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La question palestinienne en stand-by?

par Ammar Koroghli

En 1187, Salah Eddine (Saladin pour l'Europe) ouvre le chemin de la Palestine après sa victoire contre les Francs à Hattin, près du lac de Tibériade ; ce faisant, il reprend El Qods (Jérusalem). El Kamil, successeur de Salah Eddine, y fait revenir les juifs et les chrétiens orientaux qui ont été chassés par les Francs. C'était il y a presqu'un millénaire.

La Palestine a toujours été une terre suscitant les convoitises ? Doit-on attendre de nouveau Salah Eddine et El Kamil pour voir rayonner la paix sur cette partie du monde ? Les palestiniens doivent-ils continuer à être d'éternels boucs-émissaires ? Rappelons-nous. Tout commence le 2 novembre 1917. Un certain Arthur Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères s'il en fut qui, dans une lettre ouverte, a pu écrire : «Le gouvernement de Sa Majesté voit favorablement l´établissement d´un foyer national juif en Palestine» (exit l´Argentine et l'Ouganda comme projet pour ce faire). Pour rappel, l´ONU adopta la résolution 181 partageant la Palestine en un État juif (56% des territoires pour seulement un tiers des habitants Juifs et le reste -48% des terres- pour les deux tiers d'habitants arabes) ; ce, avec un statut international pour Jérusalem. Pour les Palestiniens, c´est la Naqaba, la catastrophe, la destruction de leur société et de leurs villages suivie de l´exil de la grande majorité de la population.  

Dès l'origine à ce jour, les Palestiniens vivent la marginalisation, les discriminations, les assassinats «ciblés», la misère? La question palestinienne ? Il s'agit tout de même de l´expulsion de tout un peuple de sa terre. Et depuis plus d´un siècle, le sionisme applique la même stratégie : s'emparer des terres et institutionnaliser le fait accompli afin de marginaliser le peuple palestinien. Et pourtant en Palestine, et ailleurs dans les pays arabes du Machrèk comme du Maghreb, la communauté juive vivait paisiblement avec les Arabes de façon générale et les Palestiniens de façon particulière. Peuple innocent, le peuple palestinien a été également trahi par les dirigeants des pays arabes. Ainsi, la guerre de 1948 a entraîné 800.000 expulsés -plus de la moitié de la population arabe de Palestine- et des villages entiers ont été effacés de la carte de la Palestine (plus de 500). Ceux qui ont pu échapper à l´expulsion forment aujourd´hui avec leurs descendants environ 15% de la population israélienne et vivent dans un Etat qui se définit comme juif, l'ignorant superbement.

Cette duplicité (y compris des frères arabes) qui ne dit pas son nom continue. Ainsi, l´Égypte a commencé le 1er mai 2008 ses livraisons de gaz à Israël. Elle s´est engagée à lui livrer 1,7 milliard de mètres cube de gaz par an durant 15 ans au moment même où Ghaza, sous embargo israélien, n´a pas d´électricité! Et, en cela, on aura raison de dire qu'on ne saurait être plus arabe que les arabes eux-mêmes. Bien entendu, même en composant avec les groupes de pression agissant dans les sphères politique, économique et médiatique pour l'essentiel (dont certains -beaucoup ?- appartiennent aux Démocrates, l'Administration américaine devrait bénéficier d'une marge de manœuvre suffisante lui permettant cette action de nature à effacer définitivement cette injustice flagrante à l'endroit des Palestiniens. Car ils continuent de souffrir le martyr du fait du sentiment de culpabilité des pays occidentaux sur lesquels un magistère moral est exercé en permanence par ces mêmes groupes de pression. Et, faut-il le rappeler, Israël reçoit une énorme aide de toutes natures des Etats-Unis (chaque année quelque cinq milliards de dollars) et autres livraisons d´armes ?

Et faut-il préciser ici que, de l'intérieur d'Israël même, des voix s'élèvent pour dire non à cette injustice et à l'impunité d'Israël. Ainsi, ce qu'il a été convenu d'appeler les nouveaux historiens israéliens soulignent par exemple la responsabilité de Ben Gourion, entre autres, dans l´expulsion de plus d´un demi-million de Palestiniens. L'un d'eux, Ilan Pappé, dont l'un des ouvrages est paru sous le titre : «Le Nettoyage ethnique de la Palestine» ne manque pas de le souligner : «Quand la propagande israélienne répète inlassablement que «les Arabes sont partis d´eux-mêmes» à l´appel de leurs dirigeants, il s´agit d´un mensonge fondateur destiné à masquer le crime qui s´est déroulé, il y a 60 ans» (1).

Certains journalistes israéliens ne sont pas en reste dans la dénonciation d'Israël, l'un d'eux écrit: «Deïr Yassin, c´est ce paisible village que les groupes juifs terroristes Etzel et Lehi avaient attaqué, le 9 avril 1948, en massacrant toute la population : hommes, femmes et enfants. Je ne rappellerai pas ici l´histoire sanglante des oreilles tranchées, des entrailles répandues, des femmes violées, des hommes brûlés vifs, des corps jetés dans une carrière, ni la parade triomphale des meurtriers» (2). Et que dire alors de Sabra et Chatila ? De l'invasion du Liban et des massacres de Ghaza ? Alors comment faire la paix dans ces conditions ? Le président Bill Clinton qui a exercé durant deux mandats n'a pas réussi.

Pour cette question éminemment urgente, celle de la Palestine, force est d'observer également qu'avec deux mandats, l'action dans la perspective de la paix du président Obama n'a pas eu les résultats escomptés. Et sans aucun doute, sa réélection n'a à ce jour même pas permis de mesurer les efforts consentis pour à la fois redresser l'économie de son pays (ce faisant l'économie mondiale), mais également à contribuer à résorber les foyers de tensions en Palestine, en Irak et en Afghanistan.

Les Etats-Unis y sont pourtant pour quelque chose dans ce chaos. Comment remettre ces pays en l'état, à un moment où, de surcroît, notre Terre gravement menacée par ailleurs comme ne cessent de nous en aviser les experts en écologie.

Dans cette perspective, le prix à payer, en milliards de dollars, passera par la sécurité alimentaire mondiale : sortir donc l'Afrique (dont M. Obama est issu) de l'état de famine plutôt qu'un regain de vente des armes au détriment de la plus grande population mondiale et au bonheur d'une minorité de marchands de canons.

Il est vrai qu'un auteur américain, William Blum, ayant gravité dans l'Administration américaine en qualité de haut fonctionnaire, expose lucidement les intérêts de cette administration, voire de certaines couches et individualités localisées et liées aux grandes sociétés pétrolières et au complexe militaro-industriel américain.

De fait, en l'absence de contrepoids sérieux, crédible et efficace dans son opposition à cette même administration, force est d'observer que celle-ci monopolise (pour combien de temps encore ?) la violence à l'échelle planétaire sous le couvert de «mondialisation» et agit de façon fort belliqueuse depuis 1945 afin de mettre toutes les économies considérées comme périphériques sinon à genoux, à tout le moins tournant autour de sa galaxie? Ainsi pour atteindre ses objectifs, l'auteur nous rappelle que l'Administration américaine a été l'auteur de bombardements du Japon (bombe A sur Hiroshima et Nagasaki) et du Vietnam (un million de morts et vingt ans de destruction de ce pays). Elle a utilisé de l'uranium appauvri (qui est radioactif) lors de la guerre du Golfe, ainsi que des bombes à fragmentation (3). Il est vrai hélas que l'Amérique s'est bâtie dès l'origine sur la violence : massacre des Amérindiens dont les survivants ont été parqués dans des réserves et traite des Noirs devenus depuis Afro-Américains qui n'ont eu de cesse de se battre pour leurs droits civiques.

Monsieur Obama a pu dire Yes, we can ? Il a pu dire également : Four More Years. Pourtant, qu'a fait l'Administration américaine pour résoudre la question palestinienne ? Contribuer au règlement de cette question est un devoir de la plus haute importance pour les USA, d'autant que les Palestiniens -les Arabes, et les Musulmans également- n'ont pas de lobby qui oeuvrent pour leur cause. Ou si peu (combien, en effet, la Maison Blanche compte t-elle de collaborateurs et autres conseillers Arabes et Musulmans ?). Il y va de la crédibilité de la politique de changement préconisée lors du premier mandat du président Obama, notamment en ce qui concerne l'édification d'un Etat palestinien. Or, on apprend qu'il aurait abandonné l'idée d'une résolution du conflit israélo-palestinien durant son mandat (4). C'est un échec. Et pour cause, «La paix basée sur l'égalité et la justice passe avant tout par la fin de l'impunité d´Israël. Il faut un boycott politique, économique, sportif, moral à l'image de celui qui a fait plier le régime de l'Apartheid» (Pierre Stamboul).

A la fin de son second mandant, le président Obama ne pourra sans doute même pas présenter des excuses officielles -avec réparation de tous dommages causés- tant aux Noirs américains longtemps réduits en esclavage et longtemps sans droits civiques qu'aux Amérindiens en tant que véritables autochtones longtemps brimés dans leur propre pays. Et d'ores et déjà, je pose la question : le prochain président des Etats-Unis pourra t-il aider à résoudre la question palestinienne ? En aura-t-il la volonté ? Le doute est permis. Les Palestiniens, éternels orphelins, devront-ils attendre que surgisse des rangs arabes un nouveau Salah Eddine ? Ils risqueront d'attendre longtemps.

Notes

1/ Ilan Pappé : Le Nettoyage ethnique de la Palestine (Ed. Fayard, Paris).

2/ Israël Shamir: Les chasseurs de vampires Jaffa, le 14 mars 2001 (cité par L'Expression du 12 Mai 2008).

3/ William Blum : L'Etat voyou, éditions Parangon, cité dans ma contribution : «L'Irak: les leçons d'une agression» in El Watan du 6 avril 2008.

4/ Le Point du 11.11.2015.