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Une hirondelle peut faire le printemps

par Moncef Wafi

P lace Tahrir. Acte II. Le printemps égyptien a décidé de jouer les prolongations et change de saison pour mieux signifier au monde et à l'armée que le peuple veut vraiment changer le système. Moubarak tombé, sacrifié par ses généraux, la rue a laissé le temps au temps et aux étoiles pour rejoindre les casernes. Le peuple égyptien, soucieux de ne pas se faire confisquer le sang de ses martyrs, est sorti de nouveau, dans la rue, pour manifester et se mobiliser pour dire ce qu'il pensait réellement de la transition menée par les militaires. La première revendication citoyenne est la limitation du recours à ces fameux tribunaux militaires pour juger les civils. En optant pour des réformes du système, le peuple égyptien a ciblé l'un de ses fondamentaux pour l'extirper à l'emprise de l'exécutif, quelle que soit sa nature. Les Egyptiens ont compris qu'avec une justice forte, loin de tout féodalisme, la révolution de Février pouvait faire son lit sur des bases solides. Cette forte mobilisation pour un basculement vers les tribunaux civils se veut un message fort à l'institution militaire, coupable aux yeux du peuple de manquer de fermeté pour juger les dignitaires déchus de l'ancien régime. Le gouvernement de transition a été également chahuté par la rue qui lui reprochait une promiscuité ministérielle avec les pro-Moubarak. Cette démonstration de force est une preuve de maturité citoyenne d'une révolution à qui on prédisait un échec au détour de réformes jugées d'abord utopiques. L'Egypte est en train de donner une leçon de démocratie par et pour les Arabes qui devraient en prendre de la graine et s'armer d'une société civile inexistante ailleurs, si ce n'est en Tunisie. Une société civile, digne de ce nom, qui a pu cimenter, dans le temps, toutes les forces vives d'une nation pour la préparer à prendre sa place, une fois le moment venu. L'Egypte a pu compter sur une telle assise pour confronter et canaliser une rage populaire qui a fini par renverser un pouvoir parti pour durer aussi longtemps que les pyramides. Mais en l'absence de cette donne, l'équation révolutionnaire reste tronquée d'un atout de taille qui puisse assurer l'alternative. Ailleurs, et ici, la société civile, disparue de la vie quotidienne, se résume à un parterre de notables autoproclamés, d'opportunistes professionnels ou de libéraux en prospection. Absents des débats fondateurs pour une prise de conscience citoyenne, elle s'inscrit dans la case des organisations de masse qu'on convoque au besoin. Cette société civile censée représenter ou offrir, du moins, l'alternative à ce qui se fait actuellement, n'a jamais été capable de se transcender ailleurs qu'autour d'un méchoui. Une absence préjudiciable qui hypothèque, dès le départ, toute velléité de lâcher une hirondelle dans le ciel national.