Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Angela Merkel, bientôt chancelière de l'Allemagne pour la 4ème fois

par Pierre Morville

  Angela Merkel exerce le pouvoir depuis douze ans en Allemagne. A l'occasion des élections qui se dérouleront le 24 novembre, elle se présente une nouvelle fois, pour son quatrième mandat.

Leader de la coalition gouvernementale elle serait la future chancelière et elle est donnée largement gagnante dans tous les sondages. La désignation de l'exécutif allemand ne procède pas d'une élection directe mais la nomination du chancelier, chef du gouvernement dépend du résultat des élections législatives où la coalition des partis que dirige Angela Merkel, les démocrates-chrétiens CDU-CSU, arrivent en tête avec des sondages autour de 36% des intentions de vote. Martin Schulz qui défend les socialistes du SPD n'a pas réussi à percer lors de cette campagne et son parti ne réunit dans les sondages qu'à peine 20% des voix. Petite formation traditionnelle en légère croissance, les Libéraux font 8% des intentions de vote.

Il est vrai que la vie politique allemande est marquée par des alliances politiques traditionnelles, de grandes ou petites« coalitions » entre les chrétiens-démocrates de la CDU et les sociaux ?démocrates du SPD, voire élargies aux libéraux, voire aux écologistes. Il est vrai que les deux principaux partis ne divergent guère sur le fond : le CDU plutôt centriste de droite et le SPD, plutôt centriste de gauche sont en général d'accord sur les grandes orientations qui permettent de diriger l'Allemagne, qu'il s'agisse de la politique économique et sociale, de la gestion des relations internationales, de la politique européenne et même de l'accueil des réfugiés. Lors des conflits syriens et libyens, l'Allemagne fut en effet exemplaire dans ses capacités d'accueil des réfugiés, en acceptant l'arrivée sur son sol de près d'un million d'exilés.

C'est d'ailleurs cette arrivée massive qui explique aujourd'hui la montée sensible d'une formation de droite extrême ou d'extrême-droite, l'AfD, « l'Alternative pour l'Allemagne » qui pourrait dépasser pour la 1ère fois, 10% des scrutins. Cette jeune formation fait du rejet de l'immigration l'un de ses principaux champs de bataille et de propagande. Dans un long réquisitoire contre l'Islam, Alexander Gauland, l'une des deux têtes de liste de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), a ainsi dénoncé «le terrorisme (qui) a ses racines dans le Coran». «La propagation de l'Islam en Europe, et l'islamisation croissante de l'Allemagne sont devenues un défi pour l'État, l'ordre social, l'identité culturelle et la paix dans notre pays», a-t-il lâché, reprenant son thème de prédilection depuis la décision de la chancelière allemande d'ouvrir les frontières à des centaines de milliers de demandeurs d'asile en 2015. Le scrutin parait néanmoins joué d'avance donnant un quatrième mandat de chef d'état pour Angela Merkel.

Certes, les sondages montrent encore que 46% des électeurs restent indécis mais dans un Allemagne vieillissante, les électeurs de plus de 60 ans, représentent pour la 1ère fois, avec 36,1% des inscrits le premier groupe électoral allemand, alors que les électeurs de moins de 40 ans n'en constituent même pas un tiers. Cette structure de l'électorat pousse plus à une certaine continuité conservatrice qu'à de grandes révolutions?.

Quels sont les défis de la future chancelière Angela Merkel ?

La situation économique du pays reste excellente et de loin l'une des meilleures d'Europe avec un taux de chômage, 5,6%, exceptionnellement bas dans l'Union européenne. « Le pays bénéficie d'une culture de l'innovation et de la recherche, d'un hinterland industrieux en Europe centrale, d'une forte proportion d'entreprises de taille intermédiaire, d'un Etat de droit stable et d'un excellent système de formation professionnelle. De plus, une stratégie nationale cohérente à l'aube de la 4ème révolution industrielle mobilise les énergies pour tirer le plus grand parti de la numérisation qui, après la mécanisation, l'électrification puis l'automatisation, concerne tous les secteurs économiques et même l'ensemble de la société » note Marc Weltmann, chef d'entreprise qui pointe néanmoins quelques sujets d'inquiétude du patronat allemande sur le site « Toute l'Europe » : la faiblesse des investissements publics ou le mauvais choix de leurs affectations, l'absence croissante de personnel qualifié, notamment du fait du vieillissement de la population, les conséquences coûteuses du choix fait par Angela Merkel de la sortie totale à terme de l'énergie nucléaire. Plus généralement, on note la forte croissance de la pauvreté dans ce pays pourtant fort riche : les pauvres représentent 16% de la population (contre 14% en France). Cette nouvelle pauvreté s'accompagne d'une dégradation des conditions de travail et d'une précarisation croissante pour des catégories de salariés de plus en plus nombreuses.

Mais l'essentiel des inquiétudes des électeurs allemands portent sur l'évolution de la situation internationale.

Les trois principaux sujets de préoccupation sont l'évolution de l'union européenne, la déstabilisation de ses régions frontalières de l'UE, et l'évolution des relations avec le principal allié, les Etats-Unis.

Depuis plusieurs décennies, l'Allemagne dirige de fait l'union européenne en jouant notamment sur les demandes contradictoires des pays de l'Europe du nord, de l'est et du sud, entre les positions « protectionnistes » et les exigences ultralibérales.

De ce point de vue, la sortie brutale de l'Angleterre (traditionnellement favorable au « moins de réglementation possible ») de l'UE, le Brexit, a déstabilisé Angela Merkel. Le Brexit renvoie également pour la direction de l'UE, à un tête-à-tête franco-allemand plus direct. Certes Angela Merkel s'est récemment dans une interview parue dans Ouest-France « réjouie qu'Emmanuel Macron ait remporté une victoire aussi convaincante. Nous travaillons bien ensemble dans un climat de confiance, et nos rapports personnels sont excellents ». Mais après des propos extrêmement civils, le reste de l'interview souligne plutôt le scepticisme allemand devant les éventuelles réformes de l'UE prônées par Emmanuel Macron, qu'il s'agisse de la création d'une gouvernance fédérale économique du vieux continent ou d'un impôt européen général.

La sortie de la Grande-Bretagne a également consacré la France comme seule puissance nucléaire de l'UE, ayant seule une véritable capacité d'intervention armée à l'extérieur de l'UE, et seul européen des cinq membres permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.

La déstabilisation des zones frontalières de l'Europe qu'il s'agisse du Sud méditerranéen, ou des zones frontalières de l'Est (conflit de l'Ukraine), se compliquent de la droitisation de régimes au pouvoir, de la montée de la xénophobie et du sentiment anti-européen, dans des pays membres de l'UE, comme la Pologne ou la Hongrie, traditionnelles terres d'influence de la diplomatie allemande.

Mais la grande énigme, pour l'Allemagne comme pour l'Europe, reste Donald Trump et l'évolution que celui-ci est en train de donner à la politique étrangère américaine. Isolationnisme croissant ? Remise en cause de tous les accords internationaux, du consensus climatique jusqu'à l'existence même de l'Otan ? Montée des risques de conflits armés majeurs, comme c'est actuellement le cas du bras de fer avec la Corée du Nord ? Il n'est pas étonnant dans ce contexte qu'Angela Merkel reste publiquement l'un des chefs d'état mondiaux les plus sceptiques quand à l'évolution à venir des États-Unis et surtout de l'évolution des relations germano-américaines.