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L'HISTOIRE COMME ON L'AIME !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

LES PRESIDENTS ALGERIENS A L'EPREUVE DU POUVOIR. Essai de Badr'Eddine Mili (préface de Redha Malek). Casbah Editions, 158 pages, 650 dinars, Alger 2014.

Journaliste, romancier, essayiste? un touche-à-tout que ce Badr'eddine Mili, qui fait partie des septuagénaires d'aujourd'hui, sortis des toutes premières promotions de l'Université de l'Algérie indépendante ? Non, pas du tout ! Car, il a, aussi, assumé des fonctions de direction au sein des médias et des Institutions étatiques. C'est tout dire sur ses capacités d'observation et d'analyse.... même si on lui trouve, parfois (mais, pas toujours, la rigueur du travail présenté prenant le pas, chez l'auteur, sur les jugements subjectifs) une certaine sévérité (trop «habité» par l'Etat national ?).

L'auteur nous présente,tout d' abord, en première partie (le cadre), l'Etat (algérien) à travers le temps et ses idéologies (plusieurs? ce qui nous donne «un mélange d'autocratie, de para-démocratie et de populisme? des sédimentations si nombreuses et si complexes que même les politologues les plus chevronnés peinent à l'étalonner à l'aune des normes connues en la matière»), par le biais de quatre études, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Les deux dernières (sur les élites et sur les capitalismes algériens) retiennent le plus l'attention? Puis, les six Chefs de l'Etat qui se sont succédés depuis l'Indépendance (avec, en prime, celui de Ferhat Abbas et, en moins, celui de Benyoucef Benkhedda ainsi, d'ailleurs, que celui de Bitat, l'intérimaire. Pourquoi pas ? Dommage !) : Benbella, Boumediène, Chadli, Boudiaf, Kafi, Zeroual et Bouteflika (tous les sept en photo de couverture). Des analyses politiques simples et claires (avec une admiration évidente pour Liamine Zeroual... admiration que je comprends et partage très largement. Voilà, c'est dit !) sur les parcours eux-mêmes bien plus que des portraits personnalisés, comme on aurait bien voulu en avoir, voyeurisme oblige. Plus tard, peut-être, dans une édition revue et augmentée ?

Avis : Ouvrage très utile car il fait un point rapide mais complet, car sans fioritures, de l'évolution de la situation politique générale du pays depuis l'Indépendance. Il y manque, peut-être (chacun ses goûts, n'est-ce pas ?), des détails sur la vie quotidienne de nos présidents. Cela les aurait rendus, à mon avis, plus humains et plus proches. Même ceux que vous ne portez pas ou plus dans vos coeurs.

Extraits : «En Algérie, les élites ont été, dans et face à l'Histoire, si différenciées, si disparates, de matrice sociale, de formation et de langues si variées (?) qu'elles n'ont jamais formé une force unie capable d'occuper une place stratégique (?), ce qui les a conduites à ne jamais pouvoir agir pour leur propre compte et à devoir, dans chaque circonstance capitale, s'arrimer à une force sociale dominante pour s'intégrer dans un processus en cours, sous peine d'en être exclues» (p 45), «Notre orgueil d'Algériens a voulu que nous nous voyons, constamment, et à tort, les premiers en tout, souvent le nombril du monde et, parfois même, les seuls sur la planète, immunisés, ad vitam æternam, contre toute infection, toute contagion, toute crise, au-dessus de toutes les vicissitudes de la vie des Nations. Un état d'esprit qui nous a joué beaucoup de tours» (p 117) «On a souvent dit que, lorsque le peuple algérien avait eu à se mêler, vraiment, de politique, après l' Indépendance, c'était, à chaque fois, pour écrire une page d'Histoire en transformant la tourmente en épopée et un parcours en destin» (p. 133)

ILS ONT TRAHI NOTRE COMBAT ! Mémoires d'une rebelle dans la guerre et l'après-guerre. Essai de Zoulikha Bekadour.Koukou Editions, 213 pages, 900 dinars, Alger 2014.

En octobre 1955, à son entrée en propédeutique lettres à l'Université d'Alger, il n'y avait que 300 étudiants (es) musulmans (es) algériens très dispersés... pour une population de neuf millions (1 pour 30 000), alors qu'il y avait 5 000 européens pour une population d'un million (150 pour 30 000). Elle découvre la discrimination.

Elle côtoie et découvre, aussi, au fil des arrestations et des départs au maquis ou à l'étranger, des étudiants déjà militant(e)s, très engagé(e)s dans le mouvement nationaliste, dont Amara Rachid, Nassima Hablal, Iza Bouzekri, Mandouze, les Chaulet, Lavalette et bien d'autres.

Ce fut, aussi, le temps de la création de l'Ugema, avec son élection au Comité directeur de la Section d'Alger avec Mohamed Seddik Benyahia, élu président. Un bureau qu'elle trouvait, déjà, misogyne ! Un autre «front intérieur, celui-ci, qui ne s'arrêtera plus, même et surtout après l'Indépendance. Un malaise qui durera longtemps, contenu certes mais amenant un comportement radical, plus intransigeant, refusant toute discrimination, et que seule l'écriture va permettre, peut-être, d'évacuer.

17 mai 56, c'est l'entrée en clandestinité. A Oran, elle rencontre Mohamed Seghir Nekkache, Hadj Benalla?

11 novembre 1956, c'est l'arrestation, la torture, la prison et la rencontre d'autres combattantes dont beaucoup d'origine européenne.

1er novembre 1958, libérée? les menaces et les chantages policiers? l'expulsion d'Algérie? la fuite en Suisse puis en Tunisie où «la course au pouvoir avait commencé plus tôt alors que les foules d'Algériens bravaient l'armée colonialiste»...

Enfin, l'indépendance et le retour au pays? une autre aventure à la tête de la Bibliothèque universitaire, alors détruite par l'Oas et qu'il fallait reconstruire? Plutôt une «mal-aventure» avec les mesquineries ridicules, surtout venant d'anciens «planqués» et autres opportunistes, entravant la bonne marche des choses. L'auteur n'y va pas de main morte et des noms (avec, parfois, des jugements sur les comportements) sont fournis à la pelle. L'Histoire comme je l'aime !

Puis Octobre 88 et le terrorisme. Les «monstres enfantés par l'ignorance» règnent sur la vie des autres. L'exil encore ! Heureusement, la solidarité agissante des compagnes (surtout) et compagnons de lutte est là.

Retour en Algérie. La lutte pour les droits de l'Homme, pour la libération de la femme, pour la dignité de ceux et celles qui ont effectivement lutté, sur le terrain, pour le pays, et (presque) abandonnés (elle cite l'exemple de Nassima Hablal, secrétaire de Abane Ramdane?dont j'ai, moi-même, constaté, de son vivant, le dénuement ? santé et domicile - dans lequel elle se trouvait), pour l'honneur du pays?

Un contenu à l'image de son professionnalisme documentaire : des détails, des précisions, des retours en arrière, des mises au point parfois... sur le présent. Aucune place n'est laissée à l'imprécis et à la concession. Un peu trop sévère ? Non, un électron libre ne craignant pas d'avancer sur les lignes de crête étroites. «Je reste radicale, résolument rangée auprès des opprimés et des voix étouffées par la répression des puissants? Je dénonce les mesquineries, les magouilles et les calculs. Que cela plaise ou pas, je persiste et signe», écrit-elle en épilogue. La lutte continue !

Avis : Un titre (catégorique et sévère) qui en dit long sur la passion révolutionnaire qui habite (toujours) l'auteure.

Extraits : «Je suis toujours heureuse devant le bonheur des autres !» (p 20), «Dans l'atmosphère feutrée où évoluent ceux qui nous gouvernent, on n'entend pas les révoltes contenues» (p 146), «Les épreuves de la vie nous apprennent à attendre sans désespérer. Cela nous permet de chasser les démons en évacuant le trop-plein d'émotions pour se libérer. C'est une constante chez l'être humain qui éprouve le besoin de dire avant d'agir. Il faut du courage pour dénoncer l'abrutissement qui nous est imposé» (p. 167), «Etre âgée, c'est atteindre une certaine sagesse comparable à l'expérience d'un soldat au front. On ne sait pas qui sera le prochain à tomber. On lui rend hommage et on avance en continuant le combat jusqu'au dernier souffle en sachant affronter ses peurs» (p 174), «Les funérailles nationales réservées aux hommes politiques, pour la plupart conspués, montrent à quel point les honneurs sont préférés à l'honneur» (p186), «Faire œuvre de mémoire, c'est se tourner vers le passé sans rien occulter» (p 214)

MEMOIRES DE PRISONS. 1956-1962. Ouvrage de souvenirs de Félix Colozzi. Editions El Kalima, 294 pages, Alger 2014

L'histoire de l'auteur est toute simple, comme d'ailleurs son écriture. Elle est naturelle, transparente, modeste, engagée.

Le parcours du petit enfant issu d'une famille presque pauvre qui observe et essaie de comprendre les sociétés qui l'entourent. La sienne, enfermée dans ses certitudes presque racistes ; celle des autres ; celle que son entourage appelait les «Arabes» ou plus largement les «ratons, «, les «melons», «le tronc de figuier», toujours «sales et méchants», «fainéants et ne comprenant que la trique»?

La découverte de la réalité de cet apartheid qui ne disait pas son nom et qui n'en existait pas moins, va se faire graduellement, lentement mais sûrement grâce, entre autres et surtout à des syndicalistes engagés dans la lutte sociale puis politique, Algériens d'origine européenne et Algériens «Arabes». Grâce, aussi, à la fréquentation de la rédaction d'Alger Républicain et à la lecture de la presse progressiste.

Il y a le récit de l'engagement, sans conditions et décidé, dans la lutte , côtoyant ainsi des combattants illustres dont Maillot, Alleg, Inal, Briki, Salort, Yveton, Guerroudj, Castel, Zamoum, Hadj Benalla? Les attentats? l'arrestation en novembre 56? La torture? et onze prisons dont sept en France, toutes avec ses brimades et ses tortures physiques ou morales. Mais aussi, l'amitié de militants prestigieux emprisonnés, parfois condamnés à mort, le soutien des «frères», une fraternité à nulle autre pareille, une solidarité sans faille, un nationalisme sans peur, les grèves de la faim. L'Indépendance, enfin? mais libéré seulement en mai 1962 avec des militants tunisiens et marocains («Les (15) étrangers» se trouvant à Toul «ne font pas partie du lot» libéré en avril, leur avait-on dit !)...

L'Algérie, le retour? et les retrouvailles avec sa vraie famille, celle de toujours : l'Algérie qu'il ne quittera plus. Quel parcours. Aucun doute sur l'issue victorieuse de l'engagement et du combat, simple, difficile, douloureux mais «juste». Le reste est une autre histoire (avec cette remarque un peu amère que l'on retrouve d'ailleurs chez la plupart des Algériens d'origine européenne, ayant souffert pour que leur pays soit libre : Pour acquérir la nationalité algérienne, il fallait adresser une demande au ministre de la Justice? alors que, peut-être, le «Sanglier», un des plus cruels de leurs bourreaux serai t toujours en vie? en Algérie. Peut-être même avec une attestation de moudjahid. Qui sait ??). Une autre histoire, une autre vie, consacrée à des études supérieures, à l'édification et au redressement de l'économie nationale... Puis une retraite amplement méritée? toujours chez lui, en Algérie.

Avis : Les Mémoires des Algériens d'origine européenne ayant participé à la Guerre de libération nationale, en dehors des informations apportées intéressantes pour les historiens et les sociologues... et les jeunes générations mal ?formées ou peu informées sur les réalités réelles historico-politiques du pays, sont toujours plus qu'émouvantes. De plus, vous aurez droit à des petites (ou grandes) « révélations» sur les (rares, heureusement) comportements égoïstes ou égocentriques de certains. Dommage, il y a énormément de coquilles dans le texte. A corriger dans l'édition prochaine !

Extraits : «Je ne voulais pas m'occuper de politique ; et c'est bien la politique qui était venue à moi» (p 56), «Si l'homme ne vit pas librement dans son pays, appelle cet homme un mort et son pays un tombeau» (Devise du journal de détenus politiques Algériens à la maison d'arrêt de Rouen, «Assir El Hor», «le Détenu libre», p. 239)