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Le parti

par El Yazid Dib

«Ce qu'on appelle union dans un corps politique, est une chose très équivoque : la vraie est une union d'harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu'elles nous paraissent, concourent au bien général de la société, comme des dissonances, dans la musique, concourent à l'accord total.» Charles de Montesquieu

Le militantisme s'est dévêtu de toute inspiration idéologique pour devenir tout simplement un métier. L'on change de parti comme l'on change de chemises. La conviction était à deux pas de la négation. Ce qui importe avant tous chez les partis, en termes hypothétiques c'était la prise de pouvoir, or le FLN ne semblait pas du tout prêt à en accorder les moindres bribes ; lui le père spirituel de la nation, le lien ombilical d'entre le peuple et le pouvoir. M. Belayat personnage à l'influence scientifique disait : « le FLN ne peut être un parti d'opposition, il est né pour gouverner »(1). Mais là, la donne n'est plus la même. Si la constitution de 1988 validait sous le règne encore agissant du parti unique, une revendication permettant l'émergence d'autres associations, et le retrait de l'armée du domaine politique ; on supposait assister fièrement à l'enterrement du grand FLN, originel, original, authentique et saint, tel qu' il était peint par M. Lacheraf lorsqu'il écrivit qu'il « était(le FLN) le porte parole de l'armée de libération nationale et l'interprète naturel de la grosse majorité du peuple algérien »(2) en ces jours il n'est ni l'un ni l'autre. Laissant place par appellation à une forme de machine à élever les uns et briser les autres. Ce parti qui ne garde indélicatement que des initiales illustres et glorieuses, vidées à fonds de la substance qui les animait qu'en est-il au juste ? Est-il en somme un parti au pouvoir ou se targue t-il apparemment de parti de pouvoir ? Est-il toujours ce parti de travailleurs, de fellah, d'ouvriers voire de la grande masse avant-gardiste ? (il est l'organisation de tous les éléments conscients tendus vers la réalisation d'un même but : le triomphe du socialisme) (3).Ne contient-il pas, malgré cela, dans ses rangs les gros commerçants, les hommes d'affaires, les promoteurs immobiliers de ce temps, qui jusqu'à hier étaient encore ces travailleurs, fellahs, ouvriers et militants etc.? ? Se serait-il ainsi transformé en instrument de destruction idéologique ne conservant pour l'apparat que ce sans qui il disparaîtra à jamais. Les constances nationales. Ce parti ainsi devenu, n'aurait plus rien à voir avec le Père, ce précurseur de l'idée nationale, catalyseur de la libération populaire, cette source lumineuse et abreuvante du sentiment d'appartenance à une culture et une civilisation. Malgré toutes les mutations de fond et les griefs que l'on lui porte à coups secs, il demeurera chez tout algérien un rempart solide de patriotisme et d'amour de paix et de liberté.

L'élan que prirent les évènement d'octobre 1988, aurait pu inspirer les quelques « accrocheurs d'affiches » et les « décrocheurs » de titres et d'avantages à sauver le grand idéal que contenait ce sigle en le remettant fier et vainqueur à ceux qui le méritent. Sa place n'est pas dans un musée, mais chaleureusement dans la profondeur du cœur de chaque algérien sans exclusive. C'est une propriété collective inaliénable. Au lieu de cela, ces révolu(tionnaires) ces joueurs de poker immobilistes l'utilisaient à outrance pour la pérennité des profits, jusqu'à l'avènement d'une menace importante, qui a failli agir néfastement sur les fondements même de la nation. L'évolution bat toute révolution. Le transfuge devient une tactique du sauve-qui-peut. La conviction idéologique cède le pas au bourrage gastrique.

Par techno-partilogie, l'on lui faisait subir une césarienne doucereuse, pour le voir enfanter une autre caste politique se nourissant loin des idéaux génétiques, si ce n'étaient la nature et la couleur de couches soyeuses et mystiques dans lesquelles il fut, à la mise à bas bien enveloppé. L'enfant combattit le père et le rendit à son tour indigne à brandir tout acte de paternité. Il s'en est suivi un grand quiproquo, d'arrêt de processus, de fraude, d'intimidation au nom du nouveau-ancien concept de la démocratie.

L'administration-politique, non satisfaite de cet accouchement décrié juste après illégitime, avait conçu une seconde grossesse au nom cependant d'une administration-pouvoir dont ni le père, ni le faux père ne s'en sortaient honorés. Le germe que plaçait l'acte adultérin politique dans l'ovule de la nation s'est avéré fécond pour avoir par tricherie donné naissance à un corps sans âme, à un être sans esprit. Un Rassemblement mais vraiment National pour tous les Démocrates eut été organisé en l'honneur de ce fœtus cosmopolite. C'est par convois de rangs que les rangs de ce rassemblement accueillaient, en vue d'une étape imminente, des chasseurs de rentes. Renégats, apocryphes, et tourneurs de « veste » font la légion du déshonneur sous les cieux d'Alger, sur les couverts du Hilton et dans les saloons de l'Aurassi. Malgré ses débuts tumultueux et trop controversés le RND s'était crescendo inscrit dans une mire de sauveur d'une autre espèce qu'un FLN abominé et déblatéré de par la pratique contrefaite de ses détenteurs.

?C'est çà la démocratie?mon vieux prie ! prie ! Cette démocratie qui selon l'un vient en négation de Dieu, est assimilée à un « kofr » par ceux là même qui sont, en son nom, venus prêcher la nouvelle religion. Le terrain politique, par effet de ricochets, s'encombrait de partis satellitaires, et atomiques frisant les désordres et le parasitisme. Toutes les cartes sont brouillées. De la carte géo-électorale, à la carte d'adhésion du simple militant. La course au nombre de souscripteurs se faisait au dépens de toute qualité et encore moins de chercher à comprendre le degré de conviction, d'engagement ou de dévouement. Seul le nombre comptait. Le paradoxe de la cotisation s'inversait et les cartes furent remises non contre une somme forfaitaire mais en compagnie d'une somme déterminée, un bidon d'huile et une livre de farine. Un marché de la politique commençait à naître. Les théoriciens fustigeaient de partout, les idées n'étaient que belles et envoûtantes. Une mer en plein sud, des logements pour tous, etc.?chaque individu se voyait sur une liste électorale, de président de la république, d'une assemblée ou à défaut un membre de quelque chose. Légitime soit-il, le rêve se fait des limites, sinon tout se justifie et Hitler aurait raison d'affirmer que « d'un point de vue universel, la nécessité justifie le droit d'agir, le succès justifie le droit de l'individu » (4) quoique en dehors de toute morale et de toute mesure.

Ce parti, osons dire NEO-FLN, prodigieuse qu'était son ingénuité, avait pu créer un langage propre, outre passant la langue de bois, où tout un vocabulaire spécifique fut crée et exploité à fonds par ses militant-fonctionnaires que par les hauts fonctionnaire-militants. Une académie de belles lettres partisane fut spontanément érigée. De « soloutat el mahalia? » à « ina ma yadoulou? » passant par les éloges de « el medjhoudet el djabara » les mots ont pris d'autres résonances alliant leur explication vulgaire honnie et la fréquence de leur usage dans les milieux populaires, tels que « hittistes » « baronnettes » « el mafia » « tchipa » « tbezniss ». Tous ces termes renseignent sur ce que le peuple aime que l'on le dise. Sans se soucier qu'en pratique la dénonciation d'un truc supposé mal, n'a d'effet et de bonne pratique, expérience à l'appui que par ceux là même qui le dénoncent, le rabâche et le remâche. Ce langage, porteur de fausses espérances, a vite fait son chemin vers tous les autres partis. Stériles malgré une virilité toute historique , Ils ne pouvaient remplacer le « père » défunt ni prendre la place temporairement perdue du « fils » égaré, ces partis se veulent d'avoir la rigueur et la pureté sacrée du saint esprit. Les guérisseurs, les mystiques de Nazareth. Ce sont les saints d'esprit ou autrement bien dit les esprits mal-saints

Tout semblait nous inciter à ne plus croire en des modèles émérites et nobles soient-ils car malmenés et bafoués par la pourriture et la souillure de certaines personnes de partis qui persistent à croire quand bien même à la crédulité citoyenne et à la naïveté populaire. Par essence et par tradition le parti se définit comme étant un appareil légal d'obtention et d'accaparement du pouvoir d'une façon légitime et qui ne prête à aucune confusion. Ses militants sont les gouvernants en cas de victoire. Le cas contraire, l'opposition active et légitime aussi en est leur citadelle. Or par médiocrité et par sournoiserie, ce n'est plus de la sorte que fonctionnent nos partis.

On imagine mal un personnage dit politique sans adhésion partisane, sans idéologie affichée, puisque « sans parti pris » donc militant de rien et du néant, puisse supporter une charge fonctionnelle sensiblement politique. En fonction de quelles références active-t-il ? Alors que d'autres charges purement technocratiques, voire de métier et exigeant un professionnalisme précis, sont confiées à des personnalités appartenant à des formations politiques même positionnées à contrario de la pensée du pouvoir. Le comble se comble dans la mesure où ces personnalités ex-politiques brillent par l'inaptitude dans la gestion administrative plus qu'ils ne l'ont fait dans le champ politique. Est-ce de la récup ou de la récompense ? Est-ce de l'inféodation partisane ou de l'infiltration par extraction ? si ce n'est pas finalement de la politisation de l'administration et/ou de l'administratisation de l'effectif politique ? Donc servitude foncièrement tactique et non certitude politiquement idéologique. Ailleurs un militant devenant ministre cède gracieusement son salaire de ministre dans la cagnotte de son parti !

La cohabitation politique est chez nous une polygamie organique. Les corporations « aprésidentielles » envoient tour à tour leur «porte-parole» prendre et répandre la parole et la voix du pouvoir ou délèguent une à une leur « représentation) » goûter au délice nuptial du sérail. La répudiation unilatérale ou rarement le divorce à l'amiable etaient cycliques et ce nonobstant les séances de tentatives de réconciliation, qu'entreprennent les chouyoukh, les arouch ou les bons offices des vieux sages de la nation.

Et ce au titre de l'union matrimoniale eh ! L'unité nationale.

Maintenant nous vivons une nouvelle constitution. De nouveaux reflexes sont créés. La politique chez certains paris continue à s'exercer sans avoir le moindre souci d'améliorer les choses. C'est la fièvre des sièges, des listes et de l'entremise pour les candidatures. Sans nulle équivoque, il est permis de dire que ce sont les partis qui sont derrière la déroute de leur cheminement. Un parti ne doit pas être une agence d'emploi ou un espace de loisir et de passe temps. Pire, il n'est pas destiné à servir de tremplin pour ceux qui échouent à toute autre tentative professionnelle. Le plus grave encore que ce sont eux qui nourrissent l'opportunisme pour le faire grandir en l'incitant à apparaitre au grand jour le jour j. Prendre son audace pour un mérite et aller sans honte déposer sa candidature sans se référer à ses propres capacités n'est pas digne du vrai « militant » qui est sensé avant tout connaitre ses limites.

(1) Abderrahmane Belayat Propos rapportés par « le matin » février 2001.

(2) Mostefa Lacheraf in « L'Algérie nation et société » SNED.78

(3) Charte nationale (1976)

(4) Adolf Hitler in « mein Kampf » commentaires de C.L. Vignon.ed.1946/henri manuel Paris.