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Evaluer l’élève ou l’étudiant

par Rachid Brahmi

«Donner avant de recevoir, c’est la loi» (Alain, Propos sur l’éducation)

Ailleurs puis en Algérie, l’on sait depuis l’introduction des nouvelles méthodologies d’enseignement et des réformes qui en résultèrent, que l’évaluation d’un système éducatif doit cerner tous les éléments qui le composent, c’est-à-dire les formateurs, les programmes, les méthodologies, l’infrastructure, les élèves, les étudiants et autres.

Si ces réformes ne sont plus tout à fait récentes, les procédures d’évaluation pas encore maitrisées, constituent de ce fait, l’une des grosses lacunes, de notre système éducatif. Ce papier aborde l’évaluation de l’apprenant, un processus qui ne recouvre pas la même réalité pour tous, alors que l’élève ou l’étudiant est la raison d’être de toute institution éducative.

Notons au préalable, que dans un jargon, on use actuellement, du terme apprenant en lieu et place de ceux d’élève ou d’étudiant. Simplement défini, l’élève ou l’étudiant est celui qui reçoit un enseignement dans les premiers cycles de l’Education nationale ou dans ceux de l’enseignement universitaire. Ceci renvoie aux méthodes d’enseignement classique où l’enseignant, tel « une source de savoirs » transmet une somme de connaissances à l’enseigné considéré comme un réceptacle. Par contre, l’apprenant est supposé être actif, pour être amené à construire ses savoirs, par un apprentissage sous la conduite de l’enseignant. Autrement dit, il n’est plus question de transmission où l’enseigné doit recevoir une certaine somme de connaissances qu’il devra restituer le jour de l’examen. Il s ‘agit donc d’accompagner l’apprenant, de façon à ce qu’il puisse acquérir un savoir faire lui permettant d’acquérir le savoir en toute autonomie. John Dewey estime qu’il faut susciter chez l’apprenant, lors de toute étape d’apprentissage, un certain engagement qui est l’un des paramètres constituant ce qui est appelé le contrat didactique, celui-ci décrivant des règles régissant le partage des responsabilités, entre le formateur et ses apprenants.

Par ailleurs, selon une définition, évaluer un système c’est « recueillir sous des formes différentes et à des moments divers, des informations sur ce système, en vue de prendre une décision ». Evaluer, c’est aussi « mesurer l’écart entre un objectif et un résultat au cours d’une situation donnée ». Autrement dit, il s’agit de dégager les objectifs que l’on se donne, puis déterminer s’ils ont été réalisés. Faisant partie intégrante du métier d’enseignant, l’évaluation de l’apprenant constitue un acte pédagogique capital, sinon il est impossible de parler d’apprentissage. Dans ce sens, vu les pratiques largement adoptées, l’apprenant est censé être soumis à quatre types d’évaluation : initiale, formative, formatrice et enfin sommative. L’évaluation initiale étant incontournable, le formateur est censé dresser un bilan des connaissances et capacités nécessaires pour aborder de nouvelles notions, et à ne pas adopter une position inflexible, où l’on estime que sans tel ou tel prérequis, l’apprenant ne pourra pas progresser. Intervenant avant le début d’un enseignement donné, cette évaluation dite aussi diagnostique n’est pas sanctionnée par une note, mais permet d’identifier les connaissances acquises ou requises, aussi bien pour l’enseignant que l’apprenant. Ce dernier devant être amené à revoir des notions déjà vues, il faudra réorganiser alors les enseignements en fonction des observations tirées de ce diagnostic.

L’évaluation formative est, selon B. Bloom, « l’ensemble des procédures utilisées par le formateur afin de situer la progression des apprenants face aux objectifs assignés, en vue de diagnostiquer les difficultés éventuelles et d’y apporter les remédiations pédagogiques adéquates ». C’est une démarche « intégrée à un apprentissage » où l’apprenant peut mesurer le chemin parcouru et celui restant à parcourir. L’erreur est positive, elle fait partie de l’acte d’apprendre ; elle n’est plus considérée comme objet de sanction ou source de « différenciation », mais élément de diagnostic et indicateur de réorganisation des tâches éducatives en vue de rectifier le processus d’apprentissage. L’évaluation formative, orientée vers une aide pédagogique immédiate, est aussi un temps de réassurance et de mise en confiance de celui qui apprend. Cette forme d’évaluation, qui a pour but d’informer les apprenants et l’enseignant sur le degré d’atteinte des objectifs de l’apprentissage, s’effectue au début, durant ou à la fin d’une séquence d’apprentissage. Elle tend à réguler les activités d’apprentissage, soutenir les efforts des apprenants et vérifier leurs acquis à diverses étapes. Elle permet également d’assurer une progression continue par le biais « d’activités correctives, de renforcement ou d’enrichissement des connaissances ». Une forme importante de ce type d’évaluation consiste à utiliser, autant que possible, les méthodes interactives dont le feed-back, pour donner un sens à l’apprentissage.

Concernant l’évaluation formatrice dont le but est d’impliquer l’apprenant en dehors des cours, elle demeure évidemment le résultat d’un apprentissage sous l’impulsion du formateur et permet à l’apprenant de gérer son travail personnel, favoriser une autogestion des erreurs et s’approprier les critères d’évaluation. Dès lors, nous pouvons éliminer certains conflits, sinon les atténuer, car il arrive souvent, par exemple, que des étudiants ne saisissent pas la « réalité » des notes attribuées, tout comme il peut arriver qu’un enseignant n’applique pas correctement, pour différents motifs, les diverses évaluations.

Par ailleurs, ce n’est qu’après les trois formes d’évaluation citées ci-dessus, et une formation constituant un tout, correspondant à un chapitre de cours ou à l’ensemble des cours d’une période donnée, qu’il s’’agit de procéder à une évaluation sommative, c’est-à-dire à tester l’apprenant par des interrogations orales et écrites, des tests ou des examens. C’est donc à ce niveau que nous pouvons enfin parler de notes. Nous devons signaler, pour cette dernière forme d’évaluation — le couperet qui détermine le sort de l’apprenant — que la validité du jugement chiffré de l’enseignant se heurte à l’arbitraire caractérisant inévitablement tout système de notation. A cet effet, une discipline à part entière, la docimologie, est consacrée à l’étude du déroulement des évaluations en pédagogie. Plus récemment, une autre discipline, l’édumétrie s’occupe des « questions théoriques, méthodologiques et techniques relatives aux pratiques d’évaluation et de mesure en éducation ».

En outre, l’évaluation étant trop souvent limitée à l’examination, donc à des notes et à un calcul de moyennes, l’enseigné est alors réduit à un chiffre. Il faudrait rappeler, que dans des pays avancés, les notes moins pointilleuses sont exprimées à l’aide de cinq à six lettres. Sachant que chez nous, et notamment dans les disciplines scientifiques, la correction des copies se fait jusqu’au quart de point près, il est aisé de remarquer que pour une copie notée sur vingt, nous n’avons pas moins de quatre-vingts notes possibles situées entre zéro et vingt. Quelle superbe précision dans les subdivisions pour une « procédure » appelée évaluation ! Quatre-vingts nombres dans nos écoles et universités, contre six lettres dans des systèmes éducatifs les plus performants du monde. « La précision numérique est souvent une émeute de chiffres », dixit l’épistémologue Gaston Bachelard. Toute évaluation n’est qu’une estimation, donc une approximation, selon la définition la plus basique. Dans ce sens, la conception manichéenne ou l’intransigeance par une évaluation sommative, non soutenue par les autres formes d’évaluation, demeure anti-pédagogique et ne pourra en aucun cas entretenir une sérénité et une certaine émulation, afin que le contrat didactique puisse avoir du sens.

Malgré les efforts entrepris pour limiter l’arbitraire, nombreux sont les facteurs qui continuent d’influencer, plus ou moins consciemment, le jugement de l’enseignant. La note dépend, en outre, de la « disposition » de l’enseignant et des critères variables d’un enseignant à l’autre, sur lesquels il fonde son jugement. Pour illustrer cela, des auteurs ont montré, lors de l’évaluation sommative d’une classe de terminale, qu’une copie de philosophie nécessite 127 évaluations, c’est-à-dire 127 correcteurs différents pour que nous soyons en mesure d’avoir la note la plus objective. Même pour une copie de mathématiques, une discipline censée être rigoureuse, ces mêmes auteurs estiment qu’il faudrait 13 évaluateurs pour avoir une note objective de la copie. Ainsi, parmi les quatre formes d’évaluation mentionnées, seule la dernière appelée sommative consiste à estimer l’apprenant par des notes. Le contrôle, ce processus extérieur à l’apprenant, est régi par des critères de conformité et de logique, et vérifie pour valider ou rejeter, donc sanctionner. L’évaluation, quant à elle, englobant et dépassant le contrôle, privilégie le qualitatif sur le quantitatif. L’apprenant participe alors, à l’élaboration des procédures d’évaluation.

Qu’entend-on maintenant par évaluation continue ? Sommairement, c’est une procédure permanente durant toute la période d’apprentissage et qui permet à l’apprenant de combler immédiatement une lacune. Pour ce type d’évaluation analogue à celle formative, l’autocorrection peut être pratiquée, et des tests de « remédiation » ou des exercices, pas toujours sanctionnés par une note, permettent de déceler les erreurs, pour aboutir enfin, après une collecte systématique et multiforme d’appréciations qualitatives et quantitatives, à une note finale.

Au vu des considérations ci-dessus, la communauté éducative ne peut que se poser un certain nombre de questions. Applique-t-elle toutes les formes d’évaluation requises ? Les enseignants ont-ils une nette idée du contenu, des méthodologies et des programmes des cycles antérieurs, pour pouvoir juger impartialement leurs apprenants ? Les notes sont-elles des preuves irréfutables des acquis ? Les effectifs dans les classes, le temps imparti à l’apprentissage, lorsqu’il ne subit pas un sensible rétrécissement dû à de multiples facteurs et les divers moyens tels qu’ils sont gérés, nous permettent-ils d’appliquer les différentes formes d’évaluation ? Et puis, les enseignants tous cycles confondus, sont-ils outillés pour cela ? Les réponses à ces questions ont de quoi engendrer les plus sombres appréhensions.
Car sans une pratique satisfaisante des différents types d’évaluation, il est impossible de parler de contrat didactique. Par conséquent, telle partie rejettera la balle dans le camp de telle autre, chacune refusant d’assumer sa part de responsabilité. Évoluant dans un climat dépourvu de sérénité, c’est donc bien l’apprenant, ce premier otage, ce bouc émissaire sujet et objet de frustrations, ce maillon faible qui doit souvent, sinon toujours faire les frais de défaillances qui le dépassent. Et pour paraphraser la citation en haut du texte, si le formateur ne pourra pas bien donner, faute d’évaluations pas bien menées, il ne recevra que peu de l’apprenant.

Pour conclure, indépendamment d’un projet de société, nous ne pouvons évoquer un fonctionnement satisfaisant, encore moins performant du système éducatif, si les évaluations concernant tous ses éléments ne sont pas sérieusement effectuées.
 
Références :
http://www.djazairess.com/fr/elwatan/158198
http://www.hairbook.com/formations/supports/levaluation.pdf
http://pf-mh.uvt.rnu.tn/63/1/evaluation-travail-eleve.pdf
http://www.edufle.net/L-evaluation-scolaire-d-une.html
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1988/1988_05.html
http://iee.univ-paris8.fr/departement/examens.php