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Après l'euphorie électorale, le temps des 4 vérités

par Reghis Rabah *

Lors de l'installation du nouveau Président-directeur général de l'entreprise nationale Sonatrach, le Premier ministre est apparu d'un air grave pour reconnaître que les recettes pétrolières ne devront pas dépasser d'ici 5 ans les 38 milliards de dollars, auquel cas un déséquilibre budgétaire sérieux est imminent si rien n'est fait pour trouver une solution pour d'abord diversifier l'économie nationale, ensuite découvrir d'autres champs pétroliers et gaziers pour augmenter les réserves.

Pourquoi, est employé ici le terme « reconnaître » et pas « annonce », c'est parce qu'il n'apprend rien aux Algériens. Ils ont appréhendé ce scénario depuis longtemps. De nombreux experts et économistes nationaux de renom n'ont pas cessé de tirer la sonnette d'alarme pour alerter les pouvoirs publics sur la mauvaise démarche euphorique qu'ils aient entreprise comme parade à la crise, entre autres la panique autour de l'exploitation du gaz de schiste, la restructuration de l'enveloppe des subventions, la réorganisation administrative pour améliorer le climat des affaires, etc. Pour la première fois en tant qu'ancien wali, Sellal a osé dire que mettre le foncier entre les mains du Calpiref s'est avéré une procédure administrative lourde qui ne règle pas les préoccupations des investisseurs et ne permet pas non plus d'en attirer d'autres, notamment étrangers. En effet, comment peut-on parler d'encouragement des investisseurs lorsque cette institution qui est censée arbitrer le foncier s'est transformée en un bureau d'enregistrement qui calcule son rendement en nombre de dossiers reçus et non celui des satisfaits. Dispose-t-on d'une situation crédible des investisseurs qui ont avancé dans leurs projets et qui attendent d'être régularisé en foncier pour surmonter la phase de leur croissance.

Il existe des entreprises industrielles qui fabriquent des produits de qualité et qui peuvent concurrencer les firmes étrangères mais ne trouvent pas des zones d'activité industrielle pour espérer rassembler leurs équipements pour travailler dans des conditions de fabrication convenables qui leur permettra d'atteindre le standard international et, partant, intéresser le consommateur algérien à acheter leurs produits. Ecoutons cet industriel rejeté dans un champ urbain à Ouled Belhadi dans la localité de Hammadi pour produire du matériel industriel du froid et du chaud. Il s'agit selon cet investisseur des grandes cuisines, des présentoirs frigorifiques et des machines à café en partenariat avec la marque Conti. Il a commencé en 1975 comme importateur de pièces de rechange en import - export mais, petit à petit, il a acquis un terrain dans la sphère privée pour installer sa propre usine qui fonctionne maintenant avec un taux d'intégration de 80%. Depuis l'an 2000 qu'il espère intégrer une zone industrielle en vain. Maintenant ses produits marchent tellement bien qu'il assume sa phase de croissance en se dispersant car aucune des wilayates limitrophes n'a pu le caser et donc il a été contraint de louer des locaux pour mettre ses machines là où c'est disponible dans des terrains privés.

Conséquence, en dépit d'avoir déposé un brevet de son produit star, cette dispersion de ses usines ne lui permettra jamais d'espérer une certification pour concurrencer les sociétés qui la détiennent outre mer. Donc, après tant d'effort, il sera obligé, si rien n'est fait pour parer à ses difficultés de croissance, de revenir au point de départ, c'est-à-dire l'import / export qui ne sera rentable que pour lui mais en aucun cas pour l'intérêt général. Ce n'est qu'un exemple parmi des milliers d'investisseurs qui attendent une régularisation foncière pour se stabiliser alors que les institutions étatiques inscrivent en grande pompe les nouveaux qui n'ont même pas commencer leur expérience au moment même où enfin les pouvoirs publics crient à l'insuffisance des recettes. Toute la question : ont-ils tiré des leçons du passé ? Et surtout ont-ils trouvé cette fois-ci la démarche adéquate pour parer à la crise ? S'agit-il d'un orage d'été ? Pourquoi ?

LE CHANGEMENT DE DISCOURS EST TOUJOURS CONTREPRODUCTIF

Ce n'est qu'en 2015 après une baisse des recettes pétrolières persistante et selon toute vraisemblance chronique que les dirigeants se rendent compte qu'il faudrait associer les autres entreprises aussi bien nationales que privées pour participer au développement du plan national d'investissement de Sonatrach 2015 - 2019. Qu'on découvre subitement que le système bancaire national est obsolète, 99 000 commerçants fraudent le fisc, un taux de chômage de diplômés qui commencent à inquiéter sérieusement, le marché informel, lui, menace l'économie nationale, les importations sont exagérées et qu'il va falloir les revoir, la nécessité de contrôler le marché du transfert de devises, le devoir de faire partir les retraités pour laisser la place aux jeunes, nos frontières sont devenues un vrai passoire pour le trafic de carburants, la corruption métastase la société, etc.

On apprend aussi et à notre grande surprise que l'Algérie d'abord dispose d'une stratégie puis maîtrise parfaitement sa dimension temporelle (01). Ainsi, aujourd'hui, si on insiste selon le discours officiel de maintenir le programme d'évaluation du potentiel du gaz de schiste, c'est uniquement pour penser aux générations futures comme si cette ressource va s'envoler.

Bien que tout le monde reconnaisse l'inefficacité des banques étrangères au service de l'investissement national, on ne rate pas l'occasion pour annoncer le retour du crédit à la consommation qui fera leur bonheur. Pour le gouvernement actuel, les hydrocarbures devront constituer le levier essentiel pour assurer tout cela et que le développement économique en perspective doit se faire avec le pétrole, énergie qu'il conviendrait de mobiliser au maximum de sa capacité pour booster encore plus l'économie nationale (02). Pour le Premier ministre actuel, parler de l'après-pétrole est un discours démagogique qu'on rabâche depuis 1962. Pourtant, le discours d'aujourd'hui semble balayer du revers de la main la trajectoire du modèle de développement national pour prendre une autre orientation qui semble tout effacer pour repartir de zéro sans pour autant tirer la moindre leçon des erreurs du passé. Quelles sont justement chronologiquement ces erreurs ? Qui en est responsable ? Les orientations actuelles peuvent-elles contribuer à décoller l'économie nationale ? Sommes-nous en face d'un discours démagogique qui ne fera qu'allonger l'économie de rente pour plusieurs générations ?

REGARDER EN ARRIERE PERMET DE FAIRE UN PAS SUR EN AVANT

Contrairement à ce qu'on oublie de dire dans le discours actuel que les premières années de l'indépendance nationale, l'Algérie ne comptait que très peu sur la fiscalité pétrolière. Les hydrocarbures ont commencé à prendre du poids après la nationalisation pour s'imposer d'une manière définitive avec la réorientation de l'économie nationale du début des années 80. Qu'en est-il exactement ? Il faut rappeler que les années 70 ont connu une période où les hydrocarbures servaient d'assise pour le développement de tous les pôles de l'économie nationale dans l'avènement de ce qu'on appelait industrie industrialisante. Elle visait une approche autocentrée pour qu'à long terme l'économie nationale ne dépendra pas uniquement du pétrole et ce sera justement le secteur industriel qui prendra le relais. Début des années 80, des technocrates fortement influencés par le modèle américain ont procédé à une destruction sous forme d'une restructuration organique et financière de tout le secteur économique, à commencer par celui des hydrocarbures censé servir d'appui aux autres secteurs. Cette approche part du principe que plus l'entreprise est petite plus elle est maîtrisable. Mais en éclatant les grandes sociétés nationales, cela a favorisé une cassure du processus intégré et un effritement du savoir et du savoir-faire capitalisés pendant plusieurs années.

Cela a vu des efforts et des sacrifices de toute une génération partir en fumée. La première conséquence : la chute brutale des prix du pétrole, conjuguée à celle du dollar de l'année 85 ont trouvé une économie fragilisée, fortement dépendante de la rente pétrolière et un secteur industriel en décadence. Depuis cet échec, maintenant admis par tous, les gouvernements successifs ne cessent d'être contraints par la rue de cumuler erreur après erreur pour entretenir un climat social qui arrange les affaires d'un système né de cette réorientation de l'économie nationale. Le comble c'est, à chaque fois qu'on échoue, on tente de mettre cette échec sur le dos de cette période dite dirigiste alors que c'était la seule qui avait pour objectif de sortir le pays de la dépendance des hydrocarbures. Ne sont-ils pas aujourd'hui en train de répéter les mêmes erreurs sans pour autant tirer la moindre leçon du passé ? Ce n'est pas la première fois depuis plus de trois décennies qu'on parle de la sous-traitance en vain. Aujourd'hui, lorsque l'argent s'est mélangé avec la politique, que le secteur public est à terre, l'ancien ministre de l'Energie appelle les entreprises privées à contribuer au plan de développement d'investissement. Pourquoi ? Pour partager la croissance de Sonatrach au détriment des entreprises publiques car de nombreux leaders privés se rapprochent de la sphère du pouvoir. Sonatrach a échoué dans toutes les actions stratégiques que l'Etat lui a confiées. D'abord comme réservoir de capitalisation, ensuite pour encourager la fabrication nationale lorsque le secteur public était debout. Qu'est devenue la base logistique Béni Merad de Blida, heureusement sauvée in extremis par l'armée, l'Institut Algérien du Pétrole qui est passé d'un pôle d'excellence à un simple centre de formation, où sont les milliers de cadres formés à coups de devises et qui sont aujourd'hui au service des entreprises étrangères ? La facture supportée par le Trésor public pour l'importation des besoins annuels de Sonatrach avoisine les 20 milliards de dollars dont l'amont pétrolier prend près de 70%.

CETTE SITUATION ARRANGE LES NOUVEAUX RICHES POUR TRAVAILLER HORS CIRCUIT FORMEL

Le sureffectif en Algérie est la conséquence directe de la politique de plein emploi menée dès la promulgation du premier plan triennal et qui prévoyait l'emploi de toute la population masculine algérienne (03). Ceci paraissait logique étant donné le sens même de la révolution armée qui aspirait à l'épanouissement du citoyen algérien après une souffrance de plus d'un siècle d'indigénat. Les sociétés nationales restructurées avaient des objectifs politiques, celui de servir d'assise à l'indépendance économique de l'Algérie. Il était donc demandé aux salariés de les défendre comme des acquis de cette nouvelle bataille après celle armée. Parler donc comme l'ont fait ces technocrates de rentabilité et sur la base de simples opinions « mimétistes » les a déroutés. Les objectifs deviennent peu clairs, l'Etat qui assurait aux salariés presque tout (emploi, salaire, logement, règle leurs problèmes sociaux, etc.) se désengage progressivement de leur environnement. L'erreur réside dans le fait d'avoir imposé un traitement économique aux problèmes du sureffectif alors qu'il est principalement et éminemment politique.

Il s'agissait d'affectation arbitraire, de reconversion forcée voire de dislocation sociale. L'alliance est donc rompue. Sont apparues des fissures dans la cohésion sociale qui ont permis aux dysfonctionnements qu'on est en train de subir aujourd'hui, de s'enraciner. Cette déroute a rendu l'Algérien au travail narcissique, replié sur lui-même et complètement désintéressé de l'intérêt général. Il ne pense qu'à lui et à son entourage immédiat et il éduque ses enfants dans ce sens. Les entreprises issues de la restructuration y compris Sonatrach ont été totalement noyautées par des recrutements familiaux lorsqu'ils ne sont pas de complaisance. Est instauré un processus d'encanaillement qui fait grossir ces cercles pour les rendre un champ de bataille favorable à la corruption mais très loin des objectifs de rendement tel que souhaité par ces technocrates. Pourquoi s'étonne-t-on aujourd'hui que dans les dossiers de corruption, en cours comme celui de Sonatrach I et II, lorsqu'un dirigeant est impliqué c'est toute sa famille qui le suit. C'est le cas de certains PDG de Sonatrach, de l'épouse du vice-président commercialisation, la femme et les deux enfants de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, et ceci n'est que l'arbre qui cache la forêt. De la même manière les procès liés à la corruption sont fortement médiatisés mais n'aboutiront jamais en Algérie. Qu'avons-nous retenu de l'affaire Khalifa ? Les larmes d'émotion de la juge en charge du dossier, de l'acquittement total des cadres dirigeants qui ont reçu des enveloppes sous différentes formes. Le secrétaire général de l'UGTA qui « assume ». Le ministre qui a autorisé cette banque, s'est trompé de champion. Le golden boy lui-même devait être difficilement extradé de la Grande-Bretagne. Par contre, les seuls perdants restent ceux qui ont fait confiance à l'Etat pour déposer leurs économies qu'ils ne récupéreront sans doute jamais. Les affaires en cours risquent de suivre le même cheminement si des changements profonds ne se produisent pas dans la société.

LE MODE DE GESTION ACTUEL DE SONATRACH EST VOULU

En dépit des sommes considérables consenties pour la formation dans l'espace et dans le temps des cadres dans les différents secteurs d'activité de l'économie nationale, l'ordre établi par le rouage clanique a empêché l'apparition d'une vraie élite de gestionnaires capables de conduire et de gouverner les entreprises publiques. Dans de nombreux cas, ce n'était pas le savoir et le savoir-faire qui faisaient défaut mais c'est le savoir être et l'audace managériale qui leur manquaient. Ils obéissent et ne savent pas dire non quand il le faut. Si on se réfère aux affaires de Sonatrach par exemple, le passage d'à peine deux ans de Chakib Khelil comme PDG du groupe aura suffi pour violer la culture de cette entreprise cumulée depuis près de 40 ans. Il a facilement réussi à mettre dans les postes clés ses collaborateurs du ministère notamment son directeur des hydrocarbures comme Pdg, son assistante aux ressources humaines et son chef de cabinet au secrétariat général du groupe et, plus grave, son neveu dans un poste névralgique. En dépit de toute une direction juridique dotée de cadres de haut niveau et formés dans les universités étrangères, il coopte un Américain pour lui rédiger une loi rejetée avant même d'être mise en application. Cet Américain a perçu une rémunération de 2 millions de dollars, démotivant ainsi les compétences qui ont vidé l'entreprise au profit de celles étrangères.

Lorsque les deux principales affaires de Sonatrach ont éclaté, ce sont eux qui ont servi de fusibles en mettant tout sur son dos sans fournir la moindre preuve. Aujourd'hui si un mandat international est lancé contre lui, c'est parce que la justice algérienne est mise devant un fait accompli par le parquet de Milan et des fuites d'information ont circulé sur le fait qu'il avait nargué la justice algérienne qui l'a convoqué à deux reprises, uniquement pour répondre et confronter les lampistes qui l'accusent. Rôdé dans le système de gestion international et très informé des points faibles et des prédispositions des dirigeants algériens, cet ancien ministre instruit verbalement mais ne formalise que très peu. D'ailleurs, c'est durant son règne que s'est développé le réseau Internet qui a remplacé la communication interne par soit transmis formalisé. On se contacte et on instruit d'une manière virtuelle. Désormais, ses collaborateurs appliquent les instructions la bouche ouverte car une de ses qualité c'est qu'il sait récompenser d'une manière pavlovienne l'obéissance par des artifices divers : mission à l'étranger, logements, recrutement de complaisance, avantages divers. La plupart de ses vice-présidents, le PDG actuellement sous contrôle judiciaire et de nombreux directeurs centraux ont bénéficié de logements dans la résidence Chaâbani en contractant des prêts CNEP que la Sonatrach paye, croit-on savoir indirectement sous forme de prime de logement cette fois-ci directement versée aux intéressés, en terme plus simple, le beurre et l'argent du beurre. Aucun Algérien n'aurait pu imaginer que des cadres nationaux permettent ou ferment les yeux pendant que des étrangers comme SAIPEM vide le pétrole du gisement Sif Fatima ou le trafic de la filiale de Londres en attendant l'ouverture de la boîte de Pandore par la justice d'autres pays. Plus grave à en croire un site électronique (4), la DRS enquête actuellement sur des taupes à l'origine d'importantes fuites d'information de Sonatrach vers ses conquérants. Si cette fuite se confirme, elle expliquerait pourquoi les investisseurs choisissent les gisements existants ou les blocs qui leur sont mitoyens. Depuis 1986, très peu sinon aucun d'entre eux n'a risqué un dollar pour rien. Tous les blocs ont été fructueux pour rendre ainsi le risque géologique du domaine minier algérien presque nul. Par contre, aucun de ses investisseurs ne s'intéresse aux 761.751 km2 du domaine libre et que l'Algérie souhaite valoriser.

En conclusion, il est important de tirer les leçons du passé pour pouvoir faire un pas productif en avant, sinon les mêmes méthodes produisent les mêmes erreurs. Quand bien même le Premier ministre se ressaisisse pour se rendre compte des dangers qui guettent l'économie nationale, de la crise qui secoue le pays, aura-t-il les coudées franches pour affronter la maffia politico-financière qui fera tout pour maintenir le statut quo ? Quand l'argent se mélange à la politique, la relation fermente et sa séparation devient difficile. Est-ce le cas ?

* Consultant, Economiste Pétrolier

Renvoi :

(01)- La déclaration de Sellal sur l'échéance d'exploitation du gaz de schiste à l'horizon 2040.

(02)- Réunion avec les représentants du patronat et de la centrale syndicale de l'UGTA en novembre 2012.

(03) Lire le préambule du plan triennal couvrant la période 67-69.

(04)- Article paru sur le site de TSA, le samedi 10/08/2013 à 17 : 31.