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TRAIN FOU

par M. Saadoune

Le halal et ses autres sous-produits de l'islamophobie ordinaire vont-ils ressurgir dans la campagne pour le deuxième tour de la présidentielle en France ? Hélas oui, répondent des amis français, ou alors «ils» trouveront autre chose dans le registre établi de la haine raciale décomplexée. «Ils», Nicolas Sarkozy et ses lieutenants, ont objectivement joué les sergents-recruteurs pour Marine Le Pen en reprenant très largement ses idées et en les banalisant.

 Jouant aux apprentis sorciers, Sarkozy et ses stratèges croyaient rééditer le coup de 2007 et siphonner l'électorat de l'extrême droite, ils n'ont fait que pousser une partie de l'électorat de droite vers l'extrême droite. La manœuvre, qui avait permis il y a cinq ans à un candidat nouveau de réduire le score de Le Pen à moins de 10%, ne pouvait pas fonctionner pour un président au bilan très discutable et au style décidément rebutant pour une bonne partie de la droite. Elle n'a fait que conforter le Front national - qui pourrait changer d'appellation pour consacrer sa nouvelle «respectabilité» - en tant qu'acteur clé de la droite française en voie de recomposition. L'électoralisme sans scrupule et un discours outrageusement racoleur n'ont pas abouti à la captation par l'UMP du vote protestataire qui a renforcé considérablement la base électorale du Front national. Au contraire.

Il faudra désormais ajouter au bilan de Nicolas Sarkozy un affaiblissement sans équivalent depuis les années vingt ou trente du siècle dernier de la droite dite républicaine. Les prochaines échéances législatives pourraient confirmer cette inquiétante montée en puissance de la droite extrême. Entre-temps, pour certaines catégories de Français et pour les immigrés devenus au fil des ans le combustible des campagnes électoralistes, les prochains jours risquent d'être éprouvants. Car la campagne Sarkozy est un train fou qui s'est engagé sur la voie du populisme démagogique et n'a plus d'autre solution que la fuite en avant, au péril du déraillement. Aucun recentrage n'est effectivement possible ni envisageable après avoir si visiblement couru derrière le Front national.

L'électorat centriste étant comparativement faible, c'est bien le gisement de voix lepénistes que la machine électorale de Nicolas Sarkozy va tenter d'exploiter. Ses lieutenants ont déjà donné le ton: ce sera, pour la énième fois, l'immigration odieusement corrélée à l'insécurité qui sera l'un des principaux thèmes de campagne du candidat de l'UMP. Les questions fondamentales comme le pouvoir d'achat et l'économie sur lesquels le bilan est négatif sont naturellement escamotées ou reléguées au second plan au profit de la stratégie de la peur. Et de la fabrication de l'ennemi intérieur, de la «cinquième colonne», de la «fumeuse conspiration halal ! Cette politique de la peur et de construction de «l'ennemi» a pleinement profité à Marine Le Pen qui capte plus de 6 millions de voix alors que son père n'en avait attiré que 4,5 millions. Pourquoi dans ces circonstances préférer la copie à l'original ?

Il n'y aura pas de report mécanique de voix au second tour, une partie significative de cet électorat d'extrême droite est foncièrement hostile au président sortant. Mais le salut de Nicolas Sarkozy n'étant évidemment pas au centre, il faut donc envisager une surenchère populiste pour tenter coûte que coûte d'aspirer les sympathisants du Front national. Et il n'est pas nécessaire de poser au politologue émérite pour comprendre que le moteur du vote de la peur est alimenté par un carburant commode: les immigrés, les Arabes, les Noirs et les musulmans. Pour grossière qu'elle puisse paraître, la diversion a prouvé son efficacité. Les médias des pays du Sud devraient - c'est le moins qu'ils puissent faire - suivre avec attention les péripéties du second tour en France. Sans interférer dans le choix des Français - à quel titre ? -, il est impérieux d'en relever les dérives et d'en signaler les excès. Dans une campagne sans merci pour eux d'abord, les «indigènes» n'ont qu'à bien se tenir, ils risquent de connaître des jours peu tranquilles.