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Les limites fonctionnelles de la Terre

par A. Hafdi*

Depuis l'avènement de la révolution industrielle au 18 siècle, l'être humain s'est doté d'une industrie qui lui permit de vivre dans une aisance matérielle sans précédent. La machine l'a remplacée dans son labeur, ses conditions sanitaires ce sont améliorées, son bien être aussi même, s'il subsiste beaucoup de retards à rattraper, surtout, dans les pays en développement.

Or, comme tout le monde le sait, cet essor s'est effectué au dépend de l'environnement souvent mis à rude épreuve. Parfois par mégarde, le plus souvent dans une course effrénée pour engranger des gains substantiels, l'humain n'a cessé de dilapider les ressources naturelles sans retenue, et ce des siècles durant.

L'Homme pourrait-il continuer à agir de cette manière? La planète, la Terre, est au bord du gouffre! car, « [elle est] une petite boule toute fragile. » (CMED,1987) Elle ne supporterait pas, pour longtemps, ces activités intenses et polluantes. Donnons-nous un instant de répit et essayons de trouver un compromis pour préserver notre environnement. Les conséquences désastreuses de nos agissements se font ressentir, tant à l'échelle régionale qu'à l'échelle mondiale. L'indifférence liée au réchauffement de la Terre, la détérioration de la couche d'ozone et la désertification, à ne citer que ceux-là, menacent la biosphère et pèsent sur la survie des écosystèmes. Cette dégradation de l'environnement, considérée d'abord, comme un problème des pays riches est devenue au fil des ans une question de survie pour tous les pays sans exception.

« Nous n'avons qu'une seule et unique biosphère pour nous faire vivre. Et pourtant chaque communauté, chaque pays continue son bonhomme de chemin, soucieux de survivre et de prospérer, sans tenir compte des éventuelles conséquences de ses actes sur autrui. D'aucuns consomment les ressources de la planète à un rythme qui entame l'héritage des générations à venir. » (CMED 1987)

Toute chose a une limite, notre environnement aussi. La capacité de la terre à encaisser les nuisances engendrées par les activités anthropiques est proche des seuils à ne pas franchir, pour préserver le « fonctionnement du système terrestre ». (Rocktröm et al., 2009). En maintenant beaucoup de leurs comportements irrespectueux envers la nature, les humains, par la multiplication de leurs activités portent préjudice à l'environnement, et risquent ainsi de « déstabiliser les systèmes biophysiques critiques et de déclencher des changements environnementaux brusques ou irréversibles ».

(Rocktröm et al., 2009). Si ces humains ne tiennent pas compte des limites au-delà desquels des bouleversements peuvent survenir, ils compromettraient la survie d'une multitude d'écosystèmes qui seraient incapables de s'adapter aux nouvelles conditions et courraient inéluctablement vers l'extinction. (Rocktröm et al., 2009).

Nous assistons depuis l'avènement de l'ère industriel à un développement immodéré des industries accompagné par une abondance des activités humaines; extraction excessive des gisements fossiles, transports, surexploitation des ressources halieutiques, etc. Ces activités accentuent la pression sur notre planète et ses écosystèmes en fragilisant les équilibres écologiques. En effet, cette façon d'agir peut déboucher sur des changements environnementaux irréversibles et par conséquent, elle met en péril l'existence même de l'être humain. (Rocktröm et al., 2009)

Suite à l'énormité de cette pression anthropique n'est -il pas justifié de se demander quelles sont: « les limites fonctionnelles du système terrestre ». (Anctil. Diaz. Gagnon, 2015)

La terre étant un système biogéochimique complexe où interagissent de nombreux processus, y compris l'action humaine. Ce système est réglé de telle façon que les petits changements sur certains paramètres clefs induisent souvent des réactions, mais sans plus, ce qui laisse supposer que le système terrestre dans son ensemble est résilient. (Anctil. Diaz. Gagnon, 2015). « Cependant, qu'en réalité il existe des seuils à partir desquels ces petites modifications induisent de fortes réponses. ». (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). Et c'est là, que nous nous trouvons irrémédiablement face à ces limites fonctionnelles. Donc, pour un développement durable, il est impératif de prendre conscience de ces limites fonctionnelles d'autant plus qu'ils nous renseignent si nous disposons d'une marge d'action ou pas! pour que, la civilisation humaine, nos vies soient à l'abri du danger. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015)

«Ces limites planétaires identifiées couvrent les cycles biogéochimiques mondiaux de l'azote, du phosphore, du carbone et de l'eau; les principaux systèmes de circulation physique de la planète (climat, stratosphère, systèmes océaniques); les caractéristiques biophysiques de la Terre qui contribuent à la résilience sous-jacente de sa capacité d'autorégulation (biodiversité marine et terrestre, systèmes terrestres); et deux caractéristiques critiques associées au changement global anthropique (charge d'aérosol et pollution chimique). » (Rocktröm et al., 2009).

Les limites fonctionnelles de Notre planète

A - les Changements climatiques

« Il y a une convergence croissante vers une approche de garde-corps à 2 ° C», c'est-à-dire contenant les augmentations de la température moyenne mondiale à 2 ° C au-dessus du niveau préindustriel » (Rocktröm et al., 2009).

L'objectif est de se placer au-dessous d'une hausse de 2 degrés C, jugée juste supportable (jacquemot 2015).De ce point de vue, il est prévu, qu'une hausse de 1 degré par rapport à la moyenne de 1990 ferait subir d'importants dégâts aux coraux, alors qu'une hausse de 2 degrés désagrégerait probablement la couverture de glace de l'Antarctique        Ouest, suivie par une élévation de 4 à 6 mètres du niveau de la mer. Si cette progression franchit les 3 degrés, la circulation thermohaline profonde des océans, responsable du Gulf Stream, un courant qui redistribue la chaleur des tropiques vers l'Arctique, sera affectée. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015).

Afin de parer au réchauffement climatique, il faut limiter les dégagements des gaz à effet de serre et particulièrement les emissions de CO2 d'une part, et d'une part il est primordiale de maintenir le bilan énergétique dans un seuil viable. Les concentrations prélevées sur des minuscules poches de gaz enfermées depuis de longues dates dans des glaciers établissent des accumulations de CO2 à l'ère préindustrielle à 280 ppm. En 2012, la concentration de CO2 était estimée à 392 ppm soit 140% la valeur précitée et de loin supérieure à la limite fonctionnelle établie à 350 ppm. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015).En 2020,on observe une concentration nettement supérieure à ce chiffre.

B - L'acidification des océans

L'absorption du CO2 par les océans accentue leur acidité. Au rythme actuel, d'accroissement du CO2 dans l'atmosphère, l'acidification ne fait qu'augmenter, (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). Dans ces conditions la capacité des océans à fonctionner comme des puits de carbone sera fort limitée.

Les océans éliminent actuellement environ 25% des émission humaines (Rocktröm et al., 2009). « Le processus d'élimination atmosphérique comprend à la fois la dissolution du CO2 dans l'eau de mer et l'absorption du carbone par les organismes marins.

L'absorption océanique du CO2 anthropique n'est pas répartie uniformément dans l'espace et dans le temps. » (Rocktröm et al., 2009)

Selon certaines projections, optimistes, d'ici à l'an 2100 nous aurons une acidification supplémentaire de 0,06 à 0,07 unité de pH. Donc, ce faisant, il faut prevoir des milliers d'années pour que les océans retrouvent leur niveau d'acidité préindustriel. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). Dans ces conditions, beaucoup d'organismes ne pourront plus calcifier leurs coquilles et seront des proies faciles pour leurs prédateurs. Aussi, les récifs coralliens sont en train de subir des dommages qui se répercuteront sur les industries de la pêche et le tourisme.(Anctil. Diaz. Gagnon 2015). Enfin, L'acidification des océans constituerait une perturbation majeure des écosystèmes marins, dont les impacts sont très incertains. (Rocktröm et al., 2009)

C - Interférence avec les cycles mondiaux du phosphore et de l'azote

Bien que, l'objectif principal de l'utilisation de l'azote est d'améliorer les rendements agricoles, une grande proportion de cet agent finit par se retrouver dans l'environnement et par conséquent, elle pollue les champs, les voies navigables et les zones côtières et par là même, elle augmente la pollution atmosphérique.

Sachant que l'apport excessif des éléments nutritifs dans les eaux, entraîne une prolifération végétale, un appauvrissement en oxygène et un déséquilibre de l'écosystème. Ainsi, par l'usage désordonné de l'azote et du phosphore, l'homme ne cesse de dégrader les écosystèmes. Cet apport des nutriments générera à coup sûr des changements non désirés dans les milieux lacustres et dans les écosystèmes marins.

L'afflux de l'azote et du phosphore, couplé à la surpêche, et à la dégradation des zones côtières induiront des changements brusques et non linéaires qui influenceront le changement climatique. (Rocktröm et al., 2009)

« Il est difficile de quantifier avec précision une limite planétaire de l'apport de phosphore dans les océans qui place l'humanité à une distance sûre de déclencher une anoxie océanique délétère et répandue. » (Rocktröm et al., 2009).

D'autre part, le phosphore, joue un rôle dans l'apparition des zones océaniques déficitaire en oxygène. Cet effet tue par asphyxie des animaux fixés comme les coraux et d'autres organismes tels que les crustacés. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015).

D - Appauvrissement de l'ozone stratosphérique

L'ozone(O3) est présent dans l'atmosphère en faibles quantités dont 90 % au-delà de 10km d'altitude. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). L'ozone stratosphérique filtre le rayonnement ultraviolet du soleil. Ce mécanisme s'avère efficace pour bloquer l'effet les rayons ultraviolets (Rocktröm et al., 2009). Car, ces derniers endommagent l'ADN des plantes et des animaux au point d'être létal. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015).

Les activités humaines engendrent l'augmentation des concentrations des substances anthropiques tels que les chlorofluorocarbures (CFC). (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). Ces substances anthropiques en quantité réagissent dans l'ozonosphère et appauvrissent la couche d'ozone. C'est dans l'année 1985, que l'appauvrissement massif de l'ozonosphère au-dessus de l'Antarctique est rapporté. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). En outre, il a été révélé que l'amenuisement de la couche d'ozone stratosphérique a des impacts négatifs sur les organismes marins et présente des dangers pour la santé humaine. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015).

L'apparition du trou d'ozone au-dessus de l'Antarctique est un exemple de franchissement d'un seuil dans le système terrestre, de manière totalement inattendue. (Rocktröm et al., 2009. « Heureusement, en raison des mesures prises à la suite du Protocole de Montréal (et de ses amendements ultérieurs), nous semblons être sur une voie qui évite la transgression de cette frontière » (Rocktröm et al., 2009). On projette un retour aux concentrations de 1980 entre 2020 et 2035. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015)

E-Taux de perte de biodiversité

Malgré qu'une partie des plantes, des mammifères et des insectes a été répertoriée et documentée, il en existe beaucoup, qui ne l'ont pas été. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015) «il y en aurait entre cinq millions et trente millions au total. On conçoit que beaucoup d'espèces disparaitront avant même d'avoir été répertorié et nommés » (Anctil. Diaz. Gagnon 2015).

Des études, mentionnent que le taux d'extinction des espèces au cours du XXème siècle a dépassé de 50 à 500 fois celui qui a été constaté à partir des études des fossiles. Les principales causes de l'extinction de ces espèces sont la dégradation et la perte de leur habitat, l'introduction des espèces compétitrices, la surexploitation, les maladies et les changements climatiques. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). L'extinctions des espèces est grave, étant donné l'importance de la biodiversité pour maintenir le fonctionnement des écosystèmes et les empêcher de basculer dans des états irréversibles ou indésirables. D'autant plus que les écosystèmes avec de faibles niveaux de diversité sont vulnérables aux perturbations (telles que les maladies) et courent le risque de subir des changements de régime. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015)

Enfin, Il est hasardeux de définir une limite pour le taux de perte de biodiversité qui, s'il est franchi, pourrait occasionner des changements indésirables et non linéaires du système terrestre à l'échelle régionale ou à l'échelle mondiale.

F- L'utilisation mondiale de l'eau douce.

De l'avis de l'équipe de Rocktröm, la capacité d'autoépuration constitue une limite au système fonctionnel terrestre puisque la pollution a pour effet de perturber l'équilibre entre les communautés aquatiques.

D'autre part, les changements climatiques ont perturbé le régime et la fréquence des précipitations, et par conséquent ont influencé notre relation avec l'eau. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015) Les manipulations sur les flux de l'eau agissent négativement sur la biodiversité, la sécurité alimentaire et sanitaire ainsi que le fonctionnement écologique, et minent dangereusement la résilience des écosystèmes terrestres et aquatiques. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015)

Une limite planétaire pour les ressources en eau douce doit donc être établie pour maintenir en toute sécurité le flux d'eau verte pour la rétroaction de l'humidité et permettre la fourniture du fonctionnement et des services de l'écosystème terrestre. (Rocktröm et al., 2009).

G- L'occupation des sols.

Les conversions des terres pour l'agriculture peuvent perturber le fonctionnement biogéochimique (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). En effet, le changement dans l'exploitation foncière suite à l'expansion et l'intensification de l'agriculture a contribué au changement environnemental mondial, avec le risque accru de porter préjudice au bien-être humain. (Rocktröm et al., 2009).

Durant le dernier demi-siècle, la conversion des forêts et d'autres écosystèmes s'est poursuivie à raison d'un taux moyen de 0,8% par an, ce qui représente le principal facteur de la perte du fonctionnement et des services des écosystèmes. (Rocktröm et al., 2009).

Les experts de l'équipe de Rockstrõm conseillent une superficie de 15% du territoire comme limite à ne pas enfreindre pour le bon fonctionnement biogéochimique de la terre, malheureusement au rythme actuel de croissance de conversion de l'ordre de 1% par année, cette proportion de terre passera de 12% à15% en quelques décennies seulement. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015). Bien que les effets du changement de système foncier agissent comme une variable lente qui impacte d'autres systèmes, telles que la biodiversité, l'eau et le climat, ils peuvent également déclencher des changements rapides à l'échelle continentale lorsque les seuils de couverture terrestre sont franchis. (Rocktröm et al., 2009).

H- Chargement en aérosol

Depuis l'ère préindustrielle, les activités anthropiques ont doublé la concentration mondiale de la plupart des aérosols. Ces derniers influencent « l'équilibre du rayonnement de la Terre directement en diffusant le rayonnement entrant dans l'espace ou indirectement en influençant la réflectivité et la persistance des nuages » (Rockstrõm et al., 2009). Les aérosols peuvent également agir grandement sur le cycle hydrologique en modifiant les mécanismes qui forment les précipitations dans les nuages . (Rocktröm et al., 2009).

Considérant son effet sur la santé humaine, «la pollution atmosphérique par les particules fines est responsable d'environ 3% de la mortalité due aux maladies cardio-pulmonaires chez l'adulte, d'environ 5% de la mortalité par cancer trachéal, bronchique et pulmonaire, et d'environ 1% de mortalité par infection respiratoire aiguë chez les enfants des zones urbaines du monde entier » (Rocktröm et al., 2009).

Par leurs impacts sur le système climatique et leurs effets néfastes sur la santé humaine, les aérosols constituent une limite fonctionnelle planétaire à ne pas transgresser (Anctil. Diaz. Gagnon 2015)

I-Pollution chimique

Les composés radioactifs, les métaux lourds et beaucoup de composés organiques provenant de l'activité humaine constituent les principaux types de pollution chimique, qui affectent la santé humaine et les écosystèmes.

La pollution chimique peut influencer les limites de la biodiversité en réduisant l'abondance des espèces et en augmentant la vulnérabilité des organismes à des stress tels que; le changement climatique. (Rocktröm et al., 2009). La limite fonctionnelle pour la pollution, cible les particules fines puisqu'elles peuvent agir sur le climat en plus d'être dommageable pour la santé. (Anctil. Diaz. Gagnon 2015)

Bibliographie

-Anctil, F., L. Diaz, A. Gagnon-Légaré, 2015. Développement durable : enjeux et trajectoires. Presses de l'Université Laval, Québec, 160 p.

-Commission mondiale des Nations unies pour l'environnement et le développement (2005). « Notre avenir à tous » 5e édition, Montréal, Éditions LAMBDA, Montréal (Québec)

-Jacquemot, P. (2015) Le dictionnaire du Développement durable. La petite Bibliothèque des Sciences Humaines. Diffusion : Seuil. Auxerre

-Rockström, J., Steffen, W., Noone, K., Persson,A., Stuart III Chapin,F., Lambin, E., Lenton,T.M,, Scheffer, M., Folke,C., Schellnhuber, H.J., Björn Nykvist, B., de Wit,C.A., Terry Hughes, T., van der Leeuw, S., Henning Rodhe,H., Sverker Sörlin,S., Snyder,P.K., Robert Costanza, R., Svedin, U., Falkenmark, M., Fabry,V.J., Hansen,J., Walker,B., Liverman, D., Richardson ,K., Paul Crutzen, P., and Foley,J., (2009). Planetary boundaries : exploring the safe operating space for humanity. Ecology and Society 14,32.

*Enseignant retraité