».

Quant à la Constitution de 19966, le Haut Conseil de Sécurité est prévu par l'article 173 qui est inclus dans le chapitre II intitulé : «Des institutions consultatives». Le contenu de cet article est semblable à celui de l'article 162 de la Constitution de 1989.

S'agissant de la Constitution de 20167, le Haut Conseil de Sécurité est érigé par l'article 197, dont les dispositions sont les mêmes que celles de l'article 162 de la Constitution de 1989 et de l'article 173 de la Constitution de 1996. Il figure au sein du chapitre III de ladite Constitution intitulé «Des institutions consultatives».

La Constitution actuelle, celle de 20208, elle consacre le Haut Conseil de Sécurité dans son article 208, inclus au titre V intitulé : «Des organes consultatifs».

De légères modifications ont été apportées à la rédaction de 2016 : «Le Haut Conseil de Sécurité est présidé par le Président de la République.

Le Haut Conseil de Sécurité est chargé d'émettre des avis au Président de la République sur toutes les questions relatives à la sécurité nationale. Le Président de la République détermine les modalités d'organisation et de fonctionnement du haut Conseil de Sécurité». Une question se pose relative à l'organisation et au fonctionnement de cet organe consultatif, ils sont pris en charge par le décret présidentiel 89-196 du 24 octobre 19899, dont les dispositions sont toujours en vigueur.

Aux termes de l'article 1er de ce texte réglementaire, le Haut Conseil de Sécurité ; présidé par le Président de la République, comprend :

-le président de l'Assemblée populaire nationale,

-le Chef du Gouvernement,

-le ministre de la défense nationale,

-le ministre des affaires étrangères,

-le ministre de l'intérieur,

-le ministre de la justice,

-le ministre de l'économie,

-le chef d'état-major de l'Armée nationale populaire.

L'article 7 dudit décret présidentiel précise que le secrétaire du Haut Conseil de Sécurité participe aux réunions et dresse les procès verbaux y afférents. Il est nommé par décret présidentiel et il est mis fin à ses fonctions dans les mêmes formes.

Concernant le domaine de compétence du Haut Conseil de Sécurité, il a été circonscrit par les dispositions de l'article 4 du décret présidentiel sus cité, à toutes les questions de sécurité touchant aux domaines d'activités nationale ou internationale, notamment en ce qui concerne :

-la définition des objectifs en matière de sécurité de l'Etat,

-l'évaluation des moyens et des conditions générales de leur utilisation,

-les mesures de coordination générale dans la mise en œuvre des ressources et des moyens en ce domaine.

De ce qui précède, les remarques qui s'imposent ont trait principalement à trois (3) points :

1-la composition du Haut Conseil de Sécurité.

La composition fixée par le décret présidentiel 89-196 du 24 octobre 1989 devrait être revue pour :

? préciser : -le Premier ministre ou le Chef du Gouvernement, pour être en phase avec la Constitution de 2020, notamment ses articles 10510 et 110/1er alinéa11,

? Inclure les différents responsables des services de sécurité : le Commandant de la Gendarmerie Nationale, le Directeur Général de la Documentation et de la Sécurité Extérieure, le Directeur Général de la Sécurité Intérieure, le Directeur Général de la Sûreté Nationale ainsi que le Conseiller du Président de la République chargé des affaires liées à la défense et à la sécurité, qui participent actuellement, de fait, aux réunions du Haut Conseil de Sécurité.

? intégrer le ministre des finances du fait que la sécurité nationale nécessite, également, des moyens financiers. Certes, elle n'a pas de prix, mais elle un cout. Et, le ministre des finances a un rôle à jouer.

? enlever le ministre de l'économie, étant donné que cette fonction n'a été dévolue à aucun des ministres du gouvernement actuel12.

2-le domaine de compétence du Haut Conseil de Sécurité.

? Inclure dans le domaine de compétence du Haut Conseil de Sécurité la dimension de sécurité énergétique, économique et environnementale ainsi que la lutte contre le terrorisme et les mouvements subversifs.

3-le secrétariat du Haut Conseil de Sécurité.

? nommer le secrétaire du Haut Conseil de Sécurité.

? fixer l'organisation du secrétariat du Haut Conseil de Sécurité, si besoin est par un texte réglementaire non publiable.

4-l'appel à des compétences nationales.

? prévoir une disposition permettant au Haut Conseil de Sécurité de faire appel pour consultation, à tout responsable ou à toute personne dont les compétences et l'expertise peuvent être d'un apport aux travaux du Haut Conseil de Sécurité

*ex-magistrat militaire

Notes :

1 Article 91/4 de la Constitution : «Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le Président de la République jouit des pouvoirs et prérogatives suivants: 4)-il préside le Conseil des ministres.»

2 Article 208/1er alinéa de la Constitution : «Le Haut Conseil de Sécurité est présidé par le Président de la République».

3 Article 91/1 de la Constitution : «Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le Président de la République jouit des pouvoirs et prérogatives suivants : 1)-il est le Chef suprême des Forces Armées de la République et le responsable de la Défense Nationale».

4 In Journal officiel du 24 novembre 1976.

5 In Journal Officiel du 1er mars 1989.

6 In Journal Officiel 76 du 8 décembre 1996.

7 In Journal Officiel 14 du 7 mars 2016.

8 In Journal Officiel 82 du 30 décembre 2020.

9 In Journal Officiel du 25 octobre 1989. Il est à noter que les modalités d'organisation et de fonctionnement du Haut Conseil de Sécurité étaient auparavant par le décret 80-07 du 30 mars 1980, publié au Journal Officiel du 1er avril 1980, qui a été modifié par le décret 84-62 du 10 mars 1984, publié au Journal Officiel du 13 mars 1984, dont les dispositions ont été abrogées par le décret présidentiel 89-196 du 24 octobre 1989.

10 Article 105 de la Constitution : «S'il résulte des élections législatives une majorité présidentielle, le Président de la République nomme un Premier ministre et le charge de lui proposer un Gouvernement et d'élaborer un plan d'action pour la mise en œuvre du programme présidentiel qu'il présente au Conseil des ministres».

11 Article 110/1er alinéa de la Constitution : «S'il résulte des élections législatives une majorité autre qu'une majorité présidentielle, le Président de la République désigne un nouveau Chef du Gouvernement et le charge de former un Gouvernement».

12 Décret présidentiel 21-78 du 21 février 2021 portant nomination des membres du gouvernement