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Quand l'opposition convoque l'histoire !

par Cherif Ali

L'opposition «unifiée» vient de rendre public son appel au peuple algérien, en l'invitant « à adhérer à un processus salutaire, dont l'objectif est l'instauration d'un système démocratique et social, seul en mesure d'assurer la justice, la liberté et l'égalité à tous les citoyens ».

A très forte charge symbolique, ou se voulant comme tel, l'appel a été lancé à l'occasion du 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale, comme pour faire référence à celui émis par les 6 chefs historiques de la révolution armée qui, à leur époque, avaient usé de ce procédé pour appeler les algériennes et les algériens à se mobiliser pour libérer le pays du joug colonial.

Mais, plutôt que d'inviter les citoyens à emprunter les chemins de la rébellion armée, l'opposition, qui s'est rebaptisée, pour la circonstance, " Instance de concertation et de suivi de l'opposition " par abréviation " ICSO ", les a exhortés par la voie de son porte parole " à la suivre pour imposer au pouvoir actuel, un changement pacifique ".

L'ICSO donc, invite le peuple " à l'accompagner dans son action pour que l'avenir de l'Algérie soit fondé sur la construction d'un destin collectif destiné à assurer aux citoyens les conditions d'une prospérité partagée dans une Algérie forte, stable et juste ". Il n'y a rien de solennel, encore moins de farouche, dans l'action de l'instance de l'opposition, a souligné, dernièrement, un éditorialiste ; selon lui, l'appel de novembre, version 2014, qui vient d'être lancé a, incontestablement, la force de la justesse et la profondeur politique que requiert la situation du pays, 60 ans après le déclenchement de la guerre de libération. Il n'y a rien de solennel encore moins de farouche, sûrement ! L'ICSO a osé, tout de même, un parallèle des plus gonflés, en comparant le pouvoir actuel, au colonialisme d'autrefois, même si c'est une image et essayer de " soulever " le peuple comme jadis ; beaucoup y ont vu, là, une démarche des plus maladroites.

L'opposition a pris, donc, le visage de l'ICSO, en dévoilant, peu ou prou, son objectif immédiat, loin de ce que l'on a appelé, communément, -printemps arabe- : " convaincre le peuple pour mieux l'impliquer, c'est la première phase du combat politique qu'elle se propose de mener ", dit-elle, sans pour autant décliner les voies et moyens qu'elle compte mettre en œuvre pour y parvenir !

Le peuple à qui on avait dit, précédemment, que le scrutin du 17 avril 2014, était comparable au premier novembre 1954, est de nouveau sollicité, en la même forme, celle qui convoque l'histoire, non pas par le pouvoir qui lui avait tout promis, alors, mais par l'opposition qui lui fait miroiter " l'instauration d'un système démocratique et social ".

Le peuple, habitué des promesses non tenues, est vite retourné à son quotidien, tournant le dos à ceux qui sont sortis victorieux du vote et l'ont crédité de sage et soucieux de la stabilité du pays, ou ceux qui recalés du scrutin l'ont diabolisé et accusé de tous les maux du pays.

Rabaissé, une première fois déjà, à sa condition de " ghachis " par un certain Noureddine Boukrouh, critiqué par Saïd Saâdi et son fameux " je me suis trompé de peuple " ou plus encore, mis au pilori lors des élections législatives avortées de 1991, avec le mémorable " le peuple ne sait pas voter ", il est, de nouveau, mis à contribution par l'opposition, celle-là même qui l'a traité de " poltron qui n'a pas voulu changer son destin ".

Ça ne l'a pas choqué, pour autant, car certains sont allés encore plus loin dans les limites, en proposant " de lui retirer le suffrage universel ", estimant que le peuple n'en était pas digne.

Pauvre peuple ! Que n'a-t-il pas enduré ! La décennie noire et bien avant, le colonialisme, dont il s'en est sorti meurtri, certes, mais vainqueur ! On disait, alors : " un seul héros, le peuple !".

Un slogan, en fait, qui a fait connaitre la révolution algérienne, urbi et orbi.

Un seul héros, le peuple ? Oui on dit les 51% et plus de ceux qui sont partis voter le 17 avril 2014. Oui, dirait, certainement, Abdelaziz Bouteflika, vainqueur du scrutin.

Non, prétendent les 48% restants et ceux qui les soutiennent : ce peuple, diabolisé, n'est plus ce héros d'autrefois, pense Ali Benflis qui doit en vouloir à tous ceux qui l'ont boudé.

Voilà, donc, le peuple coupé en deux, tiraillé par le président élu, son dauphin et leurs troupes : peuple votant contre peuple abstentionniste ! Peuple avec et peuple anti !

Ce qui a fait dire à Kamel Daoud, notre " Goncourt moral ", n'en déplaise à Tahar Benjelloun : (...) Le peuple a peur du peuple, il ne lui fait pas confiance et le surveille du coin de l'œil. Le but du voyageur algérien n'est pas de se retrouver (essence de la quête dans les mythes du Monde) mais de se fuir? Ne pas se rencontrer, s'oublier, s'effacer (?) le peuple, théorie d'ensemble, est arrivé à voter contre lui-même (?) ". Le peuple, pour l'instant, balloté, interpellé et injurié, ne dit rien. Il s'est exprimé le 17 avril 2014 ; il se contente, au jour d'aujourd'hui, d'observer, de noter tout ce qui se dit sur lui et surtout de ne pas se laisser abattre par les coups de boutoirs qu'on tente de lui asséner à Ghardaïa ou ailleurs dans le pays profond.

Selon l'opposition, le peuple est en mal de " perspective " c'est pourquoi elle se propose de lui donner un " projet ".

Le peuple, apolitique, dit-on, peut écouter sans accorder sa confiance à ce " déjà-vu " d'anciens chefs de gouvernement, en mal de revanche, ou de partis politiques aux ambitions, à peine contenues et aux convictions, diamétralement, opposées !

Ce discrédit vaut, aussi, pour la plupart des élites passées et à leur tête, tous ces ex-chefs de gouvernement qui sont dans l'opposition aujourd'hui, mais qui ont été en situation de gouvernance hier. Elles n'ont pas fait mieux, quand elles-mêmes, intraitables et sourdes à toutes revendications sociales, elles étaient aux affaires !

A croire que leur devise était " ordo ab chao " et ce n'est pas un hasard si, de façon systématique, les gouvernements successifs laissent le pays dans un état pire que celui qu'ils trouvèrent à leur arrivée.

Ces " élites " regroupées sous la bannière de l'ICSO, doivent savoir que le peuple se méfie de plus en plus d'elles, parce qu'il estime, en l'état, que leur combat est douteux tout comme leur discours qui est des plus abscons.

Celles au pouvoir pensent qu'elles ont mandat pour agir au nom du peuple et qu'elles ont, de ce fait, toute la légitimité pour faire selon ce qu'il leur semble bon ; et le peuple n'a qu'à se perdre en conjectures et à supputer comme bon lui semble!

Dans leur " bullosphère ", tous ces ministres et parlementaires, passés ou présents, ont perdu tout contact avec la réalité de ceux qui les ont portés, un à moment ou un autre, au pouvoir.

Il est temps qu'ils reviennent sur la planète des gens ordinaires qui leur ont signifié, depuis longtemps déjà, leur défiance.

Celle-ci est d'abord verticale et se nourrit d'un sentiment d'abandon, de plus en plus répandu : les élites, qui nous dirigent y compris celles qui sont élues, cultiveraient selon le peuple, " l'entre-soi ", sans se préoccuper, ou si peu des citoyens. Il serait toutefois naïf de limiter cette défiance aux seuls gouvernants, car elle frappe, sans distinction, la classe politique dans toute sa composante mais aussi l'administration publique, les patrons d'entreprises, bref toute l'élite intellectuelle, industrielle et économique. A cette défiance verticale, s'ajoute une autre de type horizontal ; avec l'inflation, la cherté de la vie, les rapports sociaux s'exacerbent et la méfiance, entre pairs, gagne du terrain et met à mal la cohésion sociale. Les élites ne communiquent pas, ou pas assez quand elles sont au pouvoir, alors qu'elles disposent de l'ensemble des médias, dont la télévision qui reste, pour elles, un espace public " monopolistique ". Elles s'emmurent dans le silence quand elles le quittent, pensant qu'il est bon pour elles de " se mettre en réserve de la république ", sait-on jamais, ou se faire oublier, puisque cela vaut mieux ainsi.

On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper le peuple tout le temps (Abraham Lincoln). L'ICSO, voulant aujourd'hui surprendre, a adressé au peuple son appel, feignant d'ignorer qu'il n'est qu'une entité abstraite, composée de citoyens indifférenciés. Le peuple, en réalité, est différent de la population constituée de personnes d'âge, de culture, d'origine et de situation différents. Et c'est là où réside la difficulté car la population, en ce moment est imperméable aux discours d'où qu'ils viennent, tellement elle est engluée dans un quotidien de plus en plus difficile. Ne dit-on pas, d'ailleurs, que " ventre vide n'a pas d'oreilles " ?

A ce propos, un observateur politique a relevé le paradoxe suivant : " dans les pays normaux, quand le peuple est mécontent, c'est le président et son gouvernement qui quittent le pouvoir. En Algérie, quand le peuple est mécontent, quand le pays va au plus mal, c'est à lui de quitter le pays " (discours de Houari Boumediene à Saïda en 1970 et de Chadli Bendjedid à Alger 1986).

Dorénavant, la classe politique doit regarder en face le peuple, avec lequel la rupture, si elles n'y prennent garde, pourrait, tôt ou tard, être consommée si elle ne l'est déjà, à voir la courbe vers laquelle s'envole l'abstention, scrutin après scrutin.

Affronter le peuple, dialoguer, militer en sa compagnie, le consulter, c'est accepter l'idée qu'il n'y a pas dans le pays :

" d'un côté, un peuple paisible, qui va aux urnes, qui applaudit car content de son sort, semble-t-il

" et de l'autre, un peuple frondeur, abstentionniste, qui rejette tout en bloc et qu'on peut, sur simple claquement des doigts, enrôler dans une aventure politicienne

Ceux au pouvoir et les partisans de l'ICSO n'ont pas de soucis à se faire, non seulement pour le quotidien mais aussi pour le lendemain, car elles détiennent ou ont profité de la rente ; elles consentent, de temps à autre, à ouvrir les vannes, soupape de sécurité oblige, comme en 2011, ce qui a permis d'apaiser, un tant soit peu le peuple irrité par le relèvement intempestif du prix de certains produits de première nécessité.

Pendant ce temps-là, du côté d'El Mouradia, loin du " tumulte " de l'opposition unifiée, on se prépare à former un nouveau gouvernement, le précédent technocrate comme se plaisaient à l'appeler certains, n'ayant pas répondu aux " attentes " du peuple.

Evidemment, cela se passe à huis clos, le peuple n'étant pas convié alors même que son sort est engagé dans les tractations à venir desquelles sortiront des élites sensées, cette fois-ci, œuvrer à son bien être.

Mais il n'est pas dupe sachant que le remaniement ministériel obéirait, comme par le passé à la théorie dite de " la chaise musicale " avec les mêmes ministres qui s'échangeront les maroquins, dans une ambiance de " long fleuve tranquille ". En définitive, tout est possible pour ces politiciens qui trouvent toujours à se recycler, et rien ne serait possible pour le peuple, si ce n'est qu'on lui demande, sans cesse, de faire des efforts, quand ce n'est pas des sacrifices qu'on exige de sa part.

Et le peuple a l'impression qu'il paye pour sa protection, mais personne ne le protège de ceux qui disposent de ses richesses et parfois en usent et abusent, tout en lui déclarant, à tout bout de champ, que " l'Etat providence, c'est fini ! ".

Et dans la situation de crise que nous subissions, plus que nous traversons, comment mettrons-nous la société en marche, si nos politiques, au pouvoir ou dans l'opposition, sont à court d'idées, persistent à rester dans leur monde abstrait, et refusent d'associer le peuple aux décisions qui engagent son avenir !

Qui sont-ils, tous ceux qui croient, à partir de leur hôtel convoquer le peuple pour assouvir leurs caprices ou régler leurs comptes ?

Croient-ils vraiment que le peuple va les rejoindre dans leur aventure ?

A moins que le prix du baril de pétrole ne viendrait à s'effondre, dramatiquement, et que le gouvernement, dans ce cas là, ne pourrait assurer, ni retraites et salaires, ni transferts sociaux, encore moins la politique de soutien des prix des produits de première nécessité !

Il y a aussi l'autre scénario, celui essayé, à leurs dépens, par les El Moubarek, avec la suite que l'on connaît. Qui sont-ils aussi ceux qui, tel ce plumitif d'un journal arabophone, " Serdouk Essahafa " comme se plaisent à l'appeler certains de ses confrères, qui a été jusqu'à traiter le peuple et les citoyens algériens " d'handicapés ", au motif que son favori n'a pas été élu.

Lui-même et tous les autres, peuvent toujours continuer à se prendre pour ce qu'ils ne sont pas, car le peuple, pour l'instant, n'est pas joignable. Il est éteint ou en dehors de la zone de couverture.