Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Suspicion légitime

par M. Saadoune

Il y a dans les accusations d'utilisation d'armes chimiques par le régime de Damas quelque chose d'intenable. Damas n'a rien d'une démocratie et le régime en place connu pour son utilisation de la violence comme moyen de régulation politique. C'est parce qu'il n'a pas compris que ce qui marchait sous Hafedh ne fonctionnera pas sous Bachar qu'il a ouvert le chemin d'une crise destructrice avec une très forte intrusion étrangère. Celle-ci est d'ailleurs devenue sous toutes ses formes, djihadiste, khaleji ou occidentale, un facteur surdéterminant du conflit.

Si le régime de Bachar Al-Assad n'a rien de bien sympathique au regard des normes minimales des droits de l'homme, on lui reconnaît une «froideur calculatrice» qui, sans le rendre plus efficace, lui permet d'éviter des attitudes suicidaires. Or, il le sait bien, l'usage éventuel d'armes chimiques le desservira gravement. Cela est valable de manière durable. C'était encore plus valable ces dernières semaines où Damas a engrangé, sur le terrain, des succès militaires qui le mettent plus à l'aise dans la perspective de négociations éventuelles. Par contre, l'opposition syrienne traverse une période d'affaiblissement et avait même perdu la capacité de susciter l'intérêt médiatique des Occidentaux. Les affrontements entre l'ALS, les Kurdes syriens et les djihadistes ont d'ailleurs supplanté l'intérêt sur la lutte contre Damas. Et de manière encore plus forte, la crise longue et sanglante en Egypte a capté toutes les attentions politiques et médiatiques.

Les Occidentaux, très mal à l'aise sur la crise égyptienne où leur défense de la démocratie a été «contrainte» dans l'expression, n'évoquaient plus la crise syrienne. A défaut de l'emporter sur tous les fronts militaires, Damas était dans un réel «confort» politique, diplomatique et médiatique. Un régime «froid» et «calculateur» ne prendrait pas le risque, inutile puisqu'il est meurtrier sans être décisif dans les batailles, d'utiliser des armes chimiques et de perdre ainsi ce confort relatif. Et ce au lendemain même de l'arrivée d'une équipe d'experts de l'Onu sur les armes chimiques. Contrairement à ce que laissent entendre les Occidentaux, ce ne serait pas du cynisme mais du suicide. Les dirigeants syriens ont tous les défauts du monde mais ils ne sont pas suicidaires. C'est pourtant ce que la machine politico-médiatique occidentale se faisant le relais aveugle des accusations des rebelles syriens veut faire croire.

Certains dirigeants occidentaux restent dans des formulations relativement prudentes, d'autres ont déjà jugé et condamné sans attendre l'établissement des preuves. On est subitement dans un retournement total de situation : la Syrie revient sur le devant de la scène, les discours interventionnistes reprennent de la vigueur et l'Egypte est, presque, reléguée au second plan. Le régime de Damas travaillerait-il contre lui-même en livrant cette «perche chimique» à ses adversaires ? On a de la peine à y croire. Mais il est clair que face à la redoutable machine médiatique qui a déjà tranché, Damas aurait tout intérêt à jouer la transparence. Les Russes l'y incitent. Et ils n'ont pas tort.