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Pourquoi les cyberattaques risquent d'infléchir la protesta

par Reghis Rabah*

Il faut préciser d'emblée que les protestations en Algérie qui historiquement ont été pionnières dans l'avènement du printemps «Arabe», continuent de l'être aujourd'hui puisque deux «hashtag» ont été lancés en Arabie Saoudite et l'Egypte pour sortir dans les rues et prendre cette fois-ci l'excellent exemple de l'organisation et de la discipline de ce qui se déroule depuis le 22 février 2019 en Algérie.

Il s'agit du Hashtag #22 March qui circule en Arabie Saoudite pour descendre comme le fond les Algériens après la prière du vendredi 22 mars 2019 dans toutes les villes du royaume. L'autre est celui de l'Egypte le hashtag #retouràTahrir revient sur les médias sociaux au moment même où Al Sissi essaie maintenant de faire passer une loi qui lui permettrait de rester au pouvoir jusqu'en 2034. Les parlementaires qui s'y sont opposés ont été arrêtés. Le pays est à un moment clé qui risque de le voir rebasculer vers une dictature absolue. Il ya aussi une grogne au Soudan, où on assiste à un scénario à la syrienne. Le président Omar el-Béchir est poursuivi par la Cour pénale internationale de La Haye pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide. Il n'a peur de rien, tout comme Bachar al-Assad en Syrie. Si Al-Bashir le prend comme modèle, il reste en place. Grâce au soutien de l'Égypte et de l'Arabie saoudite, il peut l'envisager. Dans ce cas, le Soudan risque fort de retomber dans la guerre civile. Ce serait la quatrième dans l'histoire du pays. En somme de part les positions stratégiques de ces centres de protestation, c'est tous les pays d'Afrique et du Moyen Orient qui seront contaminés. Pratiquement, la majorité de ces protestas n'ont pas d'intermédiaires politiques ni leaders qui les contrôlent. Elles sont spontanées et le contact se fait à travers les réseaux sociaux parfois même, les protestataires jouent le rôle de la presse classique et de plus en plus, elles deviennent autonomes pour faire circuler l'information dans le monde contre laquelle la répression classique des pouvoirs publics de ces pays reste impuissante. Comme il s'agit de mouvement d'envergure et brasse large, les cyber- attaques peuvent parfois l'affecter et les exemples ne manquent pas car la plus part des artifices d'internet sont infiltrés. Cette infiltration pour divers desseins, sème la discorde, crée des dissensions dans le seul but de son essoufflement. Pour le cas des protestations qui se déroulent en Algérie, ces attaques qu'il faut considérer comme de bonne guerre sans pour autant leur donner une importance outre mesure. Le jeune dynamique Karim Tabou qui s'est montré à plusieurs reprises au côté du secrétaire général du rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a fait l'objet hier d'une cyber attaque par le biais du compte du porte parole de ce parti politique pour lui créer une zizanie que lui-même se disait étonné si ce n'est ce porte parole qui a réussi de mettre les pendules à l'heure. De la même manière on entend et on voit des vidéos qui circulent sur le décès de Bouteflika. L'une dit l'avoir vu à la morgue de l'hôpital de Genève, l'autre nous parle d'une machination diabolique et complotiste pour l'avoir fait remplacer par son frère qu'il lui ressemble, enfin on l'a enterré dans le secret total au cimetière d'El Alia.

Toute la question que ce «Hirak» exemplaire devra se poser : est pourquoi cette discorde ? Pour Karim Tabou, elle est claire ; c'est quelqu'un qui émerge de la réserve de l'élite politique par ces positions audacieuses, donc gagne de plus en plus en popularité et par voie de conséquence, il peut susciter des envieux pas seulement dans le cercle du pouvoir mais au sein de l'opposition elle-même voire des sources de ces appels anonymes. Il a quitté une réunion de l'opposition à l'initiative d'Ali Benflis en constatant que ces collègues prennent trop la constitution au sérieux et il n'a pas tort ce que nous démontrerons plus loin. Pour Bouteflika, il est bien vivant, et les images diffusées par l'ENTV sont bien réelles pour au moins deux raisons : la première est que les techniques de montage et de traitement d'images en vigueur, ne sont pas encore parvenues à créer une photo virtuelle de Nouredine Bedoui que le président n'a jamais reçu dans la forteresse de Zéralda. La seconde est sans doute le rapprochement des anciennes images de Bouteflika avec les nouvelles, est sans aucun doute éloquent. Dans les dernières, Bouteflika parait bien maigri, fatigué et avec un gonflement de ses joues. Non seulement, il est bien vivant, il reste la clé de voûte de tout le système pour ne pas employer le terme «parrain». En effet, ce n'est pas lui qui panique mais les ailes qui partagent avec lui le pouvoir qui s'affolent face à une situation qui les a surpris. Ils n'ont pas réussi à lui trouver un successeur et le mouvement populaire en cours l'a compris. L'évolution de sa revendication demeure cohérente. Elle est passée d'un «non au cinquième mandat» à « un changement du système». Toutes les offres de Bouteflika, convergent vers une mise en œuvre d'une succession et il sera contraint de revenir à la revendication populaire tant les vendredis se succèdent et confirment la transition.

1-Ces rumeurs visent un vide        institutionnel.

C'est dans ce vide institutionnel que se brouillent les cartes et éloigne les protestataires de leur objectif homogène, au demeurant réalisable. Bouteflika, même mourant, doit être responsabilisé politiquement jusqu'au 28 avril. Il a très bien fait d'arrêter la mascarade des élections et il a parfaitement raison d'invoquer «l'état d'exception» car lorsque des centaines de milliers de citoyens sortent chaque jour dans la rue, les défections se multiplient dans les institutions administratives, politiques et sociétales, on en est plus dans un «état normal». Ensuite qu'est ce qu'il l'empêcherait de le régulariser par l'application de l'article 107 de cette constitution. Il lui suffit uniquement de consulter le président du conseil constitutionnel, ceux des deux chambres et réunir le parlement qu'ils lui sont tous acquis. Donc le traiter de putschiste c'est s'accrocher au vide et dévier de sa revendication qui doit être «ferme» et «déterminée» : remplacer Noureddine Bedoui, Ramdane Lamamra et Lakhdar Brahimi par des personnalités neutres non structurés dans les partis politiques avec lesquelles Bouteflika devra impérativement «cohabiter» pour préparer la transition vers une rupture définitive avec le système en étudiant en détail toutes les conséquences qui en découlent.

2-Pourquoi l'équipe de Bouteflika ne pourra pas jouer sur le terrain de l'économie

Après un bilan économique fortement chiffré présenté par l'ex premier ministre Ahmed Ouyahia au parlement et sur toute la période de règne de Bouteflika, voilà que Ramdane Lamamra, Nouredine Bedoui et Lakhdar Brahimi s'y mettent de leur côté pour expliquer la nécessité de la «continuité» même si Bouteflika n'y sera plus. Pourtant ce quatrième vendredi consécutif de contestation nationale contre le chef de l'Etat qui a annoncé lundi le report de l'élection présidentielle prévue le 18 avril, ont été claires sur les symboles «tournez la page avec ce régime sous toutes ses formes».A Alger, même si le nombre de manifestants était difficile à établir en l'absence de chiffres officiels, la mobilisation a été au moins similaire à celle du vendredi précédent, jugée exceptionnelle par les médias et analystes algériens. Oran, Constantine et Annaba, ont également été le théâtre de mobilisations très importantes, comme la semaine dernière. Les Algériens ont aussi défilé en nombre dans de nombreuses villes, selon les images relayées par les réseaux sociaux et des témoignages. Des sources sécuritaires ont recensé des défilés dans au moins la moitié des wilayas du pays, du Nord au Sud. Cette fois ci, ce qui est un fait inédit, même le soutien externe au régime a été évoqué : «l'Elysée stop». Toute la semaine, les appels à manifester massivement vendredi ont été relayés par les réseaux sociaux, avec des mots-dièses explicites: «#Ils partiront_tous», «#Partez!». Et souvent une touche d'humour: une image conjugue le verbe «marcher»: «je marche, tu marches (...) ils partent». Jeudi devant la presse, le nouveau Premier ministre Noureddine Bedoui, qui a remplacé le très impopulaire Ahmed Ouyahia, et le vice-Premier ministre Ramdane Lamamra, diplomate réputé chevronné, ont peiné à convaincre. Sur Twitter, un internaute a remercié ironiquement MM Bedoui et Lamamra de leurs «efforts pour maintenir les Algériens mobilisés». Vendredi «c'est la conférence de presse du peuple», a écrit un autre. Une nouveauté: de nombreuses pancartes à Alger ont fustigé la France, ancienne puissance coloniale, et son président Emmanuel Macron qui a «salué la décision du président Bouteflika», tout en appelant à une «transition d'une durée raisonnable». «C'est le peuple qui choisit, pas la France», proclamait une grande banderole. «L'Elysée, stop! On est en 2019, pas en 1830», date de la conquête de l'Algérie par la France, rappelait une pancarte. Il se trouve que l'équipe choisie par Bouteflika, en panne d'argument politique, veut revenir sur le terrain économique sur lequel, pourtant leurs prédécesseurs ont bien échoué à commencer par Ahmed Ouyahia fortement hué au parlement. Malheureusement, ces chiffres de ce fameux bilan économique dont se gargarisent certains membres du gouvernement pour faire passer leurs pilules sont falacieux. D'abord au niveau d'analyse purement économique, la croissance en Algérie est du type extensif. Sa variation, dépend principalement de deux facteurs exogènes : le prix du baril et le cours du dollar américain. A raison, on nous dit avec envie que nos ancêtres ont bien choisi l'endroit de leurs tentes. Elle est accessoirement liée aussi aux conditions atmosphériques car une bonne année pluvieuse limiterait normalement la facture alimentaire. Or, aucun de ces facteurs n'a un lien avec la mise en œuvre des programmes des gouvernements ou des actions des uns et des autres. Donc, cette embellie financière n'a fait l'objet d'aucune tactique ni créativité de la part de Bouteflika et encore plus de ses différents ministres. Par contre, l'arrivée de Bouteflika en 1999 a trouvé un terrain presque assaini par les gouvernements Zeroual et ceux d'avant lui. D'une façon générale, la mise en œuvre du Programme d'Ajustement structurel (PAS) a été à l'origine d'une amélioration significative des équilibres budgétaires. Les revenus budgétaires ont augmenté profitant d'une hausse des prix du pétrole qui rappelons le constituent la variable d'ajustement majeur des équilibres. En effet, les ressources budgétaires sont essentiellement déterminées par la dynamique de la fiscalité pétrolière dont la contribution au budget de l'état s'est accrue d'environ 17 points au cours de la période 1993-2000. Une très forte rigueur budgétaire et monétaire a été menée durant la période 1994-1998 et a conduit à la maîtrise relative du taux d'inflation, des ratios monétaires et du taux de crédit. L'indice général du prix à la consommation a connu au cours de cette décennie deux périodes distinctes. La période 92-95, a été marquée par une forte progression du prix, suivie d'une deuxième période qui s'ouvre à partir de 1996 et qui assiste au déclin de l'inflation. Les chiffres portant à cette période, sont disponibles dans les différents rapports du FMI, CNES, ONS etc. Leur synthèse se trouve dans le tableau ci-après.

3-Depuis l'économie n'a fait que dériver

L'aspect fortement social sur lequel s'est basée la démarche de Bouteflika a été mis à mal par la volatilité des prix du baril. Le premier «premier ministre» que Bouteflika a choisi témoigne qu'il voulait que le responsable de son exécutif, utilise ses compétences pour «exécuter» seulement ce qu'il ordonne. La preuve après une longue amélioration du niveau de vie du essentiellement à une forte amélioration du prix du baril qui ont atteint jusqu'à 150 dollars, la trajectoire du niveau de vie du citoyen a fortement infléchie depuis 2010 si l'on se base sur la dernière étude de IESEG School of Management. Cette étude dont le résumé a été publié sur le journal Français libération, résume la démarche Bouteflika comme suit : « Le modèle de gestion appliqué par le gouvernement depuis 1999 consiste essentiellement à utiliser ses recettes issues des exportations d'hydrocarbures pour financer des dépenses publiques généreuses. Celles-ci comprennent beaucoup de dépenses sociales, dont des logements gratuits et des subventions aux achats par la population de carburants et produits de base. Ce modèle a amélioré la situation de la population et assuré une certaine cohésion sociale, surtout les 10 premières années. En particulier, la malnutrition et le chômage ont reculé. Ce modèle a aussi favorisé l'émergence d'entrepreneurs très liés au gouvernement et attachés à ce fonctionnement.»

4- il n'y a pas que la France qui se préoccupe de la protesta en Algérie

Ce qui se passe en Algérie est d'une importance capitale pour toute la rive méditerranéenne. Tout d'abord, l'Algérie est un tampon contre le terrorisme, parce qu'elle adopte une ligne dure contre l'islamisme. Deuxièmement, la côte Algérienne est d'une longueur gigantesque, presque 1300 kilomètres, et elle est très proche de l'Europe. Surtout de l'Italie et de l'Espagne. Le pays a six pays voisins et donc de nombreuses frontières le long desquelles les migrants peuvent venir en Europe. Troisièmement, l'Algérie est le troisième exportateur de gaz vers l'Europe, après la Russie et la Norvège. Pas moins de 10% gaz européen vient de là. Si ce pays s'enlisait dans le chaos, ce serait catastrophique pour l'Europe.

5- C'est une situation exceptionnelle dans laquelle le risque du chao est peu probable.

C'est surprenant malgré que l'Algérie a à sa tête un enchevêtrement opaque composé de soldats, d'hommes d'affaires et de membres du Front de libération nationale (FLN), le parti de l'actuel président Abdelaziz Bouteflika. Personne ne sait vraiment qui tire les ficelles. Les Algériens l'appellent simplement «le système». Tentaculaire, il est donc difficile de s'y opposer. Mais maintenant que les combattants de la première heure se détournent du FLN et renforcent le mouvement de protestation, les premières fissures apparaissent. Bouteflika a dit qu'il ne se présenterait plus pour un cinquième mandat, combien même il organiserait une conférence nationale pour préparer une transition démocratique et qu'il ne tiendrait des élections présidentielles qu'après, c'est une grande victoire pour les manifestants. Mais ils en veulent plus. Ils étaient de retour dans la rue ce dernier vendredi pour demander un changement radical de système politique. Ils ne veulent rien de moins que «le pouvoir» pour enrayer ce «système». En ce qui concerne l'armée, elle s'est clairement positionnée du côté des manifestants malgré son approbation au prolongement du mandat de Bouteflika. Elle suit donc l'évolution de la demande populaire et selon toute vraisssemblance, elle ne suivra pas l'offre des autres pôles au pouvoir actuellement. Elle ne veut rien savoir à ce sujet. Jusqu'à récemment, les traces de cette violence perduraient en Algérie. La peur d'une répétition était donc grande. Maintenant, et pour la première fois, il y aura dans les rues une génération qui n'aura pas consciemment vécu la guerre civile et qui ressent beaucoup moins cette peur. Il y a deux éléments importants: de quelle façon va réagir la police qui montré déjà dans diverses occasions sa sympathie avec les protestataires et jusqu'à quel point les manifestations seront pacifiques? Si l'armée dit qu'elle ne tolérera pas le chaos, elle vise le côté alarmiste du régime actuel, et au sein du mouvement de protestation on donne des ordres stricts pour empêcher que les choses ne dégénèrent. Cela donne donc de l'espoir.

*Consultant, économiste pétrolier