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A quoi sert Al-Qaïda ?

par Abed Charef

Un homme est mort dans le désert. L’évènement a provoqué des résultats insoupçonnés.

La France est en état d’alerte permanente. Des pilotes de chasse sont prêts à prendre l’air pour intercepter tout ou détruire tout appareil ennemi, type 11 septembre, des milliers de militaires sont mobilisés, et le fameux plan « vigipirate » est maintenu indéfiniment au niveau pour faire face à tout menace terroriste. Des bâtiments de la marine française, incluant aussi bien des navires de patrouille que le porte-avions, sont impliqués dans le dispositif.

A Grenoble, le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux déclare la guerre aux bandes qui infestent la ville. Des individus dangereux, vivant dans des quartiers mal famés, et qui n’hésitent pas à mener des casses dans lesquels ils sont tirés comme des lapins. Mais n’empêche : tous les moyens sont bons pour faire monter la tension. Et c’est alors qu’on découvre des menaces de mort contre les policiers. Et la mobilisation repart : les policiers, connus plutôt pout être les auteurs de bévues, deviennent de paisibles fonctionnaires menacés par des gangs. Il faut les muter ailleurs, protéger leurs familles, assurer leur sécurité.

Tous les marginaux doivent y passer. Un incident inouï permet de s’en prendre aux Tziganes, aux Roms, aux gens du voyage, on ne sait plus qui est qui. Une réunion, aussi solennelle qu’inutile, leur est consacrée, comme si on venait de découvrir leur existence. Les Beni Aadas d’Algérie sont mieux lotis, car personne, du moins aucun chef de parti ni aucun responsable ne les accusés de constituer une menace pour la sécurité ou de propager les maladies.

Menace interne, menace externe : Tout y est. Bernard Kouchner, le militant de gauche devenu ministre de droite, peut à son tour entamer sa parade. Celle-ci inclut à l’évidence une tournée africaine, quelques déclarations prononcées sur un ton grave, pour meubler un voyage sans objet, sinon celui de prouver que MM. Sarkozy et Kouchner sont extrêmement vigilants face à la menace terroriste.

Une autre preuve en est offerte le même jour. Les Français sont invités à ne plus se rendre dans le Sahel. Ce n’est pas une interdiction, mais une recommandation forte. D’autant plus que cette région du Sahel est infestée de terroristes affiliés à Al-Qaïda, comme le confirment toutes ces cartes et ces courbes diffusées à longueur de journée par les chaines de télévision. Et si cela ne suffit pas, des reportages réalisés par des spécialistes sur le terrain vous décrivent les repaies de ces terroristes. Comme si vous y étiez.

Au-delà du drame que représente la mort d’un retraité français dans le désert mauritanien, c’est à cela que sert Al-Qaïda : à justifier une politique interne en France, à remettre au premier plan de l’actualité un thème central pour la droite française, celui de la sécurité. Et même quand on sait comment cela se passe, même quand on sait quels sont les mécanismes qui se mettent en branle, et qu’on connait l’acharnement de la droite à imposer ce thème, il n y a rien à faire : l’exploitation politique de l’insécurité est aussi imparable qu’un attentat terroriste. Et Nicolas Sarkozy est devenu le maître incontesté sur ce terrain.

C’est peut-être un raccourci, mais il montre à quoi sert Al-Qaïda, un des plus célèbres labels de l’époque moderne. Dans les pays du sud, Al-Qaïda sert à déstabiliser les sociétés et les institutions, à légitimer l’autoritarisme, et à brandir une menace qui justifie le refus de la démocratisation.

Dans les pays du nord, Al-Qaïda sert à justifier des politiques sécuritaires au profit de la droite, et à soutenir des régimes illégitimes dans les pays du sud.

Sans Al-Qaïda, il aurait été difficile d’envisager l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan, la mise à genoux d’une grande partie du monde arabe, ainsi que la dévastation sociale et institutionnelle qui a frappé nombre de pays de la région. Sans Al-Qaïda, George Bush n’aurait pas fait deux mandats, et Nicols Sarkozy n’aurait pas été élu.

Il y a tout de même une nuance à introduire dans le rôle du terrorisme dans le monde moderne. Quand un retraité français meurt dans le désert, la côte de Nicolas Sarkozy remonte, et l’occident se mobilise. Mais quand des Algériens ou de Africains sont fauchés par groupes entiers, se contente d’afficher sa sympathie car l’effet n’est pas automatique sur les baromètres de popularité.