Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Gérer au jour le jour

par Abed Charef

Gérer, c'est prévoir. Mais comment gérer un pays quand la convocation d'un conseil des ministres se transforme un casse-tête insurmontable?

La radio algérienne a annoncé, mercredi 14 juin, que le fameux « plan d'action » du gouvernement pourrait être examiné dans         la journée en conseil des ministres. L'information a été donnée au conditionnel. Le conseil pouvait donc se tenir, mais l'incertitude a plané toute la journée.

La raison ? Elle est implicite, mais évidente, même si personne n'en parle dans les milieux officiels. On fait comme si le sujet n'existait pas. Avec un personnel politique docile et sous contrôle, cela ne pose pas de problème. Personne n'osera poser la question qui fâche.

Mais un petit imprévu oblige à lever, au moins partiellement, le voile pudique jeté sur la question : le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en visite le même jour à Alger, n'est pas reçu par le président Abdelaziz Bouteflika. Cela fait désordre. Un désordre moins risqué qu'une rencontre difficile à gérer, avec ses photos pénibles, la gêne qu'elle provoque, et les exploitations politiques qui peuvent en résulter.

Il suffit de rappeler le fâcheux précédent, avec la célèbre photo publiée sur twitter par l'ancien premier ministre Manuel Valls, pour se rendre compte des dégâts provoqués par une rencontre mal gérée. Ce qui avait d'ailleurs mené à annuler une visite en Algérie de Mme Angela Merkel, à l'issue d'un cafouillage déplorable pour l'image du pays et la gestion des affaires publiques.

Quand Dieu le permettra

Pour revenir à l'actualité, des informations ont été diffusées ces derniers jours, annonçant pour dimanche 18 juin la présentation du plan d'action du gouvernement à l'Assemblée nationale. Une question, d'abord : pourquoi dimanche 18 juin et pas lundi 19 juin ? L'Algérie aurait-elle oublié les dates et les symboles, alors que le premier ministre Abdelmadjid Tebboune, promet précisément de nous ramener à l'époque de l'homme du 19 juin ?

Toujours est-il qu'un mois et demi après leur élection, les nouveaux députés devaient effectuer leur baptême du feu, en débattant puis en votant le programme du gouvernement. Ils devaient inaugurer une nouvelle ère politique, car c'est la première assemblée qui tient séance selon les règles fixées par la nouvelle constitution.

Mais là encore, le doute est permis. Le rendez-vous est compromis. En effet, le plan d'action du gouvernement doit être au préalable adopté en conseil des ministres. Or, des informations persistantes laissaient entendre, depuis plusieurs jours, que la tenue de ce conseil était incertaine. Il se tiendra « quand Dieu le permettra », ironise un ancien ministre, outré par l'image que donne un pays qui occulte le fait écrasant de la vie politique du pays, l'état de santé du chef de l'Etat.

Un conseil sans impact

Mais au final, que le conseil des ministres se tienne ou non n'a strictement aucun impact. Le « plan d'action du gouvernement » n'y sera pas discuté, et personne n'envisage de voir le parlement constituer la moindre gêne pour le gouvernement, dont le programme devrait passer comme une lettre à la poste. Du reste, le conseil des ministres ne se tient que pour la photo officielle. Des ministres ayant exercé durant les dernières années l'ont confirmé, décrivant un cérémonial incroyable.

Par contre, cette incertitude sur la gestion du calendrier du chef de l'Etat pose désormais un sérieux problème. C'est toute l'activité officielle qui se trouve liée à un calendrier que personne ne maitrise. Un ancien ministre raconte, en privé, comment les membres du gouvernement ont été invités à ne pas effectuer de déplacement pour assister, l'an dernier, à un conseil des ministres. Un autre a évoqué les problèmes restés en suspens, parce que l'ancien Premier Ministre Abdelmalek Sellal n'avait ni la latitude de faire les arbitrages requis, ni l'autorité nécessaire pour les imposer.

Détourner les yeux

Face au manque de réponses, certains ministres ont osé. Ils se sont emparés d'un pan de pouvoir, faisant ce qu'ils voulaient dans leur secteur. Y compris en abusant de leur pouvoir. D'autres ont tenté de faire avancer l'activité dans un environnement impossible.

Mais ceux-là ne se trouvaient pas au bon endroit. C'est au Premier ministère et au ministère des finances qu'il fallait être audacieux. Et c'est précisément là que se sont retrouvés les candidats les moins indiqués. Entre l'inconscience de Abdelmalek Sellal, les palabres de Abderrahmane Benkhalfa et l'effacement de M. Baba Ammi, l'Algérie a perdu trois précieuses années. Depuis que le pétrole a amorcé sa chute, aucune décision significative n'a été précise. Et ce n'est pas faute d'avoir un parlement.

Le plan d'action du gouvernement n'y changera rien. D'abord parce que l'Algérie officielle continue de détourner les yeux, de faire comme si le pays fonctionnait normalement. Ce faisant, elle ne risque pas d'effleurer les vrais problèmes du pays. Ensuite, parce que cette attitude ne permet pas d'établir le bon diagnostic et donc, d'apporter les bonnes solutions. Enfin, parce que les ministres ne se rendent même pas pas compte qu'à part distribuer la rente et interdire, ils n'ont aucun moyen d'influer sur la gestion des affaires du pays.