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Netanyahu à Washington, à Paris… comme chez lui

par A.Benelhadj

Si le soutien des Etats-Unis à Israël est une question qui n'a jamais fait débat, les relations entre les deux pays connaissent quelques fois des hauts et des bas. Même entre alliés, il arrive que leurs intérêts ne coïncident pas. Même si les termes de leurs divergences ne sont pas toujours clairs.

La taille d'Israël induit en erreur les arpenteurs qui s'improvisent géostratèges. Il n'y a que les benêts pour ne pas apercevoir ce rhizome complexe qui couvre l'espace de la décision à l'échelle de la planète. Par ailleurs, plus qu'un territoire, Israël est l'opérateur symbolique qui relie (de " religere ") toute la communauté juive mondiale en perpétuelle reconstruction. Israël fait pétition de ne relever ni de la géographie ni de l'histoire ordinaires. Plus que pour toute autre collectivité humaine organisée, mythes et légendes déterminent l'espace-temps d'une communauté qui échappe aux lois de la nature. Du moins s'efforce-t-elle de convaincre et s'en convaincre…

Israël participe - le plus souvent dans l'ombre des puissances occidentales - à des conflits très éloignés de ses frontières (en Méditerranée, en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine). Cependant, bien que complémentaires, les intérêts stratégiques israéliens et américains ne sont pas situés à la même échelle. Évidemment globale pour Washington. Prioritairement locale pour Israël (on ne peut s'affranchir totalement des contraintes de l'espace euclidien).

De là découlent une multitude de discordances et d'escarmouches d'importance variable entre les deux pays. Dans la plupart des cas, jamais sur l'essentiel (de gros intérêts y pourvoient). Et dans la plupart des cas, elles demeurent enfouies dans le secret des exécutifs…
Jamais peut-être les relations entre le président des Etats-Unis et le premier ministre israélien n'ont atteint un tel niveau de défiance que celui constaté le mois dernier, lors de la visite impromptue du chef d'Etat israélien au Congrès. Il est possible que cet événement marque une rupture -dont le degré de gravité sera à évaluer - dans les relations entre les alliés.

Pour trois raisons (au moins), ce différend se distingue des précédents.
- Le premier ministre israélien se déplace aux Etats-Unis sans en informer officiellement le président américain et même - lorsque la visite a été rendue publique - la maintient contre l'avis d'Obama.
- Traditionnellement géré dans la discrétion, il est aujourd'hui mis en scène et présenté comme conflit majeur au vu et au su de tous.
- De manière ostentatoire un chef d'Etat israélien s'ingère dans les affaires politiques intérieures des Etats-Unis.
En toile de fond, une tension personnelle chronique entre Obama et Netanyahu.
Qui peut au monde se permettre d'offenser impunément l'hyperpuissance américaine ?
Il tombe sous le sens qu'une approche en termes de pays ou de relations internationales, ne permet pas de saisir la complexité de la situation.

PETITES HUMILIATIONS ENTRE ALLIES...

Soigneusement tus, les précédents à la visite du premier ministre israélien aux Etats-Unis en février dernier ne manquent pas.
Ce n'est pas la première fois que les Israéliens font des mauvaises manières à leurs " amis " américains et européens. Les cas sont nombreux et régulièrement rapportés : par les Israéliens pour s'en vanter, les Arabes pour s'en moquer et montrer à quel point l'Occident-arbitre, garant de la paix du monde n'est pas crédible, par les " complotistes " et les antisémites de tout poils ou par une multitude d'anti-américains primaires. Il n'est pas d'Empires qui n'ont pas d'ennemis.

Il est un fait qu'un chat - ainsi nommé - ne peut nier d'être ce qu'il est. Pour s'en tenir à ce millénaire, quelques exemples pédagogiques.
Souvenirs. On raconte que les Israéliens ont décidé la destruction de la centrale nucléaire irakienne Ozirak, en juin 1981, sans prévenir ou recueillir l'aval des Etats-Unis[1]. Autant tenter de faire croire que les " vedettes de Cherbourg " aient pu être enlevées par un commando israélien, Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1969, à l'insu du président Pompidou (ancien directeur général de la Banque Rothschild)… Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour conforter le mythe de la " politique pro-arabe " de la France ? Afin de justifier, sous l'apparence d'une politique d'équilibre, le parti pris en faveur d'Israël.

1.- En avril 2002, alors que les Israéliens menaient des opérations militaires en Cisjordanie, les Européens avaient convoqué à la hâte à Luxembourg, une réunion de leurs ministres des affaires étrangères. Bien que convaincus que l'urgence est d'obtenir du gouvernement d'Ariel Sharon un arrêt, les Quinze s'étaient montrés incapables d'adresser un message de fermeté au gouvernement israélien. Ils ont de facto rendu celui-ci juge du bien-fondé et de l'ampleur de leur seule initiative diplomatique, consistant à envoyer sur place une mission européenne conduite par Josep Piqué, ministre espagnol des affaires étrangères, et Javier Solana, chef de la diplomatie européenne.

Son rôle était de convaincre le gouvernement de M. Sharon de mettre en œuvre la résolution 1402 des Nations Unies, qui enjoignait à Israël de retirer ses troupes des villes palestiniennes.[2]
L'Union Européenne avait confié à M. Aznar la mission de rencontrer le président Arafat ainsi que le chef du gouvernement israélien. La réponse de M. Sharon est tombée le lendemain : le gouvernement s'oppose à une rencontre avec le président de l'Autorité palestinienne, prisonnier de fait à Ramallah. " Nous ne permettrons pas à une délégation européenne de briser l'isolement que nous imposons à Arafat. "

Résultat : les confusions européennes -et le jeu américain dans les coulisses-, sans oublier le poids des réseaux sionistes dans les différents pays de l'Union, achevèrent de rendre impossible la moindre décision européenne. Même l'hypothèse - évidemment inconcevable - d'une suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël (seul véritable moyen de pression sur l'Etat juif dont disposaient les Quinze) a très vite été abandonnée.

2.- En janvier 2009, le Conseil de sécurité de l'Onu s'apprêtait à voter une résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza. Les Etats-Unis sous la conduite de C. Rice devait approuver cette résolution. Israël avait alors exercé les pressions nécessaires pour amener Washington à voter contre.

Ehud Olmert, premier ministre israélien d'alors, s'en était abondamment vanté. Les médias n'avaient pas jugé utile de faire la publicité qu'ils méritent aux propos savoureux ci-après.
Ehud Olmert avait exigé de parler à George Bush à dix minutes du vote.
- " Quand nous avons vu que la secrétaire d'Etat, pour des raisons que nous n'avons pas vraiment comprises, voulait voter en faveur de la résolution de l'Onu (...), j'ai cherché le président Bush et on m'a dit qu'il était en train de prononcer un discours à Philadelphie ".
- " J'ai dit : 'Tant pis, il faut que je lui parle maintenant' ", a poursuivi Olmert, décrivant le président sortant américain comme un " ami sans égal " d'Israël.
- " Ils l'ont fait descendre de la tribune, l'ont conduit dans une pièce à part et je lui ai parlé. "
- " Je lui ai dit : 'Vous ne pouvez pas voter en faveur de cette résolution.' "
- " Il a dit : 'Ecoute, je ne suis pas au courant. Je ne l'ai pas vue. Je ne connais pas bien la formulation.' "
Ce à quoi Olmert a répondu : " Moi, je la connais. Vous ne pouvez pas voter pour. "
- " Il a donné un ordre à la secrétaire d'Etat et elle n'a pas voté en faveur de cette résolution qu'elle avait préparée, formulée, organisée et négociée. Elle a été plutôt humiliée et s'est abstenue sur une résolution qu'elle avait mise au point ", fanfaronne le Premier ministre israélien.

La chef de la diplomatie américaine s'est finalement abstenue et la résolution a été adoptée le 8 janvier par les 14 autres membres du Conseil.

Cela n'a pas changé grand-chose au résultat du vote, ni d'ailleurs à la situation à Ghaza ou en Palestine. Ce qui importe ici, c'est la jubilation (et celle de Olmert atteint des sommets d'immaturité) des Israéliens à mesurer le pouvoir qu'ils possèdent et qu'ils exercent sur leur grand allié américain et à en faire part sans vraiment se retenir.

Si les Etats-Unis ne sont pas ménagés que dire alors du traitement réservé aux pays européens. Généralement, une telle question provoque (au mieux) des sourires polis en Israël.

La posture gaullienne de la France n'est plus qu'un vague souvenir. Elle est donnée en exemple qu'il serait prudent de ne pas suivre à tous les " vrais amis " d'Israël, et la dernière visite de Jacques Chirac à Jérusalem en octobre 1996 permet de mesurer le chemin de croix que devrait emprunter l'Union Européenne pour se construire une véritable politique étrangère. Après tout Chirac ne demandait rien de plus que de maintenir autour de lui sa propre garde rapprochée et de pouvoir échanger librement des poignées de mains avec des Palestiniens de la vieille ville. D'évidence, chacun avait compris que la principale mission des gardes israéliens n'était pas la " sécurité " du président français. Depuis, les représentants français en Israël qui expriment la moindre sympathie pour la cause palestinienne sont soumis à des tracas qui frisent l'humiliation : des attentes interminables aux Check point et cela peut aller jusqu'au rudoiement sans ménagement, comme le traitement infligé à une diplomate française, Marion Fesneau-Castaing, qui accompagnait une mission humanitaire en Cisjordanie en septembre 2013.

" Ils m'ont éjectée du camion et forcée à rester au sol, sans considération pour mon immunité diplomatique ", s'était-elle insurgée. Ayant giflé le soldat qui la maintenait à terre, régulièrement menacée, elle fut obligée de quitter Israël en accord avec le Quai d'Orsay.
Avant de s'imposer à Washington, le premier ministre israélien a commis une indélicatesse similaire en France. Une sort de galop d'essai.
Alors même que le président français avait expressément averti qu'il n'était pas le bienvenu à Paris, Netanyahu s'est glissé sans être gêné le moins du monde, au premier rang d'un cortège le dimanche 11 janvier, au lendemain de l'attaque de Charlie Hebdo, aux côtés de Mme Merkel, de D. Cameron, M. Renzi… et M. Abbas.

Avant de venir à Paris Netanyahu s'est autorisé une critique en règle de l'insécurité vécue par les juifs de France, invitant ses coreligionnaires à faire leur Aliya et " monter " vers Israël. Les répliques de M. Valls et de F. Hollande, le premier ministre israélien n'en a cure.

LE CONGRES REPUBLICAIN OFFRE UNE TRIBUNE ANTI-OBAMA A NETANYAHU

Tout (re) commence fin janvier. Le président de la Chambre des représentants, le républicain John Boehner, rend publique l'invitation adressée à B. Netanyahu, pour la troisième fois, à prononcer le 11 février un discours devant les deux chambres du Congrès, une tribune prestigieuse. La Maison Blanche a été prise de court, prétendant n'avoir été informée par les républicains que peu avant leur communiqué.
Ainsi, dès son annonce, ce voyage-surprise de B. Netanyahu était placé sur le signe de l'affront et des hostilités ouvertes entre d'une part Israël et le Congrès, désormais dominé par les républicains et, d'autre part, la Maison Blanche.

Seuls Churchill et Ben Gourion, avant lui, auront été invités trois fois à s'exprimer devant cette assemblée. Singulier privilège que celui de ce premier ministre israélien d'origine lithuanienne qui connaît très bien les Etats-Unis pour y avoir pendant une vingtaine d'années, résidé, achevé sa formation (au MIT) et occupé divers postes dans la diplomatie et le conseil.

Netanyahu est multilingue. Il parle l'hébreu et l'américain (presque) sans accent. Mais - de notoriété publique aux Etats-Unis - la langue qu'il maîtrise le mieux, avec un indiscutable talent, c'est le " républicain ".

Washington a exprimé son exaspération après l'annonce surprise que le Premier ministre israélien avait été invité par les républicains, en plein débat sur le nucléaire iranien à Genève. Le 21 janvier, en termes diplomatiques mais sans équivoque, le porte-parole de Barack Obama a fait part de l'agacement américain à l'encontre du Premier ministre israélien, prévenant que Netanyahu ne sera pas reçu à la Maison Blanche.[3]

" Le protocole classique est que le dirigeant d'un pays prenne contact avec le dirigeant du pays dans lequel il se rend, c'est certainement la façon dont les voyages du président Obama à l'étranger sont organisés, et cet événement semble donc être un écart au protocole ", a déclaré Josh Earnest. " Les Israéliens ne nous ont pas informés du tout de ce voyage ", a-t-il ajouté. (AFP le mercredi 21/01/2015 à 22:00).

Dans un discours qu'il avait annoncé avant même son arrivée aux Etats-Unis comme " historique "[4], B. Netanyahu s'en est pris avec véhémence mardi 03 mars au Capitole, au " très mauvais " accord sur le nucléaire iranien que le président des Etats-Unis B. Obama veut conclure avec Téhéran d'ici fin mars.

Au même moment, les chefs des diplomaties américaine et iranienne, John Kerry et Mohammad Javad Zarif, négociaient en Suisse pour trouver un règlement définitif censé encadrer le programme nucléaire de la République islamique.

Face au Congrès, son discours se pose dans une perspective qui dépasse le cadre israélien ou américain : " le régime iranien n'est pas seulement un problème juif ; il représente une grande menace pour la paix dans le monde. " dit-il.
" Problème Juif " ? En vérité ?
Passé inaperçue par les médias, cette répartie est pourtant essentielle. Netanyahu est obsédé par la " bombe iranienne ". Mais il est aussi tourmenté par une autre question : la judéité d'Israël. Pour lui, la paix ne pourra être envisagée un jour qu'à une condition : que la nature juive d'Israël soit établie, reconnue et juridiquement ainsi validée d'abord par le Palestiniens, par la communauté internationale et par ses voisins.[5]

Entre-temps, il fait comme tous ses prédécesseurs, il colonise tout ce qui peut l'être, " centimètre carré par centimètre carré ". Réflexe de rapace : ce qui est pris n'est plus à prendre…

LE PROFESSEUR NETANYAHU

Netanyahu ne s'est pas contenté (cela pourrait se comprendre) de diverger avec les autorités américaines au nom de la sécurité de son pays. [6]
Non. Netanyahu vient à Washington dire au Congrès américain que leur président et leur gouvernement sont incompétents. Au cœur même du pouvoir US, il vient administrer une leçon de géostratégie. Assis sur une majorité hostile à la Maison Blanche, un président étranger est invité par des Américains à infliger une correction au président.

Comble d'inconvenance et de cynisme, il va jusqu'à se porter garant des bonnes relations entre les Etats-Unis et Israël. Le Premier ministre israélien assure que leur alliance est " plus forte que jamais " et continuera de se renforcer. Les commentaires faisant état d'une détérioration des liens bilatéraux sont " non seulement hâtifs, mais tout bonnement faux ", insiste-t-il, contre l'évidence.

Un coup de griffe au passage à Obama hostile à la visite de Netanyahu " officiellement " en raison de la proximité des élections en Israël (prévues le 17 mars prochain) : " L'alliance remarquable entre Israël et les Etats-Unis a toujours été au-dessus de la politique. Elle doit toujours rester dessus de la politique. " dit-il alors que son allocution - qu'il le veuille ou non - participe de sa campagne électorale.

Il enfonce le clou en se déclarant " en droit d'exprimer haut et fort ses divergences avec l'administration Obama " (Reuters le L. 02/03/2015 à 18h25). Il faut bien prendre la mesure de ces déclarations : si les mots ont un sens (particulièrement quand on sait l'attention portée à la lexicologie et à la sémantique dans un pays et une communauté tourmentés par les mots, les signes, les sens et leurs références), un homme politique étranger qui vient de " droit " défier les président des Etats-Unis chez lui, est un acte de première importance qui interroge.

Est-il concevable qu'un homme d'Etat étranger se barde d'un droit qui ignore un président des Etats-Unis au nom du président du Sénat, jouant ouvertement l'un contre l'autre ?
Pour couronner le tout, chacune de ses phrases est ponctuée par un standing ovation (43 en tout, un record) et, dans une scansion (presque) unanime, les braves congressistes américains rythment les affirmations impétueuses d'un Netanyahu vindicatif et autoritaire à Washington comme chez lui. Jamais la Knesset ne lui aurait réservé un tel accueil triomphal.

Seuls de très rares élus refusaient de se lever et d'applaudir, alors que le matin même 60 des 232 élus démocrates du Sénat et de la Chambre des représentants déclaraient qu'ils n'assisteraient pas au discours, en signe de protestation. Il semblerait qu'ils ont changé d'avis… les gradins ne semblaient vraiment pas clairsemés.
 Netanyahu termine son discours par des rodomontades majusculaires, avec une pause entre chacune d'elle pour bien marquer les esprits :

- " Israël à les moyens de se défendre ! "
- " Israël se défendra même seul. "

Et, n'oubliant pas les subventions multiformes que lui alloue Washington, prudemment il ajoute : " Mais je sais qu'Israël n'est pas seul et que l'Amérique est à ses côtés. "

Et il conclut par une très formelle prière qui ferait transcender plaisir ces militants français épris de la laïcité à chaque fois qu'un musulman décline sa foi : " Que Dieu bénisse Israël et les Etats-Unis d'Amérique !". L'assistance est alors saisie d'une transe orgastique.
Juste un spectacle ? Que nenni !

Même parti le chef du Likoud en campagne est toujours là.

Dans la foulée de sa visite un projet de loi transpartisan, présenté par le démocrate Robert Menendez et le républicain Robert Corker obligerait le président Barack Obama à soumettre tout accord sur le nucléaire avec l'Iran à l'approbation du Congrès, l'empêchant ainsi d'ordonner toute levée des sanctions contre Téhéran pendant une période de soixante jours, le temps que l'accord soit examiné (et donc rejeté) par les parlementaires.[7]

Barack Obama réplique en menaçant d'opposer son veto, estimant que cette loi empiétait sur son autorité présidentielle et qu'elle pourrait saboter les négociations en cours avec l'Iran.

Pour passer outre à ce veto, les promoteurs de cette loi devraient réunir une majorité des deux tiers au Sénat et à la Chambre des représentants pour qu'elle soit adoptée. Robert Corker a expliqué que son objectif était d'obtenir cette majorité des deux tiers pour adresser le " signal le plus fort " aux négociateurs. Beaucoup de membres du Congrès, qu'ils soient démocrates ou républicains, craignent que le gouvernement américain, très désireux d'obtenir un accord, fasse trop de concessions à la partie iranienne.
Précisément sur la question du nucléaire iranien, John Kerry s'était expliqué répondant à Netanyahu le lendemain de manière catégorique : " Personne d'autre (que le groupe P5 1) n'a présenté une alternative plus viable, plus durable, sur les moyens d'empêcher l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire ". " Exiger purement et simplement que l'Iran capitule, ce n'est pas un plan. Et aucun de nos partenaires du P5 1 ne nous soutiendrait là-dessus. "[8]

Tout au long de ces joutes pas un mot sur l'armement nucléaire israélien. Il faudra bien pourtant qu'un jour il soit mis lui aussi sur la table des négociations, que cela plaise ou non.
En répondant à l'invitation lancée par John Boehner, président républicain de la Chambre des représentants, contre l'avis de la Maison Blanche, le chef du Likoud a rompu avec une longue tradition israélienne qui a toujours veillé jusque-là à ne pas s'immiscer dans les méandres de la politique intérieure américaine et à ne pas jouer des controverses subtiles entre démocrates et républicains. Le lobbying courant suffisait largement.[9]

Cette visite non désirée prenait alors une dimension singulière entre des pays réputés être de très fidèles alliés. Netanyahu offense le pays qui l'accueille en faisant fi de l'avis de son Président, forçant sa porte et y prenant la parole contre son gré. Le fait qu'il le fasse avec la complaisance du Congrès où la communauté juive sioniste est très influente, étonne et interroge…
C'est d'autant plus singulier que, si entre américains et israéliens il y a quelques fois des divergences tactiques, Washington est un inconditionnel allié d'Israël quel que soit le parti aux affaires.[10]

Entre 1972 et 2006, les Etats-Unis ont mis leur veto à 42 résolutions des Nations Unies critiquant Israël. Les Etats-Unis ont usé d'un 51ème veto en février 2011 contre une résolution condamnant la colonisation israélienne (" à contrecœur " a-t-on laissé entendre à Washington).
En 2006, pendant qu'Israël bombardait le Liban, la Chambre des représentants a adopté, par 410 voix contre 8, une motion de soutien inconditionnel à Israël. Sans le lobby pro-israélien, "la guerre [d'Irak] n'aurait presque certainement pas eu lieu"[11].

Les Israéliens avaient-ils vraiment besoin d'une telle démonstration et prendre le risque de blesser ainsi leur plus fidèle et indéfectible allié ?
Certes, la plupart des médias n'accordaient à ce voyage (et à la valeur que Netanyahu lui conférait) qu'une importance relative, une querelle badine entre amis.

L'" HYPERPUISSANCE " HUMILIEE

D'ordinaire, les Israéliens ont le triomphe discret et modeste. Non qu'ils prisent la discrétion et la modestie. Bien le contraire. Seuls les impératifs de sécurité (entendu au sens large) et l'entretien de l'image israélienne du faible au fort (la sempiternelle fable d'un David limité quantitativement mais exceptionnellement clairvoyant face au barbaroïde Goliath, grossier et ontologiquement inapte à l'intelligence) tempèrent un orgueil démesuré et une intime conviction (au fond bien infantile) de supériorité de nature.[12]

Netanyahu vient narguer le président élu des Etats-Unis, " l'homme le plus puissant du monde " chez lui. Il est à son aise. Il dispose d'une terrible machine qui pratique publiquement un explicite trafic d'influence, manipulant ses élus (du Sénat et du Congrès) d'autant plus facilement qu'elle a financé les campagnes électorales et fabriqué la carrière de beaucoup d'entre eux, se donnant ainsi le pouvoir de peser sur leurs décisions.
C'est le jeu. Commerces, finances, communications… dansent en réseau selon une partition qui ne souffre pas la fausse note.
Gare au contrevenant ! L'AIPAC veille.

On devine Obama bougonner dans son coin, mais il est peu probable que sa bouderie prête à conséquences (à supposer qu'un biais psychologiste ait ici une quelconque pertinence : n'oublions pas que le patron de la Maison Blanche est un professionnel et possède un art consommé de la distanciation). Et cela même s'il n'a plus de mandat présidentiel à briguer.

Obama participe d'un système où couleur de peau, opinion politique, fidélités conjugales, amitiés ou sens de l'honneur… pèsent d'un poids qui ferait rire le plus médiocre potache d'une école de sciences politiques.

Ce n'est pas Obama qui est humilié. Le président américain a sans doute, comme ces politicards aguerris, une peau de rhinocéros, à l'épreuve des balles et du ridicule. Que ceux qui trouvent la série House of Cards excessive et désespérante seraient avisés de tenir la réalité pour plus glauque.

Il ne le sait pas encore. Il en prendra fatalement conscience un jour, mais en cette étrange cérémonie dans laquelle Netanyahu et les républicains se prêtent à une danse du scalp, c'est le peuple américain qui a été humilié. Et avant de l'être par un chef d'Etat étranger (qui ne l'aurait pu autrement), c'est d'abord par ses propres élus et ses propres politiques qu'il l'a été.

Toutefois, dans cet univers opaque d'où ne transparaît que ce que l'on décide de laisser " fuiter " via des réseaux d'information et de communication sous contrôle, il est clair que, derrière ce qui se donne à voir, des forces politiques puissantes s'affrontent brutalement autour d'enjeux que l'on n'arrive pas à clairement discerner.

" Eté comme hiver, c'est toujours l'hivers " (Jacques Prévert)

Au fond, que cette virée américaine facilite ou non la réélection de Netanyahu n'a que peu d'importance. Les rituels de la démocratie représentative confinée aux urnes et aux grandes messes électorales ont usé l'essentiel de leur crédit. Un peu partout dans le monde le premier parti politique est celui des abstentionnistes. Et la dépolitisation des citoyens convient parfaitement aux politiques professionnels.
Ni la politique israélienne, ni la situation des Palestiniens ne changeront. Depuis 1948, les travaillistes et le Likoud alternent la même politique. Leurs divergences sont mineures sur l'essentiel. Il en est de même du soutien américain, avec ou sans Obama. Que les dirigeants israéliens et américains s'entendent ou pas, c'est toujours la Palestine qui trinque et, dans la région, la paix demeurera une utopie qu'Ibrahim Warde a très bien résumé par le titre d'un de ses articles : " Il ne peut y avoir de paix avant l'avènement du Messie "[13].

Comme s'il était dans son pouvoir d'en décider, Netanyahu vient de promettre à ses électeurs que s'il est réélu l'idée d'un Etat palestinien sera définitivement écartée.

CARTES BROUILLEES

Quels sont les vrais enjeux de ce cavalier voyage aux Etats-Unis du premier ministre israélien ?
De nombreuses questions restent en suspend. Relatives à la nature exacte des controverses domestiques américaines entre Maison Blanche et Congrès, notamment à propos de la gestion des intérêts américains au Proche Orient. Si on laisse de côté la bataille des ego, on peut s'interroger sur la nature exacte des relations entre Washington et Israël et de leurs approches des divers conflits que connaît cette région. Est-il imaginable que Washington puisse prendre des initiatives sans concertation étroite avec Israël ? Ces querelles largement exposées au vu et au su de tous relèvent-elles d'un jeu de rôles sophistiqué auquel sont invités Français et Britanniques et révèlent-elles de sérieuses divergences d'intérêts ?
Les Israéliens auraient-ils délibérément franchi une limite ? Laquelle ? L'effet de quelles causes ? Pour quels objectifs ?
Tous les conflits de la région sont liés : l'Ukraine, l'Afghanistan, le nucléaire iranien, la " bombe " pakistanaise, la Palestine, la Syrie, l'Irak, le Yémen, les troubles intérieurs dans les monarchies du Golfe, les crises " printanières ", la déstabilisation de la Libye et des pays du Sahel… Naturellement, la chute brutale et du prix du baril et de sa monnaie le dollar ne peut être appréhendée en dehors de l'évolution de ce paysage à n dimensions, dans un système d'équations où il y a plus de variables que de constantes.

Note :

[1] 6 F-15 et 8 F-16 de l'armée de l'air ont volé jusqu'en Irak, à l'insu des détecteurs d'avions jordaniens et irakiens, et ont lâché 10 tonnes de bombes sur le réacteur nucléaire. à trois semaines des élections à la Knesset. En 1991, durant l'opération " Tempête du désert ", plusieurs raids massifs de F-117 et de F-111 détruisent le complexe qui était l'un des plus fortifiés d'Irak.
[2] Le Monde, J. 04 avril 2002
[3] Curieusement, certains médias européens ont prétendu que c'est au contraire à Netanyahu qui a refusé de rendre visite à Obama. Passons… Selon l'analyste Aaron David Miller, ce joker sorti de sa manche par l'administration Obama n'a été en fait qu'un prétexte, car " l'idée selon laquelle on ne reçoit pas un Premier ministre israélien juste avant des élections est tout simplement fausse ". Par exemple, des discussions entre Bill Clinton et Shimon Peres ont été organisées à la Maison Blanche quelques semaines seulement avant les élections législatives de mai 1996, qui avaient vu la défaite du Premier ministre sortant au profit de... Benjamin Netanyahu. (AFP le S. 14/03/2015 à 10h01)
[4] " Je pars à Washington pour une mission fatidique, historique même. J'ai le sentiment d'être l'émissaire de tous les citoyens d'Israël, même de ceux qui sont en désaccord avec moi, et de tout le peuple juif ". Naturellement, il faut entendre ici l'" histoire " dans un sens israélien : l'interférence du fait et de son alter ego imaginaire. Ici, de tradition, la réalité confine au mythe
[5] " La condition préalable fondamentale pour mettre fin au conflit est la reconnaissance publique et catégorique d'Israël en tant que patrie du peuple juif par les Palestiniens. " Discours de Benjamin Netanyahu au Centre Begin-Sadate de l'université Bar-Ilan. 14 juin 2009. Dans cette démocratie exemplaire, les Palestiniens feront sans doute figure de sous-citoyens ou parqués dans des bantoustans.
[6] Le discours de Netanyahu a été retransmis en direct par les chaînes israéliennes et américaines qui comptent, mais aussi par Euronews et France 24 qui a délaissé les débats du Sénat sur l'environnement. On compte aussi i24 News, la chaîne israélienne de M. Drahi (4ème fortune de France) qui a mis la main sur de nombreux médias français - tous supports confondus : Numéricâble, SFR, l'Express, L'Expansion, Libération…. I24 est officiellement luxembourgeoise émet en France à partir de Jaffa depuis juillet 2013 et se donne pour mission de faire contrepoids à El Jezira, émettant en français, en anglais et en arabe. Mais ni en hébreux, ni en Israël.
[7] Reuters le J. 05/03/2015 à 21:12
[8] Reuters, le mercredi 04/03/2015 à 18:01
[9] Dont se charge très efficacement l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee : Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes. Derrière cette institution la plus connue qui a pignon sur rue, il y a une multitude d'organisations plus ou moins officielles qui agissent à tous les niveaux, métiers, réseaux politiques, administrations fédérales, associations caritatives, collecte de fonds pour Israël, manifestations culturelles ou cultuelles… Cela va des faucons de la Zionist Organisation of America aux colombes de Peace Now.
[10] Mme Samantha Powers, ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, vient de rappeler que, ces six dernières années, le président Obama avait consacré 20 Mds$ à la sécurité d'Israël (Le Monde Diplomatique 04 mars 2015). Les Etats-Unis ont quitté l'Unesco lorsque, en 2011, la Palestine y a été admise.
[11] Lire, Mearsheimer John J. et Walt Stephen M. (2007) : Lobby pro-israélien et la Politique étrangère des Etats-Unis. La découverte, Paris (2009). 495 p.
[12] De nombreux sites sionistes se plaisent à compter les Nobel juifs. Tout le monde a en mémoire le mot du Général : " Un peuple fier, sur de lui et dominateur… " (1967). Mais tout le monde sait aussi ce qu'il en est réellement des fables, des mythes et des coûts mercatiques faramineux mobilisés pour les conforter.
[13] Le Monde diplomatique, septembre 2002