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Le retour sanglant du système

par K. Selim

Le discours officiel du pouvoir égyptien mis en place par l'armée est d'une prévisibilité totale. Après la décision de disperser dans le sang les sit-in des contestataires du coup d'Etat, le pouvoir œuvre à déplacer la crise politique grave, née de la sortie de la légalité constitutionnelle le 3 juillet, sur le terrain purement sécuritaire. Le discours du porte-parole de la présidence égyptienne est sans nuance : il n'y a pas de crise politique en Egypte, «il n'y a que l'armée, l'Etat et le peuple qui font face à une entreprise terroriste».

Un discours dangereusement convenu qui n'augure rien de bon. Juste un signe de plus que la mécanique implacable de la guerre civile, corollaire du traitement policier d'une grave crise politique, est en marche. Les centaines de milliers de manifestants contre le coup d'Etat ne sont pas des terroristes, ils sont une partie significative du pays. Et ils ne sont pas réductibles aux Frères musulmans. Le vieux système militaro-policier égyptien cherche, au nom d'une lecture sécuritaire de la crise, à rétablir une autorité ébréchée. Il a réussi en partie. Il n'a plus de contestataires libéraux, nassériens ou de gauche, ce sont tous désormais des «ralliés» qui justifient, quand ils ne font pas de la surenchère, l'écrasement de ceux qui s'opposent au coup d'Etat. Dans le meilleur des cas, ils se retirent, en silence et sous les quolibets, comme cela est arrivé à El-Baradei.

Ces forces ont été, peut-être, «révolutionnaires» à un moment, elles ne sont plus que des forces d'appoint, des alibis pour la remise en place du système autoritaire. Et elles sont, du point de vue du régime, beaucoup moins utiles que les «baltagueyas» que la police a remis en service. Ce système autoritaire veut désormais traiter la réalité politique des Frères musulmans comme une affaire de police, voire de basse police. Il n'en sortira rien de bon. La dissolution officielle des Frères musulmans, leur bannissement de la vie politique seront très lourds de conséquences. L'organisation des Frères musulmans, malgré sa diabolisation par une presse égyptienne qui ment effrontément, a exercé un véritable contrôle sur les troupes et a évité le basculement dans la violence. Leur interdiction - et leur emprisonnement - ferme le terrain à la gestion politique, elle ouvre la voie aux expressions violentes. L'Egypte est sur cette pente mauvaise.

Le choix de l'option sécuritaire n'est pas une quête de solution, mais la meilleure façon de créer de nouveaux et dangereux problèmes. On sait comment ça commence, personne ne sait dans quel état sera un pays quand c'est «fini». Si le mot «fini» peut vouloir dire, dans un jeu où les violences alimentent les violences et les haines mutuelles, quelque chose. Car, il faut en convenir désormais, toute sortie d'une légalité produit d'un suffrage populaire authentique crée une situation dangereuse. Un pouvoir élu ne se fait pas balayer au nom d'un mouvement de rue mais par le seul moyen démocratique connu : les urnes. La facture que paye déjà l'Egypte pour le mépris des «urnes» et la fausse déification de la rue est déjà lourde. Elle n'est, malheureusement, pas close quand on voit avec quelle suffisance et quel mépris on traite ceux qui se sont opposés au coup d'Etat.