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L'Islam en question(s)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

TEMOIGNAGES IMPARTIAUX SUR L'ISLAM ET SON PROPHETE. Recueil de témoignages de Kamel Chekat. Dar Tidikelt, Alger 2015, 212 pages, 350 dinars

Une trentaine d'extraits (surtout des écrits) d'hommes célèbres : philosophes, scientifiques, artistes, intellectuels, politiciens, dirigeants? Cela va de George Bernard Shaw et Alphone de Lamartine à Victor Hugo, Bernard Lewis, Sigrid Hunke et Gustave Lebon en passant par Maxime Rodinson, Napoléon Bonaparte, Thomas Carlyle et Johann Wolfgang Von Goethe.

L'auteur présente leurs réflexions, leurs conclusions et/ou leurs témoignages sur l'Islam et son Prophète qu'il estime tous «impartiaux ». Il commence son ouvrage, en guise d'introduction, avec l'audience accordée à Abou Sofiane, encore polythéiste (et rapportée par l'Imam El Boukhari) par Héraclius, Empereur byzantin, en l'an 6 de l'hégire, et qui venait de recevoir une lettre adressée par l'Envoyé de Dieu. Héraclius voulait avoir encore plus d'informations.

Les réponses, venant pourtant de l'un des ennemis parmi les plus acharnés du Prophète, mais dictées par le strict respect des principes liés au statut d'«homme libre », permirent ainsi à l'empereur byzantin de se faire une idée juste et complète.

Et, il termine le recueil («Cerise sur le gâteau ») par un long extrait de «La légende des siècles » de Victor Hugo, ayant trait aux derniers moments sur terre du Prophète.

L'auteur : la cinquantaine ou un peu moins, né à Alger, activant dans des associations caritatives, c'est l'encore jeune membre de l'Association des Ulémas algériens. Consultant à la radio et la télévision nationales?et, souvent, collaborateur de journaux. Maîtrisant les langues étrangères, il est apprécié pour son érudition, ses analyses fines et précises des textes religieux les plus complexes, son ouverture d'esprit?et sa liberté de ton, en arabe et en français. Producteur d'une pédagogie de qualité pour expliquer et clarifier des notions bien difficiles pour le commun des mortels, il rend les concepts et les préceptes de la spiritualité simples et accessibles à tous.

Avis : Pour donner à votre culture religieuse une dimension spirituelle éclairée.

Extraits : «La fascination qu'a opéré la personnalité de Muhammad (pbs) sur tous ceux qui l'ont étudié est sans pareille ; elle ne fait et ne fera que croître au fur et à mesure que les siècles se succéderont » (p 10)

REFORMER PEUPLE ET POUVOIR. Essai de Noureddine Boukrouh. Dar Samar, Alger 2013, 302 pages, 500 dinars.

Près d'une trentaine d'articles regroupés et déjà publiés dans le Soir d'Algérie (quotidien), son journal préféré. Leurs titres sont, à eux seuls, assez significatifs: «Le réveil tant attendu du monde arabe», «Le nouveau visage du monde arabe», «Arabes et Japonais : coïncidences et paradoxes» ... «Le dernier des despostes», «La triste fin des despotes», «les origines du despotisme algérien»... «La fuite en avant»... Des titres qui, réalistes, raccoleurs ou accrocheurs, résument bien des problématiques, hélas, bel et bien toujours posées. Brr !

L'exercice du pouvoir...l'interprétation des textes sacrés... la pratique religieuse... l'exploitation de la religion à des fins politiques... Le niveau culturel des citoyens et des «élites» dirigeantes... L'état de l'économie dans un monde en évolution permanente... La pratique démocratique... Les révoltes populaires... Tout est passé à la moulinette «boukrouhienne». Implacable ! Il jongle, comme à son habitude, avec les mots et les concepts sur la base d'une culture politique bien documentée doublée de franchise, démontrant qu'il connaît bien son peuple, son pays et leurs probèmes. Réformateur avant l'heure (il avait beaucoup «sévi», dans ce sens, dénonçant la «mamelle de l'Etat», avant bien d'autres, dans le journal Algérie Actualités durant les années 80), dirigeant d'un parti politique, ayant participé au pouvoir exécutif en tant que ministre, il sait de quoi il parle. Et, c'est ce qui rend encore plus inquiétantes ses conclusions, pour la plupart pessimistes, en tout cas pas optimistes pour un sou, quant au devenir du pays ainsi que du monde arabo-musulman. Il a raison sur toute la ligne. Son tort c'est peut-être de vouloir «faire simple» alors que tous les autres (ou presque) veulent «faire compliqué».

Trois textes importants à mon avis :

1/ Que veut le peuple ? (mars 2011) «Le peuple (... ) est traversé par plusieurs courants d'idées... Les «açabiyate» sont toujours en vigueur en son sein et les députés qu'il aura élus reflèteront nécessairement les clivages idéologiques et culturels existants».

2/Au royaume des aveugles (mars 2011) : «Au lendemain de l'Indépendance, nous étions quelque chose comme un royaume d'aveugles que des borgnes pouvaient en toute logique prétendre diriger car l'analphabétisme était général et ceux qui détenaient le certificat d'études primaires passaient pour d'éminents penseurs... Depuis, de nombreuses générations de bien-voyants sont apparus et comprennent de moins en moins que des borgnes, entretemps devenus très mal voyants du fait de l'usure du temps, continuent de les commander(... )et de les conduire dans le mur».

3/ Réformer peuple et pouvoir (avril 2011) : «Tous les partis politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, peuvent fièrement inscrire au fronton de leur siège «Vive les droits !» Combien peuvent écrire et survivre «Vive les devoirs !»? Sur combien de militants et d'électeurs pourraient-ils compter pour porter leurs idées au pouvoir ?... Il s'agit bel et bien d'un jeu de «karr» et de «farr» entre un peuple disposé à foutre la paix au pouvoir si on le laisse faire ce qu'il veut, comme il veut et là où il veut, et un pouvoir disposé à toutes les concessions pourvu qu'on ne le renverse pas».

L'auteur : il est né le 5 mars 1950 à El Milia (Jijel). Etudes primaires, secondaires et supérieures à Alger. Diplôme d'études supérieures (DES) en finances.

Entre 1973 et 1984, travaille comme cadre dans le secteur économique public. De 1984 à 1989, dirige une entreprise privée.

À l'avènement de la démocratie en 1989 ,fonde le Parti du renouveau algérien (PRA) et le préside jusqu'en 1999. Candidat à la première élection présidentielle pluraliste du 16 novembre 1995.

1999-2005 : fait partie du gouvernement à des postes économiques. De 1970 à nos jours, publie dans la presse un grand nombre d'analyses critiques des politiques suivies dans le processus d'édification de l'Algérie. A partir de 2005, ce sont surtout des analyses critiques des pratiques religieuses. Ses écrits ont été regroupés en volumes édités.

Avis : Pour donner à votre culture politique une dimension cultuelle et spirituelle rigoureuse.

Extraits : «Il est plus aisé de traiter avec des hommes dont on sait la fragilité et connaît les numéros de comptes bancaires qu'avec des parlements soumis à la souveraineté de leurs peuples» (p 21), «Le despotisme c'est l'incarnation populaire et de l'Etat par un seul homme «( p 41), «Les émeutes sont le stade primaire de la politique» (p 53), «Le peuple n'est pas la somme arithmétique de la population. Ce n'est pas une question de nombre, mais de cause... Ce sont les causes qui font les peuples, et non l'inverse» (p 66), «Le peuple algérien, pour qui le connaît, a naturellement tendance à devenir plus mauvais que celui qui lui donne le mauvais exemple, et meilleur que celui qui lui donne le bon exemple» (p 72), «Nous avons été le premier pays arabe à être colonisé en 1830 et le dernier à se libérer en 1962» (p 86), «Le mot «réformer» a deux significations : changer dans le sens du meilleur et jeter à la casse» (p105), «Un bon pays, c'est un bon peuple plus (+) un bon Etat. Mais ce n'est pas parce que le pouvoir est mauvais que le peuple est bon, dans son intégralité» (p 107).

La construction humaine de l'Islam. Recueil d'entretiens avec Rachif Benzine et Jean-Louis Schlegel. Préface d'Edgar Morin. Hibr Editions, Alger 2012, 221 pages, 700 dinars.

Il a tenu à le préciser. Il a créé (et il a dû se battre pour cela) la chaire d' «Histoire de la Pensée islamique» à l'université, en Sorbonne?Il tient, avant tout, au terme «histoire» et il le dit clairement : il était d'abord professeur d'histoire et non d'Islam ou de pensée islamique. Pour lui, le mot «histoire» est le mot-clé, la base sur laquelle il s'est appuyé pour modifier les façons dont on a traité la pensée islamique jusqu'à nos jours et aussi pour se démarquer de l'«orientalisme».

A travers un long entretien multidirectionnel, très ouvert, avec les deux auteurs, Benzine et Schlegel, Arkoun s'est confié avec franchise. Il a failli n'être qu'un épicier, son père ayant caressé, au départ, le projet. Il apprit l'arabe sur le tard mais le Coran par cœur à 12-13 ans. Arrivée à Paris en 54 afin de préparer l'agrégation?l'air colonialiste d'Alger étant assez pollué par un racisme certain. Paris, au temps où on ne parlait que de libération de l'Afrique du Nord ! Après l'indépendance, les discours arabistes et négationnistes de la berbérité du pays (anti-kabyles ?), tout ou parties, de A. Bella, puis ceux de H. Boumediène, menant à la désillusion, c'est la prise de conscience de la nécessité d'une «critique de la raison islamique». Un sujet qui fera l'objet de sa thèse sur «L'humanisme arabe?au IVè/Xè siècle», mais terminé seulement dans les années 80 .

Comme l'écrit le préfacier, Edgar Morin, M. Arkoun a combattu (audacieusement et prudemment) sur deux fronts : l'un, celui d'une critique de la raison islamique («close», «immobile» ) par le biais de la critique épistémique, la critique historique et la critique sémiotique, l'autre, celui d'une critique de la raison occidentale. Ce qui lui a permis de forger son indépendance par le dépassement et la transgression. D'où l'incompréhension de tous les autres?assurément envieux de la fécondité futuriste d'une grande figure -discrète et exigeante- des études islamiques contemporaines. Auteur de nombreux ouvrages, en français, en arabe et en anglais, de sociologie religieuse consacrés à l'Islam, Mohamed Arkoun a enseigné dans de nombeuses universités françaises et étrangères et a obtenu de multiples distinctions. Sa pensée et ses idées ont fourni un contrepoids aux interprétations parfois fortement idéologisées du monde musulman et occidental ...ce qui fait grincer des dents ici et là...

L'Algérie, son pays natal, ne l'a jamais reconnu pleinement et seulement deux de ses ouvrages avaient été édités, presque clandestinement, dans les années 80. Par la suite, il ne fut invité qu'une seule fois à participer à une rencontre internationale et le mauvais accueil d'alors l'avait éloigné du pays de plus en plus dominé par la pensée religieuse conservatrice et intolérante. D'ailleurs, à sa mort, il était impossible de trouver ne serait-ce qu'un seul ouvrage de l' islamologue...qui a préféré être enterré au Maroc, pays natal de son épouse. A la fin de sa vie, découragé ? «Il y a trop d'ignorance institutionnalisée, et on ne peut pas lutter contre les institutions ignorantes. En tout cas, pour ma part, je ne m'en sens plus la force et je considère que j'ai accompli le travail que je devais faire »?et «dénoncer les partis ou les Etats qui ont acquis leur légitimité non pas à partir de la parole transmise dans la fracture linguistique du discours prophétique, mais à partir de son occultation et de son oubli», dit-il à la fin de l'ouvrage. Paix à son âme !

L'auteur : Mohamed Arkoun, professeur émérite à Paris III-Sorbonne Nouvelle, associé senior à la recherche à l'Institut d'études ismaéliennes, décédé à Paris où il résidait, mardi 14 septembre 2010, est né en 1928 à Taourirt-Mimoun en Kabylie.

Etudes primaires dans son village natal, puis secondaires à Oran. Etudie ensuite la philosophie à la faculté des lettres de l'Université d'Alger puis à la Sorbonne. Agrégé en langue et en littérature arabes en 1956 et docteur en philosophie en 1968.

Obtient une certaine renommée dans les milieux universitaires en 1969 avec ses travaux sur l'œuvre de l'historien et philosophe perse du premier millénaire, Ibn Miskawayh, du courant humaniste musulman.

Avis : A lire a.b.s.o.l.u.m.e.n.t. Niveau ou pas. Foi ou pas. Pour donner à votre culture générale une dimension cultuelle et spirituelle scientifique?et pour mieux saisir les «ratages» intellectuels du pays?et du monde arabo-musulman.

Extraits : «Le rôle politique de Ferhat Abbas avait été très important dans le processus de libération, il fut sauvagement écarté de toute responsabilité après l'indépendance. Depuis ce premier moment, on peut dire que l'Algérie est engagée dans une ligne droite, certes, mais que cette ligne droite est désespérante !» (p 37), « Le hasard de la naissance ne saurait devenir nécessité» (p 39), «Le chercheur-penseur doit se préoccuper du destin de l'esprit, de l'ensemble des facultés qui font l'homme et le distinguent des autres «créatures» (p 51), «On ne cesse de parter de tolérance ci, d'intolérance là, et on ne voit pas du tout l'intolérable partout, triomphant dans toutes les sociétés» (p 52), «Le confrérisme s'est développé là où le pouvoir politique était faible ou en train de s'affaiblir, incapable de contrôler les mouvements religieux «(p 118) , «C'est la quête d'un pouvoir politique, faite au nom d'un islam non savant, qui enseigne des disciplines diverses, éventuellemnet des exercices corporels : un islam de contact oral, de récitation, ou accompgané par la voix récitative, liturgique, du Coran «(p 119), «Il n'y a pas que l'Etat qui crée l'impensable : les sociétés conditionnées par une longue politique d'oppression vont devenir, elles aussi, des agents de maintien et de renforcement de l'impensable ou de l'impossible» (p 185), «La foi est dynamique, jamais stable ni stabilisée. Ou alors, si elle l'est, ce n'est qu'une croyance?La foi est projet de vie, elle «produit» l'existence» (pp 204- 205), «Les islamistes sont d'abord des activistes politiques nourris d'idéologie, qui s'accrochent à une ossature doctrinale frigorifiée?Le contenu de la foi n'est pas leur problème, à la différence des oulémas» (pp 208-209)