Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LE NOUVEAU MONDE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Demain, qui gouvernera le monde ? Essai de Jacques Attali. Hibr Editions, Alger 2011, 405 pages, 1 100 dinars

Avant de (se) poser la question, l'auteur, un «homme à tout penser» (il en a les capacités intellectuelles), nous emmène loin, très loin dans l'histoire des premiers gouvernements du monde. Depuis le temps où les dieux gouvernaient le monde jusqu'au temps où les hommes ont commencé à gouverner au nom des dieux.

Puis, on a droit ainsi aux premiers gouvernements marchands (1300-1600) ; au premier gouvernement atlantique du monde ( 1600-1815) ; aux premiers gouvernements du monde entier...avec les utopies entre autres européennes, les «internationales» et les premières institutions internationales informelles, ou non (1815-1914) ; puis à la grandeur et à la décadence du gouvernement américain du monde (1914-2011 : G2 anglo-américain, Sdn, Onu, deuxième G2 Etats-unis/Urss, G5 puis G7, deuxième «globalisation», G8 puis G20), enfin à l'état actuel du gouvernement du monde.

A l'arrivée, donc, un «gouvernement du monde d'une extraordinaire complexité...qui se résume en fait à un ensemble de pouvoirs multilatéraux qui se complètent, s'enchevêtrent, parfois se contredisent, mais prolongent de façon presque dérisoire l'action des gouvernements... en particulier de celui qui reste, malgré les mutations en cours, le principal maître du monde : celui des Etats-Unis d'Amérique».

Mais la messe n'est pas totalement et définitivement dite. En effet, dans ce monde, le pouvoir «monarchique» des Américains est contrebalancé par le pouvoir «aristocratique» des acteurs du marché mondial et par le pouvoir «démocratique» des plus démunis (dont ceux du «Double vert» fondamentaliste... les religieux, tous les religieux et les écolos ( Dieu et/ou la Nature) avançant leurs idées... et plus).

Le commencement de la fin ? Un monde impossible à vivre avec des désordres continuels? Heureusement qu'il y a les mille et un projets et autres propositions des utopistes : Karl Popper, Jurgen Habermas, Toni Negri et Michael Hardt, Zhao Thinyang, Sheng Hong, Francis Fukuyama, Pascal Lamy, Ulrich Beck ... et Jacques Attali, of course.

L'auteur : prof, écrivain, conseiller d'Etat honoraire, conseiller spécial de F. Mitterand à la présidence de la République de 81 à 91, fondateur et premier président de la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement à Londres de 91 à 93... Président d'une entreprise internationale de conseils en stratégies, etc... etc... Docteur en sciences économiques, diplômé de l'Ecole Polytechnique, de l'Ecole des Mines, de l'Iep, de l'Ena...Il est aussi éditorialiste... auteur de plus de 60 ouvrages traduits dans plus de 20 langues (essais, biographies, romans, contes pour enfants, pièces de théâtre...). Classé comme l'un des cent intellectuels les plus importants du monde. J'oubliais : il est né fin 43, (c'est un jumeau, et son autre frère, Bernard, fut, entre autres, Pdg d'Air France ) à Alger d'une famille juive d'Algérie installée à Paris dès 56, le papa ayant tout compris de la situation coloniale, bien avant tous les autres.

Aucun mandat électif... et ne manque plus... que l'Académie française. Cela ne saurait tarder ! Mais, le veut-il vraiment ?

Avis : énormément d'informations. Beaucoup de réflexions et de commentaires. Ouvrage très utile pour comprendre le monde et son devenir. Mais, en partie seulement !

Extraits : «Contrairement à ce qu'on croit trop souvent, le monde sera de moins en moins sous le contrôle d'un empire, et de plus en plus sous celui du marché» (p 9), «Depuis toujours (... ), la richesse n'est pas tout, ni la population ; il faut en outre un «désir d'avenir», une capacité à disposer d'une forme claire de commandement, une volonté de s'imposer au monde » (p 229), «Il n'y a pas de gouvernement du monde, et les théories du complot ne sont qu'une manifestation de l'impuissance de l'humanité face à son destin» (p 260), «Comment sera gouverné le monde ? Par personne, sans doute, et c'est là le pire» (p 262), «Le marché sera de plus en plus mondial, alors que la démocratie, là où elle existe ou existera, restera locale» (p 270).

Quand une nation s'éveille. Mémoires -Tome I - 1928-1949. Essai de Sadek Hadjerès. Annoté et postfacé par Malika Rahal. Inas Editions, Alger 2014, 405 pages, 1.000 DA

Ce premier ouvrage d'un militant au long cours n'évoque que quelques épisodes de sa «traversée» des années 40. Arrêté à 1948, le récit anticipe cependant sur les années suivantes «par quelques incursions et commentaires». Quelques ? Beaucoup même.

L'enfance, ses deux écoles, les premières années de l'enseignement secondaire aux collèges de Médéa et Blida, l'action au sein du mouvement associatif (avec la présentation de figures emblématiques de l'époque) dont les Sma, les premières interrogations politiques, le lycée de Ben Aknoun, le combat aux côtés de Ali Laimèche, l'Université?.

Ce n'est pas seulement un essai, ce ne sont pas seulement des mémoires, ce n'est pas seulement un livre d'histoire?..Un peu de tout, de tout un peu, avec des «sauts» dans le présent et des détails et des précisions à n'en plus finir. Il est vrai que Malika Rahal, l'universitaire plus que rigoureuse que l'on connaît, a veillé au grain.

Bien sûr, le livre en lui-même retrace, de manière originale, la naissance, l'éclosion et la première évolution d'un militant infatigable, «possédé» par l'Algérie mais aussi par la soif de justice sociale, de libertés et de droits... ainsi que l'évolution historique, politique et sociologique au moment des prises de conscience d'un pays colonisé. Mais, pour moi, le plus émouvant, ce sont les multiples portraits, dressés par l'auteur, d'hommes, militants actifs ou non, qui ont fait une bonne partie de l'histoire du pays et/ou qui ont aidé les générations des années 40 à mieux préparer leur avenir.?Des noms, certains connus (comme Ben Badis), d'autres non, sinon par ceux qui ont benéficié de leur savoir et leur soutien ; Mohammed Hadj Sadok, le professeur d'arabe au collège de Blida en 1941? est l'un d'entre-eux.

Les photographies d'époque présentées en annexes nous plongent dans un univers encore plus prenant.

L'auteur : natif de Larba Nath Irathen (1928), médecin au parcours militant qui débute en 1943 comme responsable Sma. Puis Ppa, Aeman (président en 1950)?et Parti communiste algérien en 1951. Plusieurs clandestinités?7 ans durant la guerre d'indépendance... puis 24 ans après l'Indépendance (après le coup d'Etat du 19 juin)?Dirigeant du Pags de 66 à fin 90. Exil à l'étranger depuis 92. Un site web : www.socialgerie.net. Toujours à l'avant-garde !

Avis : l'éditeur nous avertit : le présent ouvrage est le 1er volume «d'une œuvre considérable». Encore 4 tomes. Patience donc et, surtout, prenez votre temps. Dégustez, car c'est un «livre écrit pour le présent». Une «pensée en mouvement» !

Extraits : «Chacun de nous, qu'il en soit suffisamment conscient ou non, fait partie d'une humanité où le frère et la sœur ne sont pas nécessairement ceux qui ont les mêmes gènes, la même langue, religion, couleur de peau ou mode de vie. L'essentiel ne tient pas, ou pas seulement, dans ce que disent les gens mais avant tout dans leurs actes et leur comportement envers leurs semblables » (p 22)

5 figures de l'émancipation algérienne.

Germaine Tillon, Alfred Berenguer, Charles Koenig, Pierre Claverie, André Mandouze. Des modèles pour un renouveau des rapports franco-algériens ? Essai de Michel Kelle. Préface de Aissa Kadri et postface de Jean Philippe Ould Aoudia. Casbah Editions, Alger 2014, 247 pages, 850 DA

Une femme, quatre hommes ! Ce ne sont pas des héros de guerre (notre guerre d'Indépendance), mais ce sont des personnes à qui il faut «tirer le chapeau» pour leur engagement en faveur de la liberté. Chacun à sa manière et selon ce qu'il a vu ou compris ou vécu de l'Algérie et des Algériens, sous le joug colonial plus précisement.

Bien sûr, les engagements des uns et des autres sont loin d'être semblables, mais leurs actions et leurs combats contre les atteintes aux droits humains, contre la répression sous ses différentes formes s'inscrivent dans les mêmes filiations? Toujours être plus proches de celles et ceux à qui sont déniés les droits élémentaires.

Germaine Tillon (1907-2008), la résistante déportée, la bourgeoise, la catholique, la republicaine, l'ethnographe, la spécialiste des populations des Aurès avait, dès 1957, beaucoup révisé ses positions réformistes et opéré un retournement politique radical en condamnant la politique de répression et en dénonçant la pratique des tortures par des officiers français. André Mandouze (1916-2006), chrétien de gauche, résistant contre Vichy et le nazisme mais aussi résistant contre «l'aliénation colonialiste» découverte à son arrivée en Algérie en 1946. Une seconde résistance qu'il mènera, à ses risques et périls, avec sa famille, jusqu'à l'indépendance du pays en 1962. Son histoire d'amour contuinuera après, toujours avec l'Algérie. Il sera bien mal récompensé. Alfred Bérenguer (1915-1996), natif d'Algérie (Lourmel /El Amria/Aïn-Témouchent), curé pied-noir d'origine espagnole très engagé, se mobilise concrètement dès 1956 dans le soutien (surtout diplomatique) à la lutte du peuple algérien?Il restera jusqu'en 65 au service de l'Algérie algérienne (dont député à l'Assemblée constituante)?et de sa foi, à Oran. Il est enterré à Tlemcen.

Charles Kœnig (1921-2009), né à Saïda (dont il deviendra député-maire), est un enseignant, lui aussi assez engagé tant sur le plan professionnel que syndical (Sni puis Apifa, puis Fenfa)... Proche de Ahmed Boumendjel, il participera à l'Exécutif provisoire, devint membre de l'Assemblée constituante puis reprit le chemin de l'école jusqu'en 1966, tout en militant (entre autres, membre de la Commission exécutive de la Mgen).

Pierre Claverie (1938-1996), enfant d'Alger Bab El Oued? Mais qui, élevé dans une «bulle», ne «voyait» pas les Arabes. Sa prise de conscience se construit et s'affermit au tournant des années 1960. Il rompt alors avec le monde ancien et devient l' «Algérien par alliance», l' «Evêque de dialogue». Il est assassiné par les islamistes intégristes à Oran en 1996. Des «justes» de la guerre d'Algérie ? Ce serait sans doute excessif. Mais, les figures présentées, connues ou moins connues, voire déjà oubliées, car elles sont toutes décédées, ont pour point commun, selon l'auteur, d'avoir cherché à être des «passeurs des deux rives».

L'auteur : agrégé de grammaire, il a enseigné en tant que coopérant à Tlemcen de 65 à 67 et à Oran de 82 à 88. Il a été élu délégué des Français résidant à l'étranger pour l'Algérie au Conseil supérieur des Français de l'étranger de 85 à 88. Spécialiste des écrivains francohones d'Algérie comme M. Feraoun et E. Roblès.

Avis : à lire par curiosité ? Non ! surtout pour ne pas oublier et, pour savoir que l'histoire du pays et bien plus complexe (et bien plus riche) qu'on l'a fait croire aux nouvelles générations de citoyens toutes ces dernières décennies.

Extraits : «Il faut qu'on le sache : l'Eglise d'Algérie, la vraie, est une Eglise martyre, et martyre des (prétendus) chrétiens» ( André Mandouze, p 106)», «L'Algérie terre française est une fiction. L'Algérie est l'Algérie et aucun décret ne supprime l'histoire, la géographie, le fait social, la vie» (Alfred Bérenguer, p .138), «Je ne suis pas sorti de cette bulle, comme d'autres ont pu le faire, pour aller à la découverte de ce monde différent que je côtoyais en permanence sans le connaître. Il a fallu une guerre pour que la bulle éclate» (Pierre Claverie, p 180).