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Coincés entre l'Histoire de la méfiance et le 1er Avril

par Kamel Daoud

L'un des grands maux de l'Algérie est la méfiance, dit-on partout : comprendre le contraire de la confiance, synonyme du concept « consensus national ». Du coup, l'un a peur de l'autre : le riche pense qu'on va le voler, là où le pauvre croit qu'on lui a volé son butin, sa part, son morceau. Le militaire croit aussi que le civil va le manger ou se manger l'un l'autre. Du coup, il s'en méfie : le civil n'a pas de discipline, pas de doctrine, pas de mission noble, donc pas de moral et de sens nationaliste et donc peut être soupçonnable de trahison. Le civil à son tour croit que le militaire abuse et vole l'Algérie. Le cycle est sans fin : il va du clan souverain, au voisin de palier. Le défaut du pays étant de ne pas avoir construit un consensus, un pacte. Qu'il soit économique, idéologique ou autre. La guerre contre la France nous a soudés, la libération nous sépare.

Pourquoi revenir sur cette banalité de l'âme algérienne angoissée par l'Autre. A cause d'une histoire qui remet le concept de méfiance au goût du jour : le vol de documents, ordinateurs de la cour d'Alger cette semaine. Un seul fait divers, mais déjà deux histoires. La première est nationale : c'est un Watergate, un acte de gang contre les enquêtes menées sur les réseaux de corruption, une lutte de clans, une délinquance d'Etat. Tout y est pour confirmer la piste : un ordinateur, un palais de justice, des caméras de surveillance défaillantes, des policiers qui n'ont rien vu sauf les nuages et le timing en plein crise de confiance, c'est-à-dire en pleine crise de méfiance. On ne vole pas des ordinateurs dans un palais de justice dit-on, même en haut lieu. On le fait dans un cyber, un magasin de produits informatiques. Dans un palais de justice on vole des preuves et des dossiers et des archives. Seconde histoire ? Celle de la DGSN et de la cour d'Alger / procureur : le voleur ne serait qu'un voleur d'ordinateurs qui a profité de la somnolence post-80 ans général de l'Algérie sénile et qui est connu pour voler des ordinateurs. C'est un certain BY, 35 ans, de Hussein Dey, Alger. C'est le général El Hamel qui aurait diligenté l'enquête et retrouvé le voleur. Le Watergate ne serait qu'un fait divers donc selon le procureur. Cela peut être vrai et c'est vrai jusqu'à la preuve du contraire. Sauf que c'est le pays de la méfiance et donc cette histoire, même vraie, ne peut être que fausse. Personne n'ira y croire même avec toutes les preuves possibles. Elle a « pour » elle l'enquête dite scientifique. Elle a « contre » elle la longue histoire de la méfiance, le manque de confiance de l'Algérien envers lui-même, envers l'humanité, sa femme, son voisin, son élu, son militaire et son martyr. Elle a contre elle les enquêtes en cours, la guerre de succession après Bouteflika et l'absence d'un consensus national et d'un contrat collectif pour vivre dans le pays sans se manger. BY peut n'être que B.Y., mais il a contre son évidence l'acte solitaire de Boumaarfi et le tueur de Hachanni et la longue liste des actes isolés ». Sachant en dernier que le communiqué de la cour expliquant le vol a eu le malheur d'être signé et rendu public un 1er Avril.