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COMPLOTEURS ARABES !

par M. Saadoune



Des mains étrangères arabes derrière l'apparition publique d'un mouvement autonomiste dans l'est de la Libye ? Le président du Conseil national de transition libyen, Moustapha Abdeljalil, a choisi l'explication traditionnelle la plus commode pour réagir à l'annonce mardi, par des notables et des miliciens, d'une Cyrénaïque autonome.

Il est inutile de relever que le CNT lui-même est le produit d'une intervention étrangère fondée sur une interprétation abusivement extensive d'une résolution du Conseil de sécurité, qui bloque aujourd'hui tout rôle utile de l'ONU dans la crise syrienne. Moustapha Abdeljalil n'a pas tort de s'inquiéter sur le sort de l'unité de la Libye. Sa partition ? comme celle d'autres pays ? constitue une des «options» possibles pour ceux qui estiment avoir la capacité et le pouvoir de reconfigurer le monde arabe en fonction de leurs intérêts.

Mais curieusement, Moustapha Abdeljalil, qui n'avance aucun élément de preuve pour étayer ses accusations, ne désigne pas ces puissances «coupables». Il centre ses graves mais vagues accusations sur «les pays arabes qui craindraient une contamination» et encourageraient la «sédition». Le risque de «contamination» de la «grande démocratie libyenne», qui subroge dans l'anarchie la Grande Jamahirya Socialiste Libyenne de Kadhafi, est un argument qu'il serait vain de discuter.

L'état du pays, ses milices qui régentent chacune une portion de territoire et qui font le coup de feu de temps à autre pour d'obscures raisons, n'a rien de particulièrement séduisant pour les opinions arabes. On ne voit donc pas, mis à part un risque sécuritaire évident avec la dispersion des armes et l'institutionnalisation des milices, de raisons qui feraient craindre aux pays arabes voisins une contagion «démocratique» sur le modèle libyen. Il ne se passe rien de bien vertueux en Libye ? contrairement à la Tunisie, où une transition se fait dans un contexte difficile mais sérieux ? qui pourrait susciter l'émulation.

L'hypothèse d'un «complot arabe» contre la Libye, évoquée, sans preuve, par le président du CNT libyen, relève du répertoire classique des régimes arabes. On invoque le complot extérieur pour occulter tant bien que mal ses propres failles, travers et errements. S'agissant du CNT, il est patent que cet organe plutôt opaque éprouve de réelles difficultés à se transformer en un gouvernement qui contrôle et gère effectivement le pays. Il n'est pas facile de passer d'une guerre civile, doublée d'une intervention militaire extérieure, à une stabilisation interne rapide. Les batailles pour le pouvoir sont une réalité et les milices, qui conservent leurs armes «au nom de la préservation de la révolution», se donnent surtout les moyens de négocier leur «place» au banquet de la rente. C'est une réalité connue et compliquée et elle est suffisante pour expliquer les évolutions aussi indésirables que l'apparition de mouvements autonomistes remettant en cause l'unité du pays.

Ces mouvements ont-ils des accointances étrangères ? La Libye est aujourd'hui un champ de manœuvre largement ouvert aux officines étrangères et aucune hypothèse ne peut être exclue. Mais il est difficile de croire qu'un des pays arabes frontaliers de la Libye ? l'Egypte, la Tunisie, l'Algérie, voire le Soudan ? a un quelconque intérêt à encourager des mouvements séparatistes qui pourraient avoir un effet plus dangereusement contagieux que le modèle «révolutionnaire» libyen. Si M. Abdeljalil ne veut pas chercher une explication dans l'échec manifeste du CNT, il devra donc identifier des «comploteurs» ayant de vraies motivations et une authentique capacité à encourager des mouvements séditieux.