Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Faut-il recevoir Marine Le Pen à Alger ?

par Salim Metref

Pourquoi pas si elle en faisait expressément la demande! Les récents propos prêtés à Marine Le Pen à propos de l'Algérie s'inscrivent en réalité dans un contexte politique strictement franco-français.

Ils ont pour objectifs de saborder la récente visite effectuée en Algérie par son concurrent direct, donné pour l'instant favori au second tour de l'élection de 2017 par différents sondages d'opinion, Emmanuel Macron, de rappeler au noyau dur de son électorat, notamment les anciens de l'OAS et autres casseurs d'immigrés, qu'elle reste seule dépositaire du souvenir de l'Algérie Française et de ses manifestations les plus hostiles à l'égard de ce pays tout en essayant de se rappeler, Real politik oblige, au bon souvenir de l'Algérie indépendante. Pourquoi ne devrais-je pas y aller aussi, semble dire en filigrane, la prétendante à la magistrature suprême française.

Décidemment l'Algérie et sans le vouloir vraiment s'invite à chaque élection présidentielle française et celle de 2017 ne fera pas exception. Le premier des candidats à cette élection qui a promis de faire de l'Algérie et notamment de la «renégociation des accords d'Evian » l'un des thèmes majeurs de sa campagne électorale a été Nicolas Sarkozy. Mais n'ayant pu vaincre, malgré son énergie, l'obstacle des primaires à droite, ce dernier s'est éclipsé emportant avec lui ses thèmes de prédilection.

D'autres candidats, de gauche, de centre et de droite, n'hésitent pas eux-aussi pour faire parler de soi, étoffer son agenda politique et surtout espérer «ratisser large» à doser, selon la sensibilité propre à chacun d'entre eux, son intervention à propos de l'Algérie privilégiant de dénoncer soit la torture systématique, les massacres collectifs de 1945 à Sétif, Guelma et Kherata où octobre 1961 à Paris, vantant en même temps et chacun à sa manière les vertus civilisatrices de la colonisation française.

Le thème qui est devenu politiquement porteur et médiatiquement «passionnant» se voit ravivé à chaque rendez-vous électoral grâce notamment à l'incessant travail de lobbying des milieux traditionnellement proches de l'extrême droite française que constituent une partie importante de ce qui est appelé en France les rapatriés d'Algérie, où pieds-noirs c'est selon, ainsi que tout ce qui gravite autour la frange activiste de la communauté communément appelée harki. Ces deux segments de la population française s'invitent également dans le débat politique franco-français aidés en cela par le travail de nombreux historiens révisionnistes français et imposent ainsi la «question algérienne» aux différents acteurs et autres protagonistes de la scène politique française.

Mais en s'appropriant le thème des rapatriés d'Algérie et accessoirement des sévices infligés au peuple algérien par la colonisation française, l'Algérie indépendante devient en même temps et paradoxalement une précieuse caution que tous les candidats à l'élection présidentielle française souhaitent obtenir du fait notamment du poids électoral que représente de plus en plus la communauté algérienne établie en France ainsi que de l'indéniable envergure géopolitique qu'acquiert l'Algérie d'année en année.

Le ballet traditionnel des visites qu'accomplissent en Algérie tous les candidats déclarés à cette élection française est devenu un véritable rituel que n'hésitent pas à accomplir personnalités politiques de gauche comme de droite qui viennent à la rencontre de «ces anciens administrés» qui représentent tout de même un important marché et une porte incontournable vers l'Afrique.

Historiquement, il est important de noter que jusqu'à il y a quelques années de cela, les différents pouvoirs qui se sont succédés en France, de droite comme de gauche, ont toujours voulu exercer une forme de tutelle sur l'Algérie qui n'a jamais dit en réalité son nom, encouragés il est vrai en cela par les réseaux dont disposait la France en Afrique mais aussi et s'agissant de l'Algérie par les milieux d'influence profrançaise algériens qui ont œuvré sans relâche depuis 1962 à préserver les intérêts de ce pays parfois au détriment de ceux de l'Algérie indépendante. Cette propension française à «mater l'Algérie indépendante» s'est également traduite par une préférence évidente des milieux politiques français pour le Maroc, pays frère de l'Algérie, et un sabordage systématique de toutes les initiatives algériennes susceptibles de faire de l'ombre à ce qui était supposé être encore la zone d'influence géopolitique de l'hexagone.

Cette situation a été également rendue possible par le fait que les Etats-Unis ont accepté à l'époque de «céder en sous-traitance en quelque sorte» cette zone géographique avant qu'ils ne décident dés la fin des années 1990 d'y mettre un terme en consacrant l'Algérie état pivot de la région préférant traiter directement avec elle.

Aujourd'hui avec l'élection de Donald Trump, la donne semble avoir changé et l'Algérie, malgré les tares qu'elle présente où que certains milieux à tort où à raison veulent lui attribuer par la publication de rapports alarmants à son sujet continue de provoquer l'inquiétude de ceux qui ont toujours eu une conception paternaliste de la relation franco-algérienne.

Ainsi et au moment précis où l'Algérie déploie, conformément à ses traditions d'hospitalité, le tapis rouge pour accueillir tous les candidats français à l'élection présidentielle de 2017 qui le demandent, Marine le Pen, l'égérie de l'extrême droite française fraîchement convertie à la «Trump-attitude», porte l'estocade et incrimine la communauté d'origine maghrébine de déferler en France.

Cet emballement sémantique n'est en réalité que l'expression de l'agacement de Marine le Pen, voire sa compréhensible jalousie, de ne pas bénéficier elle aussi de l'onction algérienne en faisant le pèlerinage d'Alger d'autant plus que dans son parti figurent de nombreux militants d'origine algérienne dont certains fraichement naturalisés français.

N'hésitant pas à se comparer à Donald Trump et à lui emprunter quelques idées, Marine Le Pen peut offenser sans le savoir le président américain, la France n'étant pas les Etats-Unis, et ce dernier ayant, semble-t-il, déjà manifesté un préjugé favorable à l'endroit de l'Algérie.

Marine Le Pen qui pour plaire notamment au CRIF français et pouvoir entrer dans la sacro-sainte enceinte médiatique française a déjà revu de fond en comble son lexique politique en l'épurant des termes ambigus qu'utilisait à profusion son père continue de «prêcher sa bonne parole», poursuivant sa croisade contre l'Islam qu'elle habille d'un voile de «lutte anti djihadiste». Mais cela est déjà une autre histoire.

L'Algérie pourrait, malgré tout et dans un souci d'égalité de traitement et si elle en faisait expressément la demande, accepter de recevoir cette bretonne entêtée, fille du tortionnaire Jean Marie Le Pen, qui n'hésite pas en enfilant sa robe d'avocate à défendre des sans ?papiers. Cette visite pourrait être strictement consacrée à deux aspects, la relation économique bilatérale et les questions internationales notamment la question palestinienne.

Deux sujets qui ne fâchent pas et qui permettront à L'Algérie d'équilibrer son approche de l'élection française sachant qu'il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans un même panier. Qui peut dire en effet aujourd'hui, après l'exécution politique en bonne et due forme, et peut-être judicaire demain, du candidat Fillon, ce qui pourrait survenir aux autres candidats y compris Marine Le Pen ? Et quel sera le duo de candidats qui sera présent au second tour de cette élection ? Personne.

Sauf miracle, Marine Le PEN pourra difficilement gagner cette élection même si tous les sondages la classent gagnante au premier tour. Mais il ne faut rien exclure et tout peut survenir sachant que l'arrivée au pouvoir des forces dites nationales est une tendance lourde en Europe. Alors prudence et l'Algérie doit en fin de compte ne penser qu'à ses seuls intérêts stratégiques sachant qu'au final, l'élection présidentielle de 2017 est une question franco-française et qu'il est nécessaire de s'adapter au choix que les électeurs français exprimeront souverainement au printemps prochain.