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Police communale : simple effet d'annonce ou réalité ?

par Chérif Ali

L'absence d'une police communale est à l'origine du non-respect des lois et mesures prises par les pouvoirs publics en matière de préservation de l'urbanisme et de l'environnement.

La déclaration, reprise par la presse, émane de la directrice de la gouvernance locale au ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales qui a ajouté « qu'un décret portant création de police communale est en cours d'élaboration » sans préciser, toutefois, si cette police sera placée sous l'autorité du président d'APC ou relèverait de la tutelle du ministre de l'Intérieur. Comme de bien entendu, l'intéressée ne s'est pas étalée, non plus, sur les dépenses qui seraient induites par la création d'un tel corps, au moment même où les rentrées du pays en devises s'amenuisent. Simple effet d'annonce, ou va-t-on, vraiment, vers la mise en place d'une police communale « qui serait placée sous l'autorité du maire » comme l'aurait, également, affirmé le Premier ministre, lors de la réunion consacrée à la gestion de la wilaya d'Alger, qui a regroupé pas moins de 17 membres du gouvernement.

Pas si sûr, au regard de la complexité de la tâche !

Déjà, il faut savoir que l'idée n'est pas nouvelle. Le ministre de l'Intérieur d'alors, Noureddine Zerhouni, lors d'une cérémonie de remise de diplômes à la 40e promotion des élèves de l'Ecole nationale d'administration, a, le premier, suggéré la mise en place d'une police communale dont la colonne vertébrale sera, essentiellement, formée par les éléments de la garde communale, particulièrement ceux stationnés dans les zones qui n'étaient plus sous la menace du terrorisme. Il s'agissait, particulièrement et surtout, des grandes villes et des principaux centres urbains du pays. Dans cette perspective, son département avait lancé, par anticipation, des programmes de formation pour mieux réussir cette conversion des tâches, de strictement militaires à celles en rapport avec la sécurité civile. Une instruction en ce sens a même été signée par Ahmed Ouyahia, Premier ministre d'alors. Ce travail de codification et de réglementation des ressources humaines figurait parmi les priorités de Si Yazid, tout comme la formation des élus et des cadres de l'administration locale ou l'établissement d'une nomenclature des métiers des collectivités locales, qui a été mise à jour, sur son insistance. Son successeur, faut-il le dire, n'a pas eu le temps nécessaire pour s'imprégner, convenablement, du dossier des gardes communaux et de leurs doléances, laissant le soin à sa directrice générale des ressources humaines de l'époque de traiter leurs revendications socioprofessionnelles. Cela a pris du temps, a occasionné aussi des débrayages et même des tentatives de marches des gardes communaux sur la capitale, qui sont restés dans les annales, faute d'écoute et de consensus. Il a fallu que la présidence de la République s'en mêle pour que le dossier soit réglé.

Ceci étant dit, intéressons-nous à la police communale qui n'est pas un organe répressif. C'est une police de proximité appelée à veiller sur les citoyens. Elle est là pour rassurer la population et gérer les litiges du quartier. C'est ce que font, entre autres tâches, la gendarmerie et la police nationale, me diriez-vous ? L'amalgame est, en tous les cas, facile à faire : ce sont bien des corps de métiers différents avec des fonctions et des attributions toutes aussi différentes. La tâche de la police communale pourrait s'articuler, dans un premier temps, autour de quatre grands axes :

rassembler des informations susceptibles d'endiguer certains problèmes, détecter les nids criminogènes, ainsi que les personnes à risque ou celles en danger,

intervenir dans les conflits de voisinage, par exemple, pour les résoudre grâce au dialogue et à la médiation et éviter, ainsi, qu'ils dégénèrent,

être le relais entre la population, le maire et les forces de sécurité,

agir sur le préventif, le social et la tranquillité publique.

D'un point de vue sémantique, la notion de police communale a du sens, puisqu'elle recouvre la réalité du terrain, celui de la commune principalement. D'un point de vue plus stratégique, sa mise en place soulève la question cruciale de la doctrine d'emploi, de la spécificité des missions assurées dans la coproduction de la sécurité locale et, inévitablement, les problèmes de l'uniforme et de l'armement sans compter les dotations budgétaires qu'il faudrait débloquer en ces temps de crise, d'autant plus que le projet d'une police communale n'est pas inscrit dans la loi de finances pour 2015. De ce qui précède, un débat sur la nécessité ou pas d'une police communale s'impose, car il apparaît à la lecture de la déclaration de la directrice de la gouvernance locale au ministère de l'Intérieur, une formidable méconnaissance de ce corps de police communale conjuguée à un incroyable manque de réalité du terrain. Il faut savoir, tout d'abord, que la police communale dispose, bel et bien, d'un ancrage réglementaire contenu dans l'article 93 de la loi numéro 11-10 du 22 juin 2011 relative à la commune qui stipule : « pour la mise en œuvre de ses prérogatives de police administrative, le président de l'APC dispose d'un corps de police communale, dont le statut est défini par voie règlementaire ». En d'autres termes, il ne s'agit pas de « créer » une police communale, comme l'a laissé entendre la directrice de la gouvernance locale du ministère de l'Intérieur, mais de définir son « statut » : police du maire, son « bras armé », s'empressent de dire ceux qui craignent une utilisation « abusive » de cette force de sécurité par les édiles locaux ou police placée sous la tutelle directe du ministre de l'Intérieur ? Dans la deuxième hypothèse, il faudrait prévoir l'amendement de l'article 93 du code communal avec toutes les réactions en chaîne qui en découleraient ! Et même si on venait, en haut lieu, à régler ce « dilemme », il subsisterait les questions relatives à l'armement, l'uniforme, le volet de la formation ainsi que les rapports de cette police avec les autres forces de sécurité. Concernant, par exemple, la dotation en armes, certains disent que c'est un moyen de protection indispensable face aux risques du métier, dès lors qu'il ne diffère pas, fondamentalement, de celui de la police ou celui de la gendarmerie nationale; d'autres, en revanche, considèrent que ce n'est pas un gage de sécurité absolue et craignent que cela n'encourage une confusion des rôles avec les forces de sécurité classiques. En fait, la question de l'armement, tout comme celle de l'uniforme, revêt une portée plus que symbolique qui touche aux enjeux de reconnaissance d'un corps policier à la légitimité contestée, comme l'a été, par le passé, la garde communale. S'agissant, par contre, de la formation, elle ne poserait pas de problèmes, a priori, dès lors que les agents de la police communale pourraient profiter des structures de la DGSN.

Pour résumer, disons que la mise en place d'une police communale suppose quelques préalables pour ne pas dire la levée d'un ensemble d'obstacles contenus dans les résistances culturelles, les clivages politiques et des contraintes d'ordre juridique (amendement du code communal). Pourquoi envisager alors la mise en place d'une police communale, d'autant plus qu'elle ne peut, en l'état des difficultés organisationnelles qu'elle connaît, trouver sa place dans le paysage sécuritaire ? On crée donc une police communale, faute de moyens donnés à la police et à la Gendarmerie nationale, pour assumer la sécurité des citoyens ? Cela participe de l'absurde ! A moins de clarifier la doctrine d'emploi de cette police communale qui peinerait à trouver son chemin, si d'aventure, elle est mise en place entre « prévention et répression ». Il y a, aussi, une autre évidence à rappeler : « la police communale n'est pas supplétive de la police nationale ou de la gendarmerie, qui, elles, répondent à la tradition républicaine. Le recours à la force doit rester du domaine de l'Etat, et en conséquence, seules la police nationale et la gendarmerie doivent être armées. Mais ces dernières années, la notion de tranquillité publique s'est durcie pour répondre à la montée des comportements inciviques. Si bien qu'en réalité, la police communale sera « forcée » de se rapprocher de la police nationale, en intervenant en soutien de celle-ci, sinon, ses personnels développeraient le sentiment de n'être que des policiers de « seconde zone ». La garde communale souffrait, par exemple, de n'avoir pas de statut propre, celui qui lui était attribué était mis sous le coude, lutte contre le terrorisme oblige !

La sécurité ne rimant pas forcément avec « répression », la police communale est donc utile, et Tayeb Belaïz a, lui aussi, annoncé son « retour ». Le projet semble, a priori, s'inscrire dans le cadre d'une initiative d'adaptation des structures policières aux exigences sécuritaires contemporaines. Des grands ensembles d'habitat ont été livrés à des populations qui doivent s'habituer au « vivre ensemble »; cela ne se fait pas sans quelques frictions. On évoque la création de wilayas à profusion, on parle d'une nouvelle gouvernance locale, ce qui semble justifier la mise en place d'une police communale; seulement voilà, on fait semblant d'ignorer que la loi de finances pour 2015 n'a rien prévu en termes de financement. Ce qui laisse à penser qu'il ne s'agit, peut-être, que de simples effets d'annonce !