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Marché automobile algérien: Trois marques détiennent un monopole de fait

par Abed Charef

Le marché automobile algérien a été fortement déstabilisé. Le prix à payer pour lancer une industrie fortement décriée ?

Trois marques automobi      les ont acquis, en 2017, des positions qui leur permettent d'exercer un monopole sur le marché algérien. Renault, Sovac (Volswagen) et Tahkout (Huyndai) ont bénéficié d'une conjoncture particulière, créée par des décisions gouvernementales, pour asseoir leur mainmise. Grâce à leurs unités de montage, dont certaines ont été fortement critiquées, elles sont les seules à pouvoir commercialiser leurs véhicules en 2017. Il n'y a pas eu une décision assumée pour imposer cette situation, mais une succession de mesures, prises par petites touches, pour déboucher sur ce résultat. Sous le gouvernement de M. Abdelmalek Sellal, les licences d'importation étaient délivrées de plus en plus tard dans l'année, pour retarder les échéances de paiement.

M. Abdelmadjid Tebboune, partisan du blocage des importations, a accentué le mouvement. Au moment où son «plan d'action» sera validé par le parlement, fin septembre, M. Ahmed Ouyahia héritera d'une situation qui lui permettra éventuellement de zapper ce dossier.

Le nouveau ministre du commerce, M. Mohamed Benmeradi, a clairement évoqué cette hypothèse. Il a laissé entendre que 2017 pourrait être une «année blanche» en matière d'importations de véhicules. Au cours d'une émission de radio, il a déclaré que la décision pour l'octroi des licences n'avait pas encore été prise.

Euphorie chez les uns

M. Benmeradi a indiqué que les trois constructeurs déjà installés (Renault, Sovac, Tahkout) produiraient près de 100.000 véhicules en 2017, un seuil que le gouvernement semble considérer comme suffisant pour assurer un approvisionnement minimal du marché.

Chez les trois marques implantées en Algérie, c'est l'euphorie. Le carnet de commandes est plein, malgré la hausse des prix. Depuis trois ans, les prix des véhicules neufs ont doublé. Pour certains modèles, il faut attendre de longs mois. Résultat : des véhicules neufs acquis auprès du concessionnaire peuvent être revendus immédiatement avec un bénéfice de 10 à 15 pour cent. Une Sandero Stepway 2017 acquise à 1.65 millions de dinars est revendue au-dessus de deux millions de dinars au marché de Masra, près de Mostaganem, selon un courtier.

Colère chez les autres

Par contre, chez les autres marques, c'est une colère contenue qui domine. L'Association des concessionnaires a tenté de l'exprimer, en déplorant une situation «précaire», due à des engagements non tenus par le gouvernement, et des «blocages» qui hypothèquent l'avenir de la filière.

Mais en privé, les choses sont dites plus crument. Le gouvernement a favorisé les uns au détriment des autres. Peugeot et Nissan ont ainsi des dossiers d'investissement ficelés, mais non agréés, à cause notamment de l'attitude de l'ancien ministre de l'Industrie Abdessalam Bouchouareb. Celui-ci avait vaguement parlé de considérations économiques et stratégiques, mais le gouvernement n'a jamais clairement expliqué le pourquoi de ces retards.

Une filière décimée

Ces cafouillages débouchent sur des résultats absurdes. A Oued-Smar, dans la zone industrielle de la banlieue est d'Alger, une grande marque n'a qu'une seule voiture à exposer dans un immense show-room. Les employés font des efforts désespérés pour montrer que les choses se passent normalement, mais tout sonne faux : le véhicule exposé n'est pas à vendre, il n'y a pas de véhicule à vendre, ni ici ni ailleurs.

Les prix affichés n'ont aucune signification, les prospectus distribués présentent des véhicules non disponibles. Il faut juste faire semblant et tenir. En attendant quoi ?

Rassuré qu'il ne sera pas cité, le chef des ventes avoue : il ne sait pas. Le concessionnaire attend une licence d'importation, mais il ne sait pas pour quand elle sera délivrée, ni si elle le sera. Il commence même à être saisi par le doute : il sera difficile d'importer des véhicules avant la fin de l'année. Entretemps, il fallait payer les salaires, les loyers et différentes charges. Il faut aussi garder le personnel, dont une partie a bénéficié de formations complémentaires lorsque l'offre avait explosé.

Incertitude et manque de visibilité

Mais ce qui gêne le plus, c'est l'incertitude. «On peut perdre de l'argent durant une mauvaise année», affirme le responsable d'une firme implantée à l'ouest d'Alger. «Cela fait partie du jeu», ajoute-t-il. «Mais ne pas savoir si on va avoir une licence, quand on va l'avoir, ne pas savoir si on va être autorisé à investir ou non, tout cela est insupportable», dit-il. «Ils ne savent même pas comment ça fonctionne», dit-il en parlant de l'administration du commerce chargée de délivrer les licences. «Ils pensent qu'acheter 5.000 véhicules, c'est comme aller à l'épicerie du coin et se servir».

Un expert financier, qui a longtemps côtoyé l'administration du commerce, émet l'hypothèse suivante : des licences peuvent être accordées avant la fin de l'année, mais comme les importations ne peuvent être réalisées avant le début de l?année prochaine, elles seront comptabilisées sur l'année 2018. Pour lui, 2017 risque fort d'être une année blanche pour les concessionnaires traditionnels.

Prudence de Yousfi

La crise a toutefois permis à trois groupes d'émerger. Renault, qui a fêté, il y a une semaine, son 100.000ème véhicule monté en Algérie ; Sovac, qui a annoncé en début de semaine le lancement des commandes pour ses véhicules produits à Relizane ; et Tahkout, qui fait l'assemblage de véhicules Hyundai à Tiaret.

Face à un marché garanti pour un temps, avec une forte demande et une offre gérée de manière administrative, les trois marques concernées ont pris une longueur d'avance. Elles ont même la certitude d'être appuyées pendant de longues années : du fait qu'elles se sont installées «dans le cadre du programme du président de la république», le gouvernement va tout faire pour assurer leur succès et prouver ainsi la viabilité de la démarche mise en œuvre, malgré le côte primaire de cette industrie naissante.

Le ministre de l'industrie au sein du gouvernement Tebboune, M. Mahdjoub Bedda, l'a appris à ses dépens. Il a été éjecté du gouvernement après avoir critiqué une industrie automobile quoi constituait, selon lui, «une importation déguisée». Le nouveau ministre de l'Industrie, M. Youcef Yousfi, ne fera certainement pas la même erreur. Il s'est prudemment contenté d'annoncer une révision du cahier de charges pour ce secteur, en attendant un arbitrage de M. Ouyahia.