Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La sainte colère de M. Kadi

par Abed Charef

Le dossier de l'autoroute Est-Ouest planera sur l'Algérie, pendant de longues années : scandales de corruption, coûts, travaux de rénovation, rien n'a fonctionné normalement.

M. Abdelkader Kadi est en colère. Le ministre des Travaux publics l'a clairement montré, lors d'une visite d'inspection des chantiers de réhabilitation de l'autoroute Est-Ouest. Relevant d'importants retards dans les travaux, M. Kadi n'a pas hésité à s'en prendre à des responsables de puissants groupes, comme ceux de l'ETRHB de Ali Haddad, leur reprochant une lenteur inacceptable dans les travaux, alors que cette voie est devenue vitale pour l'Algérie. Il les a sommés de reprendre leur tâche, à un rythme adéquat, quitte à recourir à des sous-traitants, et les a menacés de sanctions. « Aucun retard ne sera, désormais, toléré. Que chacun assume ses responsabilités », a menacé le ministre.

C'est que la République ne se laisse pas faire. Et ses représentants n'ont pas froid aux yeux, quand les engagements de l'Etat sont en jeu. Ils n'hésitent pas à élever la voix, à taper sur la table, à rappeler chacun à ses devoirs, quitte à s'attaquer aux plus puissants, sans tenir compte de leurs réseaux et de leur influence. Et M. Kadi l'a prouvé. Ne dit-on pas que M. Ali Haddad est un proche de M. Saïd Bouteflika, le frère du chef de l'Etat ? Cela n'a pas empêché M. Kadi de tancer, vertement, les dirigeants de l'ETRHB, propriété de M. Haddad, et de leur dire ce qu'il pense de leur travail.

Les propos de M. Kadi ont été rapportés par la presse et abondamment commentés. Ce n'est pas, tous les jours, qu'un membre du gouvernement laisse exploser sa colère, pour s'en prendre, précisément, à ceux qui se croient au-dessus de tout et de tous, du fait de leur argent et de leurs relations.

KADI - GHOUL, UN GRAND DUO

M. Kadi n'a, toutefois, pas évoqué les raisons qui l'ont poussé à engager des travaux d'une telle ampleur sur une autoroute aussi récente ; si récente, d'ailleurs, que certains tronçons n'ont pas encore été achevés. Sans évoquer les tunnels de Lakhdria et de Djebel El-Ouahch, ni les éboulements à Bouira et entre Sidi Bel-Abbès et Tlemcen, il suffit de prendre l'autoroute pour mesurer la gabegie sur laquelle a débouché ce chantier. En partant de Blida vers l'ouest, par exemple, on trouve quatre chantiers de réhabilitation de l'autoroute sur moins de cent kilomètres! Comment est-il possible qu'une route aussi récente, qui a coûté treize milliards de dollars, selon le ministre, sans compter les compléments et surcoûts, comment une route aussi chère et aussi surveillée, puisse se dégrader à un rythme aussi rapide?

La réponse peut être obtenue auprès de M. Amar Ghoul, ancien ministre des Travaux publics. Celui-ci connaît le dossier à fond, et peut, certainement, détailler les raisons qui ont amené à bâcler les travaux, provoquant ces surcoûts exorbitants. M. Amar Grine, directeur de la Caisse nationale d'équipement pour le développement, en a donné un aperçu. Il a confirmé que le projet a été lancé alors qu'il n'était pas encore mûr. Malgré les précautions de langage, M. Grine a, implicitement, confirmé ce qu'on savait déjà : le contrat de réalisation a été signé alors que le tracé de certains tronçons, comme celui traversant la wilaya d'El Tarf, n'avaient pas, encore, été, définitivement, fixés ! Les entreprises réalisatrices, accusées par la justice algérienne d'avoir versé des commissions substantielles, n'ont pas accompli le travail, selon les normes requises. Qui pouvait le leur reprocher, alors qu'elles ont arrosé de nombreuses personnes gérant le secteur, et d'autres dans le premier cercle du pouvoir, comme le révèle l'acte d'accusation présenté au procès de l'autoroute Est-Ouest?

LE MYSTERE COJAAL

Sur un autre terrain, M. Kadi n'explique pas, non plus, pourquoi le japonais COJAAL a été, de nouveau, chargé de réaliser le tunnel du Djebel Ouahch. M. Kadi avait, lui-même annoncé, dans un premier temps, la résiliation de ce contrat, affirmant que le dossier algérien était solide, que le partenaire japonais choisisse d'aller en justice ou vers un arbitrage. Comment expliquer ce revirement?

Les défaillances, côté algérien, ont été multiples. En plus des commissions éventuelles, que le procès confirmera -ou infirmera-, il y a eu de graves défaillances dans l'élaboration du dossier et dans son exécution. Les études n'ont pas été, suffisamment, mûries, disent des spécialistes dont la voix a été étouffée, pendant des années, par les rodomontades de M. Amar Ghoul. L'entreprise japonaise a accepté de travailler dans des conditions inouïes: tout ce qu'on vous demande, c'est de terminer le projet, quelles qu'en soient les conditions, disaient les partenaires algériens, selon des propos collectés autour du procès de l'affaire de l'autoroute.

M. Kadi a menacé d'aller à un arbitrage international, mais la partie algérienne a, rapidement, compris qu'elle avait tout à perdre. En plus du risque de perdre le procès, il y avait celui d'assister à un nouveau déballage, dans la foulée du procès de l'autoroute. Ce qui explique, peut-être, le revirement du ministre. M. Kadi exprime sa colère contre les entreprises chargées de menus travaux en vue de retaper l'autoroute, mais il occulte le vrai scandale : le processus de négociation, de signature du contrat, de réalisation et de suivi de l'autoroute, constitue une longue succession de scandales. Cela, M. Kadi ne peut pas l'évoquer. Son attitude montre qu'il a tendance à tenter de couvrir le scandale.