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Overdose médiatique, confusion politique

par M'hammedi Bouzina Med: Bruxelles

L'actualité nationale prend des airs de foire d'empoigne qui amuse ses animateurs, brouille les sujets et plonge dans l'incertitude les esprits les plus optimistes.

Question du jour : quel sujet domine l'actualité nationale ? Aux choix : la révision de la Constitution ; le procès de l'autoroute Est-Ouest ; la guéguerre au FLN ; Constantine capitale de la culture arabe ; la corruption dans la passation de grands marchés avec des firmes internationales ; le slogan « consommer algérien » etc. Sur tous ces sujets d'actualité nous avons l'impression de faire du surplace, de tourner en rond comme dans une sorte de grand manège à faire tourner la tête des enfants. Un vertige qui donne le tournis au peuple et qui amuse ses animateurs. Une foire permanente. Les amuseurs, magiciens et animateurs des stands de la maison Algérie s'en donnent à cœur joie. Ils y vont à fond jusqu'à la sueur pour que le spectacle ne cesse jamais. L'illusion doit-être permanente. « Consommer algérien » par exemple est plus qu'un slogan. C'est un reproche qui sous-entend le désamour des Algériens aux produits algériens.

A suivre cet appel « patriotique », les boulangers seront dans un sérieux pétrin : plus de la moitié des baguettes de pain sont importées. L'agriculture participe, selon les chiffres du gouvernement lui-même, à hauteur de 8,9 % dans la richesse nationale (PIB). Nous importons de la farine, du blé, du sucre, du beurre etc. C'est-à-dire notre pain quotidien entre autres. Idem pour l'industrie qui ne dépasse pas les 60 % du PIB. Et encore, faut extraire les produits de maintenance, composants techniques et savoir-faire (technologie) importés. Jusqu'au secteur des services qui compte, selon toujours les chiffre du gouvernement, pas plus de 30 % dans le PIB. Reste peut-être les quelques gros producteurs « nationaux » de l'agroalimentaire. Quelle est la part de produits importés dans le produit final livré au consommateur ? Les machines et technologies de chaînes de productions sont-elles un produit algérien ? Et pour ne pas exclure ce produit que vous tenez entre les mains, votre « Journal », le vulgaire papier provient d'ailleurs autant que les encres et les machines qui le fabriquent. En clair : pour consommer algérien, il faut produire algérien. C'est l'évidence. Non pas que notre pays est le seul à vivre cette « dépendance » de l'étranger, mais c'est le « culot » d'accuser les Algériens de fuir les produits nationaux.

C'est ridicule. Comme l'est d'ailleurs le feuilleton national du FLN : le retour de Belkhadem, les incessantes pétitions contre les uns et les autres, les partisans d'untel contre ceux d'untel comme si le sort des Algériens en dépendait. Et si vous zappez ces sujets vous n'échappez pas à celui des séries des procès interminables, ouverts, reportés, rouverts avec de nouveaux acteurs, de nouvelles révélations sans fin. Sinon vous avez l'autre choix : que se passe-t-il à Constantine, capitale de la culture arabe ? Un « tirage de cheveux » entre Luisa Hanoune du Parti des travailleurs et la ministre de la Culture accusée de favoritisme, de conflit d'intérêts. Des délits jumeaux de celui de la corruption. Encore la corruption ! Cette gigantesque foire d'empoigne joyeuse pour ses promoteurs se tient sur fond de l'autre sujet auquel vous ne saurez échapper : la révision de la Constitution. La nouvelle version va, paraît-il, révolutionner le quotidien des Algériens. Ils l'attendent comme une « révélation » qui va les libérer définitivement de toutes les misères vécues à ce jour.

 Et ainsi de suite, ces sujets d'actualité se répètent avec la même intensité, le même rythme, infiniment, jusqu'à angoisser les rares optimistes dans la maison commune Algérie. L'avalanche de ces sujet à répétition a fini par créer une drôle d'atmosphère, celle-là, unique au monde : l'impression d'un dynamisme incroyable dans la vie du pays, d'imminents changements attendus et dans le même temps rien ne bouge, rien ne se passe et surtout une impression d'anarchie et de confusion où il est difficile de se situer. Comme un épais brouillard qui enveloppe tout le pays.

Un tableau surréaliste où la perspective se noie dans des horizons imaginaires. Qui va montrer le cap au bateau Algérie ? Où allons-nous ? Que voulons-nous ? Pourquoi tant d'incertitudes, de questionnements et d'angoisses ? Un si beau et riche pays ne peut abriter tant de tristesse. Il aura fallu, par exemple, une émission de télévision étrangère « Thalassa », pour ne pas la nommer, pour faire admirer et aimer le littoral algérien. La fierté des Algériens a explosé les réseaux suite à l'émission. La télévision nationale ne l'a pas fait après cinquante-trois ans d'existence. Terrible. Les Algériens ont consommé un produit culturel étranger qui leur a montré leur pays sous l'angle d'une jolie carte postale et ça a fait leur fierté et leur bonheur. L'émission de « Thalassa » a été juste un intermède dans le quotidien des Algériens dominés par l'avalanche des sujets qui, a priori, ne semblent pas avoir de lien commun mais qui enveloppent le pays dans une grande brouille, une confusion générale où bien malin celui qui arrivera à nous dire sur quoi toute cette foire va déboucher. L'été arrive et déjà une autre « étrangeté » : la concession des plages aux privés. La ministre du Tourisme affirme publiquement l'octroi de concessions aux plagistes privés et le ministère de l'Intérieur lui répond, publiquement, qu'il n'en sera pas ainsi. Les deux évoquent la réglementation.

Qui croire et surtout les deux ministres appartiennent-ils au même gouvernement du même pays ? Ou encore, un ministre de tutelle qui lève l'obligation d'une dérogation pour le commerce en gros des boissons alcoolisées et son chef de tutelle, le Premier ministre, qui le déjuge le lendemain et impose la dérogation en question. C'est dans ce « chaos » événementiel et cette actualité confuse, floue, aveugle que les journalistes tentent de démêler l'essentiel de l'insignifiant, le vrai du faux pour un peu d'éclaircie, pour comprendre ce qui se passe chez nous. L'exercice n'est pas facile et a, souvent, un prix à payer. Mais c'est encore, là encore, un sujet supplémentaire, celui de la liberté de presse et d'opinion, qui risque d'ajouter au cafouillage national. Alors, trêve de sujet supplémentaire d'actualité et, pressons-nous de « consommer algérien ». Du pain, des fruits et légumes, de l'eau (rationnée parfois), mais aussi des procès de haute corruption, de détournement de biens publics et d'intrigues et feuilletons politiques au sommet de l'Etat. Jusqu'à satiété.