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COMMUNICATION POLITI?CIENNE : LES «MOTS» QUI TUENT !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Décidément, certains Premiers ministres ou chefs de gouvernement ont souvent de «bons mots», tout particulièrement en temps d'embellie. Presque jamais de «gros mots». Des phrases ou des mots parfois bien «irresponsables», si ! Des mots et des phrases qui, produites pour interpeller certes, mais qui, en même temps, dans la foulée, peuvent «tuer».

Ils sont rejoints, en cela, de temps en temps, par certains chroniqueurs de presse qui, eux, pour leur part, à la différence des premiers, sont payés pour un usage de mots et de phrases qui «accrochent», tout en sachant qu'il n'y a aucune conséquence grave.Malgré tout le poids de la responsabilité mise sur leurs épaules de supposés avant-gardistes de la liberté d'expression, ils ont, en vérité, peu de pouvoir. Sinon celui de l'illusion de «forgerons» de l'opinion. La plume ou la parole a t-elle, de nos jours, réellement, dans ce monde numérique et de la virtualité, réellement la force de frappe du marteau ou du fusil et la chaleur destructrice du feu ou de la balle ? On en doute.

On se souvient, chez nous, d'un journaliste, aujourd'hui décédé, qui avait traité les militants du parti au pouvoir de «barbefèlenes», leur collant ainsi, pour longtemps, l'étiquette (méritée !?!?), d' islamistes en puissance. Pas mortel !

On se souvient, chez nous, il y a de cela quelques décennies, d'un célèbre et percutant polémiste-chroniqueur de la presse arabophone qui avait, dans un de ses billets, parlé de «francouches» pour désigner les Algériens francophones, en particulier les cadres, accusés alors (encore aujourd'hui ) d'être des francophiles et, pire encore, offrant tous les «services» possibles et imaginables, à la France. Point n'est besoin de rentrer dans les détails. Mais qui, en dehors de votre serviteur, s'en souvient ? Peut-être même pas ses lecteurs (de notre polémiste).

On se souvient, chez nous, il y a de cela quelques décennies, d'un de nos universitaires ?chercheurs, parmi les plus connus (et polémiste percutant lui aussi), aimant écrire dans la presse... francophone, qui avait «préconisé», dans une ses (toujours) brillantes analyses sociopolitiques, l'acceptation, par la société algérienne, d'une «régression féconde», c'est-à-dire, pour moi, alors simple figurant du drame que vivait alors l'Algérie, accepter le Mal, provisoirement, pour que Bien naisse... et, donc, tenir compte ni des expériences vécues par ailleurs, ni des conséquences dramatiques générées. Mais, qui en dehors de votre serviteur, s'en souvient ? Peut-être même pas ses étudiants.

Pour les trois, des mots qui «frappent» mais qui ne tuent pas. D'abord parce qu'elles viennent de gens considérés bien plus amuseurs publics (par le grand public et aussi et surtout par les décideurs réels de nos destins communs... «le système», quoi !) que véritables «faiseurs d'opinion». Des journalistes et des intellectuels, pfff !

Ensuite, parce qu'un contenu (de journal) chasse un autre très rapidement, le plus souvent dans les six-dix heures qui suivent. Au suivant !

LES MOTS «IRRESPONSABLES»

Par contre, les «mots» ou les «phrases» de nos chers gouvernants (premiers ministres et/ou chefs de gouvernement? et de temps en temps un ministre, ou un «responsable» de haut niveau ?on se souvient du fameux «chahut de gamins» - sortant de l'ordinaire, ce qui est de plus en plus rare), travaillés à l'avance par leurs communicants ou énoncés de manière spontanée, ont la chance (sic !) d'avoir une vie non seulement longue, mais aussi, des effets sociétaux immédiats et profonds, la plupart du temps désastreux. Car, exprimés, presque toujours en temps de crise ou dans des moments d'intense émotion (mais, moments de drames plus que de joie).

Souvenez-vous d'un de nos premiers ministres qui avait «inventé» et imposé,car répétée avec entêtement et donc reprise à chacune des ses sorties médiatiques, l'expression de «laïco-assimilationnistes», rejoignant et consolidant ainsi l'expression de «francouches»... ceci pour désigner,aux politologues et aux «tueurs» de l'heure, les victimes... car victimes il y en aura : républicains, démocrates, communistes, libres-penseurs? Tout simplement, pour les plus bêtes d'entre-nous, tous ceux qui ne pensent pas ou ne font pas? comme les non-laico-assimilationnistes... comme lui. Pas facile à comprendre ? Il est vrai qu'en ces temps ?là, il n'y avait rien à comprendre.

On comprend encore moins les invectives et les insultes d'aujourd'hui, surtout lorsqu'elles sont lancées par les laudateurs d'hier : «Voleurs !», «Menteurs !», «Pollueurs !»...

LE VIRUS ASSASSIN

Le mot qui tue, c'est comme un virus. Un virus social. Un virus tueur, un virus assassin. La conviction profonde n'étant pas une circonstance atténuante.

Car, voilà donc, que suite à des actes de terrorisme (attentat contre Charlie Hebdo et contre un super marché cacher, c'est-à-dire juif) et de profanation (d'un cimetière juif, quels hasards !) commis sur le sol français, par des 100% f.r.a.n.ç.a.i.s, le premier ministre, ému très certainement ; bouillonnant, c'est dans sa nature ; «sous influence» dit-on (mais qui ne l'est pas de nos jours, surtout lorsque vous avez une femme aimante et intelligente, une artiste connue et respectée), a «inventé» (lors d'un entretien radiophonique), remis au goût du jour, une nouvelle expression politique : «l'Islamo-fascisme»... Un néologisme aux contours flous jusqu'ici passé inaperçu, car utilisé soit par une «certaine presse» à la recherche de mots «forts» (presse anglo-saxonne dans les années 90), soit par certains politiciens ou journalistes néoconservateurs ne sachant quoi faire face à de nouveaux défis sociétaux, soit par des dirigeants politiques dépassés par les évènements (G. W. Bush en 2006). Le hic, c'est qu'en même temps il a appelé «l'Islam de France» à prendre «totalement ses responsabilités». Voilà qui est plus qu'embêtant venant d'un chef d'exécutif promis à la succession présidentielle, en tout cas ouvertement ambitieux ! Car «l'expression est extrêmement globalisante et qu'au lieu de pointer précisément la différence entre une ultraminorité parfaitement détestable et que l'on doit combattre et une immense majorité qui n'est pas sur ce registre, lui-même, Manuel Valls se laisser aller à une forme d'amalgame qui est dangereuse», déclare justement un ancien ministre français, écologiste celui-ci et... ayant refusé, avec Cécile Dufflot, de faire partie de son gouvernement. «Il laisserait à penser, ajoute-t-il, que l'ensemble des musulmans, de l'Islam, aurait des accointances ou une tendance fasciste. Or, il y a aussi l'islamo-démocratie. Ce qu'on voit en Tunisie par exemple, c'est exactement le processus que l'on a vu dans nos pays chrétiens, il y a plus d'un siècle, qui a donné lieu à ce qu'on a appelé la démocratie chrétienne, c'est-à-dire l'intégration de l'Église, chez nous catholique, là-bas musulmane, dans un système politique où parfois ils ont la majorité, parfois la minorité, où ils acceptent le jeu de la démocratie... On ne doit jamais oublier que les premières victimes de cet «islamo-fascisme», ce sont précisément les musulmans eux-mêmes, partout dans le monde», a-t-il dit.

Dans la foulée de cette nouvelle guerre des mots, mots ne reposant sur aucune démonstration scientifique et guerre qui n'a plus rien à voir avec la pacifique «langue de bois» du passé, et qui va devenir très certainement un objet de recherche universitaire prisé, les premières victimes (Voir ce qui existent désormais comme discours et actes islamophobes à travers le monde et en Occident, tout particulièrement) des dérives radicales d'individus - bien souvent issus de milieux subissant de véritables, bien qu'insaisissables à l'œil nu, apartheids socio-économiques et culturels ; individus utilisant toutes les couvertures possibles, quand ils ne sont pas, (pourquoi pas ?) manipulés - ce sont toutes les larges majorités silencieuses, vivant paisiblement, et sans complexes, leurs idées et/ou leur foi, dans une stricte et discrète observance des règles républicaines, démocratiques et laïques (on a vu tout cela et on le voit encore avec toutes les idéologies et tous les dogmes, sérieux ou fumeux, finissant en «isme»). Elles sont s.o.m.m.é.e.s de s'exprimer, par les décideurs politiques et médiatiques du moment, quand les Appareils d 'Etat eux-mêmes et/ou leurs fonctionnaires payés pour ce faire ont été ou sont incapables de prévenir, d'agir ou de réagir? sans pour autant tomber dans la guerre de mots et de phrases tueurs... Généralisation abusive ? Responsabilisation généralisatrice (collective !) de populations bien précises ? Comme au temps des occupations : nazie en France même ; coloniale en Algérie et ailleurs ; sioniste en Palestine occupée...

Une nouvelle forme de «guerre» ?