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A service rendu, service dû !

par Mohammed Beghdad

Qui parmi vous, de par sa fonction ou d'une position influente, ne fut-il pas un jour sollicité pour rendre un quelconque service à autrui ? Ou qui n'a pas cherché à l'avoir une fois que toutes les portes lui ont été fermées et tous les recours épuisés ? Il s'agit de vouloir décrocher une intervention, comme on le profère dans le jargon populaire, pour satisfaire les caprices d'un ami, d'un proche ou ceux des siens au détriment de toute impartialité, légalité ou conscience.

On peut dire que cette démarche est profondément ancrée dans notre société. Elle est devenue presque quelque chose quoique de plus de normale, un véritable phénomène de société. Elle s'est banalisée dans toute l'administration en général. Elle est codifiée et admise par tous. Elle possède ses propres règles et ses distinctes démarches. Elle doit surtout être discrète. On ne la prononce pas. On la chuchote à voix presque muette. Elle est dérangeante si elle est évoquée devant d'autres personnes qui ne comprennent pas les rouages des affaires. Elle est comprise sous la table. Les spécialistes la saisissent à l'instant même où l'on mime son geste.

Obtenir par exemple un passeport pour le pèlerinage aux lieux saints par d'autres procédés irréguliers, en contournant subtilement le tirage au sort, ne choque presque personne. Pourtant, il s'agit ici d'aller purifier son âme et ses os à la Mecque par des moyens qui, on peut le dire, sont contradictoires avec les notions de la foi et de la pureté. On n'y pense même pas. C'est le « Mektoub » qui est venu taper à ta porte, te tendre les bras. Tu dois le saisir. Il ne se refuse pas. C'est une issue qui s'est standardisée rituellement en halal.

Ce fléau, si j'ose le qualifier ainsi, s'est même transformé en une incontestable culture de tous les jours dont on n'a ni honte, ni bassesse, ni indignité à l'accomplir. Au contraire, on le vante devant tout le monde pour montrer que c'est la personne sur qui il faut bien compter aux bons moments. Elle possède comme preuves de fortes connaissances et un carnet d'adresses gros comme ça. Elle peut daigner à répondre à toutes les requêtes si elle est quémandée. Elle est là pour vous soulager de toutes vos souffrances bureaucratiques et même si vous n'en avez point le droit. C'est une ascension fulgurante dans la société où les valeurs se sont totalement désintégrées. Elles ne sont plus les mêmes où l'illicite d'hier s'est transformé allègrement en licite aujourd'hui.

 Cela va de l'infime service jusqu'au plus imaginaire et extravagant appui. Il y a ceux qui demandent des offrandes en nature pour satisfaire les besoins de son client qui ne peut pas le rembourser d'un service équivalent. C'est ce qu'on appelle de la corruption franche et directe. D'autres le font généreusement et très promptement si le client d'en face est un riche acquéreur d'avenir, un gros poisson, sur lequel il faut s'investir pour se le réserver à plus tard pour la loterie du gros lot. Et qui peut vous rendre un service plus important à cause de son poste fortuné, source de toutes les convoitises. C'est ce qu'on peut nommer de la corruption rentable à intérêts croisés. En tous les cas, ce sont toujours les institutions qui en souffrent de tels méfaits et qui se décrédibilisent de jour comme nuit.

Quand on n'a pas le droit, la demande d'une faveur ressemble carrément à du piston. Dans le cas contraire, cela s'apparente à de la bureaucratie caractérisée. Dans la majorité des cas, on le quête auprès d'une personne bien placée quand l'injustice et les embûches sévissent au plus haut niveau. Mais tout a un coût. Que ce soit à court ou à moyen terme. Parfois, on le paiera fort bien sur la durée.

On comprend maintenant pourquoi un responsable nommé, malgré qu'il soit trainé dans la gadoue par ses supérieurs et en sus le vide de toutes ses prérogatives, ne pense jamais à démissionner dans la dignité, à partir proprement. S'il y va, ses petites affaires d'à côté auront subi un sacré coup. Autant rester aux commandes, résister la tête basse et demeurer servile à souhait. Il est toujours gagnant au jackpot. Les services qu'il aura à rendre à ses consommateurs le prémunissent de désagréables surprises. Ils le mettront à l'abri de tout besoin lorsqu'il succombera au sol. Il aura de quoi se mettre sous la dent.

C'est un placement à longue portée. Il n'aura pas à craindre de mauvais lendemains. Tant qu'il collaborera, il sera facétieusement bien entretenu par les siens. Le système régnant a établi cette entre-aide contre-nature afin d'assurer sa pérennité. Attention ! Aucune opposition n'est permise. Devant plus fort que soi, on doit se courber l'échine. On doit écraser un subordonné comme on le fait pour une clope. Les leçons sont ainsi apprises. La moralité, l'intégrité, la droiture sont proscrites à jamais de votre vocabulaire courant. Si vous ne disposez pas de ces références, votre dossier n'aura aucune chance d'aboutir. Il sera déclassé au fin fond d'un tiroir en attendant des jours meilleurs. La poussière ferait de lui sa chasse gardée jusqu'à la fin de ses jours. On ne doit nullement se tromper sur les choix. Votre parcours sera vu et revu depuis votre acte de naissance. Personne ne doit sortir des bambous comme on le dit populairement. Malheur à celui qui ne respecte pas ces dogmes.

Lorsque vous êtes au sommet de votre art, vous êtes sujets de toutes les bonnes attentions. On vous fait les yeux doux. Vous êtes le chouchou de tout un clan. On rajoute un « si » à votre nom pour ainsi dire hausser votre galon et pourquoi pas le enfiler le sprirituel « hadj » tant qu'on y est et ramené de la terre sainte pour vous épurer de tous vos péchés. On ne vous caresse que dans le sens du poil. Jamais, vous n'entendez des mots qui vous déplaisent. Vous sentirez que des youyous à vos oreilles. On ne veut vous faire que du bien. Le mal sera reporté à plus tard si jamais le vent tournerait à contre-courant. Toutes vos demandes sont des désirs, elles sont exécutées sur le champ. Vous êtes le Monsieur « flen » qui peut résoudre tous les problèmes. Qui peut faire sauter tous les verrous qui vous mènent la vie dure. Il dispose de toutes les clés de la réussite, de tous les coups gagnants possibles. Sa cible n'est jamais ratée tellement il vise admirablement.

Un seul petit coup de fil ou un claquement des doigts et voilà vos vœux réalisés. Vos rêves sont immédiatement exaucés. Toutes les portes vous sont grandes ouvertes. Tous les sésames vous sont par miracle béants. Comme par enchantement, tous vos tracas s'envolent subitement. Vous êtes au septième ciel. Les bâtons dans les roues ne vous seront que de mauvais souvenirs lointains. Vous êtes sur un nuage. Le bonheur coule dans vos veines. Vos poumons sont remplis d'air frais comme un bloc. Vous espérez que cela puisse continuer à l'infini. Qui ne puisse jamais s'achever.

D'un pestiféré, vous êtes plus que jamais un chanceux favori mais sans passer par la saine concurrence, ni par les voies ordinaires du marché. Vous êtes passés par le couloir spécial et confidentiel, chemin de tous les arcanes. Vous êtes finalement qu'un assisté qui puisse bomber le torse et dire à haute voix que c'est le jour de votre nouvelle délivrance. La roue vous sourit et vous emporte jusqu'à enivrement. Les privilèges vous tombent sans cesse sur la tête.

Quant à monsieur votre serviteur, il se voit encore sa bonne étoile briller, plus étincelante qu'avant, fort lustrante après. Lui qui est né avec une cuillère en or dans la bouche. Il voit son escalade vers le haut progresser vertigineusement. Plus il monte et plus le nombre des services rendus ne cessent d'enfler et vice-versa. Ils compteront pour beaucoup le jour de l'audience par ceux d'ici ou d'en-haut. Il est là à attendre que l'on lui renvoie l'ascenseur au moment propice.

Le poids des bons attribués feront la différence en penchant le jour J la balance du bon côté. Ce jour-là, il jubilera en son for intérieur en ne laissant éclater sa joie que devant ses proches fidèles dans l'intimité. Il ne veut en aucun cas conjurer le mauvais sort qui peut s'abattre sur lui si jamais il ne répond pas aux conditions de nomination au poste supérieur convoité. Devant les autres, il ne montre jamais les objectifs brigués. Il les dissimule comme un secret à ne jamais dévoiler. Il le cultive discrètement en feintant de les ignorer. La jalousie de ses adversaires postulants ou de ses directs concurrents, comme il prétend, pourrait lui jouer de mauvais tours. Les complots et les roublardises sont des armes qui ne pardonnent aucunement. Chaque pion peut influencer sur l'échiquier. Tous les coups sont permis pour les avancer.

Son bonheur peut durer indéfiniment mais jamais il n'arrive à l'assouvir. Sa motivation pour la gloire et la matière n'a pas de limites. Plus il sert, et plus il gravite les échelons et plus ses ambitions crèvent le plafond. Tous les points glanés à gauche, à droite et de tous les autres angles comptent à l'ultime décompte.

Au secours ! Le glissement de terrain sous les pieds risque d'être brutal. Les peaux de banane sont légions si par mésaventure, il ne répond plus aux critères et aux exigences de ses messieurs. La chute libre qui le suit comme son ombre annoncera par surprise sa déchéance dans le gouffre profond. Il ne saura jamais pourquoi. Il sera banni de tous les registres certifiés. C'est une énigme qu'il ne pourrait jamais la décrypter. Il aura à rejoindre les archives du passé en attendant peut-être des jours meilleurs.

Son dossier noirci le fera taire à jamais. Il ne pourra non plus oser élever la voie, ni placer ne serait-ce qu'un quelconque petit mot. A la longue, il perdra l'espoir de revenir en foulant un tapis rouge déroulé. Il n'espère que se caser pour ne pas perdre, comme il le croit, son honneur bafoué. Il perd comme par malheur tous ses supposés soutiens à la célérité de la lumière comme il les a constitués. Les amis virtuels d'hier deviennent sur des actions déclenchées quelques parts tous des ennemis jurés à la solde de sa nouvelle majesté.

Le choc est terrible. Il ne comprendra nullement l'acharnement sur sa personne qui est à terre à attendre que la foudre s'abatte sur lui et en le faisant oublier pour l'éternité. La tutelle a siégé sans aucune possible protestation. On est parti comme on est venu par le même rituel accidentel, par le même cérémonial datant de la nuit des temps. Les couteaux de la revanche s'aiguiseront davantage. Le système, qui est toujours dominateur, est impitoyable pour les déchus qui essaient d'esquiver les règles du jeu ou rompent le chemin de la feuille de route ficelée comme une puce programmée.

Ses jours sont désormais comptés. Plus aucun pourvoi en cassation ni circonstances atténuantes ne lui seront accordés. Ni une possible aide ni une probable assistance ne sont prévues dans ces cas désespérés. Les dés sont déjà jetés. Son sort est scellé. Il faut comprendre que vous n'êtes qu'un pion du système qui n'est là que pour lui donner du souffle nouveau jusqu'à votre épuisement, jusqu'à ce que tout votre sang sera aspiré. Vous serez remerciés tel un damné le jour et le moment choisis dès que vous commencez à dévier des buts assignés.

Vous êtes maintenant abandonnés en plein milieu de la route comme un déposé oublié. Tous les mauvais regards seront braqués sur vous. Trop tard, la défense ne vous sera d'aucun apport moral. La lumière de la scène sera éteinte en croisant votre apparition. Vous allez vivre dans l'ombre comme tant d'autres avant vous. Vous essayez de regagner l'autre bord rival qui ne voudrait plus rien de vous. Trop tard, vous êtes jetés en pâture, déchiquetés par les vautours comme une proie en décomposition. Plus aucun secours ne pourrait vous tirer de la potence. Vous avez tiré toutes vos cartouches, la plupart à blanc. Aucune n'a été préservée pour sauver la face. Vous les avez gâchées sur des futilités et en les gaspillant en tapant sur vos réels alliés. Après votre enterrement, les gerbes de fleurs déposées sur votre tombe ne vous seront d'aucune utilité. C'est la fin misérable et piteuse mais prévisible qui guète tous ceux qui ne retiennent pas les leçons et les expériences de ceux qui les ont précédés dans les mêmes missions.