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Bouteflika dompte les lions, ils sont à la présidence !

par Abdellatif Bousenane

Le président de la République a dissous le DRS, il a organisé les différents services de renseignements dans une Direction rattachée à la présidence.

Avec une communication toujours médiocre, cette nouvelle plutôt attendu qui n'a pas été officialisée sous-prétexte que les décrets de ce genre ne sont pas publiables vu leur caractère sensible et par définition confidentielle, arrive dans un contexte extrêmement rude tant sur le front sécuritaire, notamment sur nos frontières, que sur les deux plans économique et politique. Les partis de l'opposition, déjà très remontés contre la Loi de finances 2016 et l'avant-projet de la nouvelle constitution, ont accueilli cette énième réforme d'une manière très critique, ils la considèrent comme étant une autre illustration de « l'autoritarisme » du pouvoir présidentiel. Fidèle à ses opiniâtretés, la CNTLD à travers ses deux figures charismatiques, Mokri et Benflis, a critiqué sévèrement cette restructuration des services de renseignement. Elle doute des arrières pensées et des objectifs politiciens du résidant d'El Mouradia. Quant à Louisa Hanoune et les opposants post-Toufik, ils ignorent complètement l'information, pire encore ils soupçonnent l'authenticité même de la nouvelle ! C'est dire, la profondeur de ces dernières restructurations lorsque les cercles les plus proches de l'ancien organisme (DRS) ne savent pratiquement rien !

Modernisation ou stratégie ?

Selon la presse nationale Athmane Tartag, l'actuel chef du DRS fraichement désigné, a été nommé ministre d'État conseiller du président chargé de la coordination entre les trois nouvelles départements de renseignements qui s'appellent désormais DSS, la Direction des services sécuritaires. Elle fonctionnera sous la tutelle de la Présidence. Ainsi donc, la volonté de faire sortir nos services de renseignements de l'obscurité et les rendre plus visibles en leur octroyant un portefeuille officiel, est palpable. Ils deviennent par conséquent beaucoup plus contrôlables après avoir été un État dans l'État, un Service que tout le monde craignait y compris les chefs d'État successifs, de Chadli à Zeroual en passant par Boudiaf, assassiné lâchement en 1992 ! Ce « monstre » redoutable est revenu enfin à son vrai travail, sa première mission naturelle qui est d'assurer la sécurité du pays contre toute menace intérieur ou extérieur. De ce fait, tout le monde a remarqué, d'ailleurs, sa très grande performance et son efficacité depuis les restructurations de 2013. Au moment où des grands pays comme la France et la Turquie sont secoués par des attentats sanglants, notre pays semble très immunisé contre le terrorisme transnational.

Néanmoins, on peut aussi y mettre d'autres hypothèses aussi plausibles. La première stipule que « les lions » du DRS ne sont pas si faciles à dompter mais il s'agit juste d'une stratégie pour contrôler la présidence ! Et être ainsi au cœur du centre de décision puisque on se dirige droit vers un régime présidentiel. Dès lors, nos questionnements vont dans le sens du « qui contrôle qui »? Certains observateurs croient à cette thèse, en refusant catégoriquement d'admettre que le militaire, surtout les services de renseignements, acceptent de se reléguer au deuxième plan et d'être de simples exécuteurs des « ordres » de leur hiérarchie civile ! Les adeptes de cette thèse, qui frôle le conspirationnisme, disent qu'au contraire, les services de renseignements ont plutôt gagné plus de pouvoir et leur participation dans les choix politiques du régime a été renforcée. On peut effectivement se demander si la mentalité de nos militaires a évolué au point qu'ils se modernisent jusqu'à ce niveau-là? Ou peut-on penser que la nouvelle génération, par sa formation et son professionnalisme arrive tout de même à comprendre les enjeux de telles restructurations ?

D'autres pensent, aussi, à une ruse du « système » pour laver le DRS de tous ses torts et péchés et clore ainsi le dossier très chargé de la décennie noire.

Pertinence :

Or, si on contemple les actions et les réformes du chef de l'État depuis le début de son quatrième mandat, on observe une cohérence indiscutable. On peut être pour ou contre, mais force est de reconnaître que depuis le dernier congrès du FLN et tous les chamboulements que nous avons constaté autour des préparatifs qui visent l'après 2019, jusqu'à l'avant-projet de la Constitution qui a tranché au profil d'un régime présidentiel, en passant par l'éviction du général Mohamed Mediène et les 50 hauts-gradés de l'armée et du DRS, tous ces étapes vont dans le même sens, c'est à dire la démarche d'Abdelaziz Bouteflika est d'une cohérence implacable. Renforcer l'ex parti unique, le FLN, en lui accordant la couverture présidentielle et l'adhésion de plusieurs ministres et cadres de l'État, parce que c'est le seul parti, par son histoire, sa représentativité et sa présence jusqu'au fin fond du dernier point géographique de nos terroirs, qui est capable d'assurer au future président une majorité suffisante pour qu'il puisse asseoir son autorité et appliquer donc son programme politique. Ce programme qui ne sera pas très différent de celui du parti, car le président du FLN, Bouteflika, est toujours persuadé que la seule formation politique qui peut absorber les paradoxes et contradictions de l'Algérie et des Algériens, c'est bien le FLN. Puis, la question de l'éviction des anciens haut-gradés de l'armée, surtout le tout puissant Toufik, qui commence a donné ses secrets. On peut imaginer très bien que « l'ex-rab-dzair » et son cercle étaient opposés à de telles réformes, peut-être ils voulaient garder un service puissant qui fait le contre-pouvoir et qui veille contre toute dérive « trop moderniste » du système ! Le dernier élément qui affirme cette pertinence, c'est la nouvelle Constitution qui, en plus des deux amendements très courageux, l'officialisation du Tamazight et l'article 51 qui concerne les binationaux, a tranché pour le régime présidentiel.

 De ce point de vue, au-delà de nos différences idéologiques et politiciennes, nous ne devons pas nous égarer du vrai débat et de l'essentiel qui reste toujours, après plus de 60 ans depuis la révolution glorieuse de novembre 1954, la prédominance du militaire sur le politique. Malgré ce long temps inestimable qu'on a perdu, je pense qu'on arrive enfin à la raison, car le militaire exercera d'ores et déjà sous l'autorité du politique, du président élu par le peuple. Il faut souligner que l'essence même de la fonction d'un militaire, la nature de son action lui rend très démuni face à la complexité de la gestion de la cité.

Le président Bouteflika dans un meeting à Tizi Ouzou à l'été 1999, dans le cadre de la compagne de la concorde civile, clamait sa solitude en disant à la foule dans la salle : « vous voulez que je combatte les lions (les militaires) et vous, comme dans les arènes de Rome, vous regarderiez le spectacle. Si je gagne, vous m'applaudiriez et si je perds vous applaudiriez les lions !». Et bien après plus de 16 ans, le chef de l'État malgré son handicap physique, il a dompté les lions, il a même réussi à les faire rentrer dans la cage, à la présidence !