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Le sens de la mesure et la dérive de la démesure

par Slemnia Bendaoud

Pourquoi sommes-nous devenus si idiots ou bien transparents ? Est-ce parce que c'est la médiocrité qui tue en nous-mêmes le bon sens ? Ou est-ce parce que le ridicule a fini par achever tout le reste ?

Ne sommes-nous pas face à cette triste situation qui laisse son monde pantois ou perplexe ? Il reste que tout devient possible lorsque l'ubuesque le dispute au burlesque !

Et qu'en est-il alors du sens de la mesure et de la dérive de la démesure dans nos comportements et actions ? Pourquoi donc cette évolution à contre-sens de nos valeurs et légendaires traditions ? Pourquoi avoir tout travesti et tout perverti de ce qui semblait pourtant être l'héritage d'un patrimoine immatériel si cher ? Plusieurs indices qui convergent vers cette dépossession stratifiée et généralisée de nos valeurs humaines héritées de nos ancêtres et anciennes générations, renseignent sur nos pratiques courantes à s'éloigner au fil du temps de nos idéaux, pour épouser ces autres modèles de vie, plutôt étrangers à nos mœurs, coutumes et traditions. Au nom justement de ce saut osé à faire ou de s'installer dans le « giron de la modernité » qui nous aura dépouillés de tant de valeurs et qualités humaines !

Sommes-nous un peuple mineur au pays des Seigneurs ?

Vingt ans de sournoises réminiscences et de jeu de cartes savamment dissimulées d'un président aujourd'hui très diminué, ajoutés à de nombreuses années de grogne populaire étouffée à coup pognon déployé sans compter, n'ont finalement abouti qu'à une piètre cabale de ravale symbolique de la façade politique d'un pays depuis longtemps otage d'une déjà ancienne oligarchie. Des mois de sourds trémoussements majorés de quelques semaines de faux suspens pour tout assaisonner, et le tour est donc définitivement joué ! se disent ceux qui ont tout le temps été aux manœuvres. Ça sera exactement comme en 2014, se gargarisent-ils, avec en sus cette façon si osée qui tranche avec une misère économique comme cadeau empoisonné à la clef !

L'éphémère illusion du changement imminent s'écarte immédiatement devant tant de manifestation zélée qui se moque royalement de la forme à y mettre ou du décor à y ajouter, car guidée par une intention maline et cette tentation nourrie de garder à jamais le pouvoir, lequel refuse manifestement de changer de main ! De nouveau, la cible est lamentablement ratée. A l'image d'un coup d'épée dans l'eau, tout est donc parti en fumée ou remis à plus tard. Plutôt aux calendes grecques ! Tout est finalement figé dans le temps, de sorte que seul souffle connu et voulu reste encore en mouvement. De nouveau l'espoir, tel un nuage d'été qui disparait aussi vite qu'un éclair dans les décors, s'envole dans un vol d'étourneaux qui battent de l'aile au crépuscule du jour finissant. De nouveau, le rêve démocratique s'efface complètement pour laisser place à ces sceptiques pratiques, très anciennes et bien pérennes, d'une autocratie désormais très puissante pour s'imposer d'emblée au verdict des urnes, dont elle dicte à l'avance ses scores et ses heureux élus !

De nouveau, le ciel s'assombrit ou se voile la face ! Comme pour marquer, lui aussi, sa désapprobation et scepticisme au sujet d'un probable changement d'une attitude très vieille qui fait désormais partie des très rigides habitudes d'une solide gouvernance dont elle ne peut s'en séparer ou jamais s'en passer !

De nouveau, une atmosphère pesante et délétère écume les lieux. Comme pour annoncer ce mauvais temps récurrent de retour dans la contrée, dans le sillage de cette si vieille tradition qui a appris à se perpétuer en douceur, sans avoir à changer un tantinet de peau ou de refuser le statu quo. Dans nos esprits, ces horizons sont complètement bouchés. Regardons à présent côté jardin !

Qu'en est-il du facteur générationnel et de l'alternance naturelle ?

C'est grâce à l'odeur tonique ou à la senteur fortement dégagée à la ronde que l'on distingue la belle fleur du jour de la déjà bien vieille rose de la veille. Tellement précieuse, la fleur du jour ne dure finalement ou paradoxalement que l'espace d'un matin : celui pendant lequel elle se fait -sans jamais résister-violemment cueillir. Si méchamment anéantir... ! Et pourtant, bien avant sa mise à mort, c'est elle qui égaie le jardin de ses effluves. Ainsi est donc faite la vie des bons parfums : une vie assez prospère mais si éphémère qui nous fait longtemps rappeler son inoubliable odeur. Comme signe de son existence dans nos mœurs et coutumes. Comme le signe d'un bonheur à en disposer et d'un honneur à en profiter. Quant à la rose de la veille, celle-ci ressemble justement à celle d'un passé récent, de l'avant-veille, à quelques pétales fanés près. Pour elle, tout n'est, depuis quelques heures, pas rose. Tout se fane et se (dé)fane, à la vitesse du temps qui balaie le passé, pétale après pétale, pli suivant un autre pli.

Jusqu'à la disparition totale ou même l'extinction complète des symptômes dévoilant sa présence en nous-mêmes, de son odeur tonique, et la détérioration finale de la forme de sa composante et tissu végétal. Toutefois, c'est de cette senteur désormais connue ou reconnue de la rose de la veille, que se revendique l'espèce de la fleur du jour, dans la continuité de la famille végétale. Même si parfois -si ce n'est assez souvent- tout n'est finalement pas très parfumé alentour !

Entre la fleur du jour et la rose d'hier ou celle juste de la veille, il en a toujours été ainsi. Leur durée de vie commande ou détermine le besoin humain à disposer de leur senteur et beau parfum. C'est en fonction de ces segments de temporalité qu'agissent ces deux acteurs végétaux du monde de l'horticulture, appartenant à deux différentes générations, dont la nature même de leur espèce les place dans le plus logique prolongement de leur pérennité pour succéder l'une à l'autre dans le temps.

A ce niveau-là, nul besoin de passage de flambeau entre cette rose d'hier et cette autre fleur d'aujourd'hui. Car le temps qui passe, bien que très court dans leur propre vie, semble les départager sans trop de difficultés. C'est plutôt le vase qui tient de réceptacle à son nouveau cadre de vie qui décide seul du sort réservé à la rose de la veille. A mesure que les minutes s'égrènent, que ses pétales se rétrécissent, s'étiolent et se fanent, le valet de chambre opte de manière unilatérale pour son classement vertical. Et ce fut ainsi que disparaissent les roses de la veille avec le lever du jour naissant. Du coup, la vie de la rose de la veille ne tient qu'au comportement un peu trop pointu ou mal foutu de la femme de chambre affairée à rapidement débarrasser la demeure du Grand Seigneur des objets devenus désormais encombrants, et en premier lieu : le bouquet de roses de la veille.

Mais avant de les jeter à la poubelle, elle en exhume, aidée de ses narines grandes ouvertes, les quelques « résiduels parfums » qu'elles contiennent encore, dans l'optique d'en profiter au maximum et de satisfaire à un désir de tourner la page du jour qui s'en va allègrement. En dépit de tout ce grand bonheur que leur parfum procure à l'humanité, les fleurs ne quittent les somptueuses demeures que sur injonction des femmes de chambre et autres domestiques, faisant très difficilement dans cette alternance plutôt bien naturelle. Ce qui n'est apparemment pas le cas des générations humaines, très souvent l'une empiétant sur le temps imparti de l'autre, sinon celle-ci se croyant encore apte à gouverner au nom, lieu et place de celle-là, et que sais-je encore ? Comment donc expliquer que des figures octogénaires ou d'un autre âge reviennent-elles si promptement et aussi souvent au devant de la scène ? Ainsi donc, dans la nature même de la science dure de la pure et très sûre botanique, la rose de la veille, encore moins celle de l'avant-veille, ne pourrait en aucun cas se substituer ou même un tantinet remplacer au pied levé la toute fraiche fleur du jour. Il est donc question de ce parfum tonique ou féerique qui manquera manifestement à l'appel ! Comment donc, dans l'esprit de la nature humaine, cela peut vraiment se concevoir en dehors de cette drastique logique de la science de la biologie, sans avoir à manquer justement de ce tout nécessaire jus et obligatoire vitalité qui caractérisent autant les produits frais que les jeunes pousses et toutes nouvelles générations ?

Peut-on vraiment faire du neuf avec du vieux sans avoir à inéluctablement tomber dans la désuétude de la grande inquiétude ? Sans encore et toujours faire dans cet alibi qui hypothèque les quelques menues chances qui restent encore au pays pour sortir de ce guet-apens qui dure indéfiniment dans le temps ?

Par l'effet tragique d'une farce de très mauvais goût, cherche-t-on à tout prix après ce truchement magique qui change tout dans la vie d'une Nation ? A-t-on désormais définitivement quitté l'époque ou l'épopée de la dérision des guignolesques tambourineurs pour se transposer dans celle qui affectionne le « gel » tant naturel que politique via celle plutôt virtuelle d'un Véritable Père Noel ?

Un aussi grand Front autour duquel s'est pourtant cristallisée et fondée l'idée de libérer l'Algérie du joug colonial peut-il atterrir de cette piètre manière dans les profondeurs abyssales du jeu politique trouble et insoluble, pour ne compter que comme un simple registre ou banal gadget aux mains de ces individus qui mentent comme ils respirent et qui font du seul mensonge leur unique programme politique ?

Si le ridicule ne tue pas, il reste que dans la vie d'une aussi Grande Nation comme l'Algérie un tel phénomène ne peut être interprété que dans le cadre d'une totale régression humaine. Que dans cette perspective de se détruire soi-même ! Où peut finalement bien mener une tête surmenée ? Un esprit si retors n'est-il pas toujours dans le tort ? A-t-on vraiment conscience de cette négative attitude qui nous plombe dans le monde du ridicule ou nous plonge encore aussi longtemps et très profondément dans les dédales et méandres de notre endémique sous-développement ? Après ce si Savant et très dosé mensonge politique, va-t-on encore longtemps vivre de ces Vraies fausses promesses de nos dirigeants du moment ? Et que peut bien nous proposer ce futur immédiat qui refuse manifestement le moindre changement dans nos habitudes et comportements ? Doit-on encore croire en ses faux espoirs qui prolongent notre désespoir ?

Telles des roses fanées des années de plomb, notre présent évanescent comme notre futur obscur constituent un réel blocage à l'administration saine et juste de la chose publique, et un vrai danger pour l'Algérie de demain. A cet âge-là de nos gérontocrates gouvernants, aussi avancé et très épuisant, les décideurs de la chose publique ne cessent de verser dans le discours insensé, celui vraiment déclassé ! Leurs paroles ne sont plus nuancées ! Bien avant que l'Histoire de l'Humanité ne décide, elle de son côté, de s'en séparer de manière très violente et vraiment incommodante, n'est-il pas plus sage pour eux de quitter la scène sans tarder par respect envers cette société qui ne peut désormais plus les supporter ? Semblables à ces roses fanées de la veille, ils craignent tous ce regard fouineur et méprisant mais très consciencieux des domestiques du Grand Palais, plutôt que celui perdu dans ses songes et calculs politiques du maitre des céans.

Ils éprouvent tous cette frousse indescriptible à ne plus résister un seul instant à l'acte suicidaire que produit à leur encontre ce geste plutôt mécanique de la femme de ménage, venue souvent tôt le matin refaire comme d'habitude la chambre du Grand Seigneur. C'est la main experte et besogneuse de cette Dame mystérieuse qui met fin à leur vie. Et si les roses de la veille quittent contre leur gré le vase pour céder la place aux fleurs du jour, eux, à leur tour, quitteront à jamais ce Grand Palais, pratiquement dans les mêmes formes, grâce à un simple coup de balai !

Sans le beau parfum qu'elle dégage généreusement, toute fleur naturelle ne vaut pas plus qu'une plante quelconque, bien moins considérée qu'un vase de roses en plastique qui peut les supplanter sur le plan du design. C'est dire que déjà du point de vue de la forme, la barre est placée très haut ! Et au sujet d'une rose de la veille, que peut-on dire de plus ?

Au fait, quelle odeur laisseront-ils pour leur postérité ceux qui s'accrochent à leurs fonctions et privilèges de force ou d'autorité ? Est-il question de ce désir à éprouver du plaisir à nous les remémorer ? Ou alors de ce calvaire à toujours goûter à ce goût amer d'un règne à au plus vite oublier ?

A-t-on le cœur à fuir ou bien la tête à chanter ?

S'évader à tout prix ...? Ou encore afficher cette tête à faire la fête à la maison ? De quoi manque-t-on ? Et que cherche-t-on plutôt ailleurs qu'à l'intérieur des murs Algériens ?

Sommes-nous vraiment bien capables de transformer cette raison de tout contester en un réel motif pour se battre démocratiquement ? Entre ceci et cela est considéré le rapport le l'Algérien à sa patrie, à sa dignité, même si la logique tranche plutôt vers une remise en ordre sereine et fondamentale de cette nécessaire relation. Qui croire finalement ? Ces jeunes qui fuient à contrecœur le pays et ses misères ? Où alors ses gouvernants qui envoient de la musique à un peuple qui refuse de danser ? Et pourquoi donc ce peuple n'a-t-il plus la tête à faire la fête ? Pourquoi fait-il cette tête à tout réfuter, tout refuser, tout abandonner ou tout contester et détester ? S'agit-il d'un tube que la mode a déjà déclassé et que les organisateurs veulent lui insuffler une seconde vie ? Sinon d'un disque rayé dont on veut à tout prix, pour les raisons d'un calendrier, le remettre sur le tapis et d'actualité ? Où alors d'une farce maladroitement enveloppée dans un air de musique qui n'a pu emballer son monde ? A un moment aussi crucial, la scène parait déserte. Elle nous inquiète. Le spectacle peine à gagner les cœurs éprouvés des acteurs et des spectateurs. C'est le cœur à fuir des jeunes générations qui pose problème en ce moment. Avec tout ce drame a-t-on encore la tête à faire la fête ?

Oser dire ou laisser faire ?

Toute plume respectable est comme une arme redoutable. Elle provoque de la trouille chez l'adversaire et nous inspire confiance en nous-mêmes. Bien mieux qu'une arme à feu, sa cible est multiple et sa balle atteint son objectif en plein dans le mile. La plume déplume et fait beaucoup plus de dégâts qu'une balle tirée à bout portant. Car elle a cette particularité de s'adresser en même temps à un seul individu et à tout un groupe de personnes, pour concerner une ou même parfois plusieurs générations. La plume est cette arme qui sait en plus revendiquer et dire très haut des poèmes qui chantent avec refrain le mot liberté et montrent le cran de la dignité. Son indépendance ne peut cependant mettre en cause celle du pays de son Maitre ! Celui-ci est dans le devoir d'user de son savoir pour lui recouvrer tous ses attributs et nombreuses vertus. Entre oser dire et laisser faire, elle sait choisir quand faut-il mettre le ton et quand faut-il tempérer les ardeurs. Voilà pourquoi il ne faut plus jamais se taire. Voilà pourquoi le silence est synonyme d'une position complice et que la parole lui ravit cette valeur du métal précieux qui fut la sienne pour mieux défendre les vertus citoyennes.