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UNE SPIRALE INFERNALE

par K.Selim

Le pire est-il en train de se réaliser en Egypte ? Depuis le début de la crise née de la destitution du président Morsi par l'armée et le début du bras de fer dans la rue à travers la «guerre des places», on a constamment oscillé entre deux sentiments. L'espoir que la politique accomplisse son œuvre et stoppe la logique de l'escalade en est un. Mais devant les déchaînements des passions, il y avait aussi la crainte que des dérapages viennent obstruer totalement la voie d'une solution dispensant l'Egypte d'une option guerrière absurde et vaine.

Hier, au lendemain d'une nuit où les deux Egypte ont manifesté dans leurs places de prédilection, de nombreuses personnes ont été tuées devant le siège de la Garde républicaine. Cela peut-il être le coup fatal qui met le pays dans l'entonnoir de l'affrontement interne ? On ne le sait pas encore, mais les Egyptiens, tous les Egyptiens, vont devoir trouver les moyens, en eux-mêmes, de stopper la spirale dangereuse dont les éléments sont en train de s'imbriquer dans un engrenage terrible. Pour l'instant, on est dans l'émotion et la colère. Et des accusations réciproques. Les Frères musulmans qui dénoncent un coup d'Etat et estiment que la légalité constitutionnelle a été bafouée, vont-ils céder à la tentation de martyrologue et de l'insurrection ?

L'appel lancé aux Egyptiens par le Parti de la justice et de la liberté, aile légale des Frères musulmans, à se soulever de «manière pacifique contre ceux qui tentent de lui voler sa révolution» est inquiétant. Il faut espérer que l'émotion ne l'emportera pas sur la raison et que les radicaux n'imposeront pas leur option. C'est une aventure dont on connaît les résultats d'avance. En face, aussi, on devrait s'abstenir des mesures qui favorisent les moins enclins à la quête du compromis. Il faut, bien entendu, donner des explications suffisantes au carnage qui s'est déroulé devant le bâtiment de la Garde républicaine. Ce qui s'est passé est un moment très grave de la crise et la manière de le gérer, par les uns et les autres, risque d'être déterminante pour le proche avenir.

Depuis plusieurs jours et à l'issue de la destitution du président Morsi par l'armée, les actes, contrairement au discours réconciliateur, piègent l'Egypte dans une optique de confrontation. Les Frères musulmans sont passés, en vingt-quatre heures, du pouvoir à la prison. Leurs dirigeants sont arrêtés, un par un, leurs médias fermés. Cette gestion sécuritaire - malgré l'habillage juridique que lui en donne le parquet - est la pire des options. Elle ouvre, dans un contexte de colère chez les partisans de Mohamed Morsi, un grand boulevard à ceux qui veulent en découdre. Le carnage qui a eu lieu a déjà un impact politique considérable puisque les salafistes du parti Nour ont décidé de ne plus participer au processus qui a suivi le coup d'Etat. Leur choix, opportuniste ou sage selon les points de vue, de se distancier des Frères musulmans est devenu intenable. Le parti Nour, il faut le rappeler, est le deuxième plus important parti après les Frères musulmans.

La polarisation entre islamistes toutes tendances confondues et les partisans de l'armée risque de s'amplifier. L'explication par la rue, entamée par les anti-Morsi et exploitée par l'armée, était bien une option aventureuse. Elle a conforté au sein des pans entiers de la population qu'elle est l'unique recours. Les islamistes s'installent à leur tour durablement dans la rue? Les déloger par la force causerait un carnage. Les Egyptiens ont des raisons d'avoir peur pour leur pays qui se trouve dans une impasse totale. Comment arrêter l'engrenage fatal ? C'est la seule question qui vaille aujourd'hui. C'est aux Egyptiens de trouver la réponse, personne ne peut leur donner de conseils.