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Quand même la solution du fusible est impossible

par Kharroubi Habib

Bien que le détonateur apparent de l'explosion populaire qui secoue le pays depuis mardi dernier soit la flambée des prix intervenue à l'entame de la nouvelle année, les émeutes qui se propagent partout ne sont pas les «émeutes de la faim». C'est tout un condensat de revendications sociales et politiques qui en est la véritable cause. La hausse des prix n'a fait que précipiter les événements. C'est pourquoi le pouvoir commettrait une faute gravissime s'il se contente en guise de réponse au mouvement de contestation populaire des seules mesures annoncées par le ministre du Commerce.

 Le mutisme observé par le chef de l'Etat et son Premier ministre est la preuve manifeste qu'ils sont conscients que la colère populaire a des fondements dont ils ne peuvent admettre la justesse sans reconnaître que leur gouvernance est au cœur des problèmes l'ayant suscitée. Les jeunes qui sont dans la rue sont en révolte contre cette gouvernance. Et même si «une main» a voulu orienter leur colère sur un segment de la classe dirigeante en charge de cette gouvernance, ces jeunes ne font pas de «distinguo» et englobent dans leur remise en cause tous les tenants du pouvoir en place.

 En octobre 88 le pouvoir avait sacrifié en guise de boucs émissaires certaines de ses figures. Il n'est pas sûr que cette fois une opération du même genre puisse avoir un effet apaisant. C'est pourquoi il faut au contraire s'attendre à ce que ce pouvoir fasse front à la contestation populaire en s'affichant uni malgré la sourde lutte interne qui oppose ses segments. Il n'a pas d'autre solution, pas même celle du «fusible». En tout cas, le chef de l'Etat s'est ôté celle-ci en concentrant le pouvoir entre ses mains et en ayant instauré la conviction que tout ce qui se fait et se décide dans le pays émane de sa seule autorité.

 S'il faut donc s'adresser aux émeutiers, seul le chef de l'Etat doit le faire. Que peut dire celui-ci pouvant les calmer? Sinon que sa gouvernance est mauvaise, qu'elle n'a pas tenu les promesses et engagements pris par lui. Mais dire cela sans en tirer la conclusion qui s'impose ne mènera à rien. Bouteflika ne veut manifestement pas se résoudre à cette extrémité et s'emmure dans le mutisme avec l'espoir que la colère populaire s'éteindra aussi vite qu'elle a explosé. Mais voilà cela fait cinq jours que les émeutes secouent le pays et les jeunes manifestants semblent déterminés à installer leur révolte dans la durée. Un scénario qui se précise avec le durcissement des affrontements entre eux et le service d'ordre. Durcissement qui fait que l'on enregistre morts d'hommes maintenant alors que malgré la violence et le vandalisme qui ont été à l'œuvre les premiers jours, la confrontation n'avait pas donné lieu à un macabre bilan.

 L'enchaînement des faits tel qu'il se produit ne permet pas d'envisager un retour «à la normale» rapide. Même si cela doit néanmoins advenir, les émeutes que vit l'Algérie ont irrémédiablement installé la fracture entre le peuple et le pouvoir. Celui-ci ne pourra plus désormais entretenir la fiction de sa légitimité populaire. Quant à ses relais politiques que sont les partis de l'alliance présidentielle, ils sont apparus pour ce qu'ils sont en ces moments cruciaux. Des coquilles vides incapables de prendre sa défense.